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A la géométrie élémentaire correspond un groupe de transformations, le groupe des mouvements et renversements, y compris les transformations de similitude. Ce groupe, nommé par F. Klein groupe principal (Hauptgruppe), laisse invariantes toutes les propriétés énumérées 1, 2 et 3.

Au lieu de mouvements, on peut d'ailleurs considérer des transformations plus générales qui ne laissent invariantes qu'une partie de ces propriétés 1, 2 ou 3, et modifient les autres. On obtient ainsi plusieurs espèces de géométries dans chacune desquelles on ne s'occupe: que de celles de ces propriétés que l'on y considère comme invariantes. Nous ne mentionnerons ici que les deux principales d'entre elles:

a. C'est d'abord la géométrie projective où l'on étudie les propriétés qui sont invariantes relativement au groupe des collinéations, c'est-à-dire les propriétés résultant de l'ensemble des postulats a et des numéros 9 et 10 auxquels on a adjoint le postulat (ordinaire) de la continuité.

b. C'est ensuite la théorie du continuum [ou Analysis situs] où l'on considère les propriétés qui sont invariantes relativement à des transformations continues quelconques. Ce sont les propriétés correspondant à l'ensemble des postulats a du n° 9 détachées, par le procédé employé, des propriétés particulières des droites et du plan.

A cette façon de voir ajoutons encore une autre considération 253). Si l'on examine un groupe de transformations relativement à une figure particulière (en faisant abstraction de ce qui est hors de cette figure), celles des propriétés géométriques qui sont invariantes relativement au groupe prennent une signification nouvelle et conduisent ainsi à une géométrie sur la figure envisagée.

Si, par exemple, on examine, relativement à une surface quelconque, le groupe des mouvements qui forme la base de la géométrie élémentaire, on est amené à des considérations générales sur les rapports métriques des figures situées sur une surface, considérations dont l'ensemble constitue la géométrie sur les surfaces (géométrie différentielle de mesure dans laquelle on considère les propriétés inva-riantes relatives à l'applicabilité des surfaces).

En généralisant ensuite cette géométrie sur les surfaces on aboutit à la géométrie métrique sur les variétés à plusieurs dimensions, et, en particulier, sur les variétés à trois dimensions. Cette géométrie

253) Cf. F. Enriques, Conferenze di geometria [cours autographié], Bologne 1894/5, p. 124 (no 28).

comprend les propriétés 3 de la congruence qui sont définies relativement aux propriétés 1 de l'Analysis situs, mais indépendamment des concepts de la droite et du plan.

Un même procédé d'abstraction consistant essentiellement dans l'élargissement du groupe de transformations qui correspond à la géométrie élémentaire, mène ainsi à trois ordres de recherches géométriques plus générales que celles de la géométrie élémentaire.

On peut représenter ces trois ordres de recherches, dans leur rapport de dépendance mutuelle, et dans leur dépendance de la géométrie élémentaire, par le schéma suivant:

Théorie du continuum [Analysis situs]

Géométrie projective

Géométrie métrique générale sur les variétés àn dimensions

Géométrie élémentaire

Fig. 2.

Les propriétés contenues dans les trois ordres de recherches générales dont on vient de parler pourraient être rattachées à trois groupes de sensations distinctes de la façon suivante 254):

les propriétés qui se rapportent au sens général du toucher et du muscle;

les propriétés optiques (descriptives);

les propriétés mécaniques (métriques) relatives à un organe tactile différencié, muni de mobilité.

On peut parcourir dans deux sens opposés le système de la Géométrie que l'on vient d'ébaucher.

Ou bien on étudie d'abord la géométrie élémentaire, pour s'élever ensuite d'une part à la géométrie projective, de l'autre à la géométrie mérique sur les variétés à n dimensions et l'on finit par aborder l'étude de l'Analysis situs.

Ou bien l'on commence par envisager la théorie du continuum;

254) F. Klein [Math. Ann. 37 (1890), p. 544] a le premier remarqué cette différence entre les propriétés descriptives et les propriétés métriques.

F. Enriques [Questioni 29), p. 16, 18; Rivista filosofica (Pavie) 4 (1901), p. 76; Problemi della scienza 29), p. 300 (chap. 4); la trad. française de J. Dubois, Problèmes de la science, Paris 1908, ne contient pas ce chapitre 4] a essayé d'en prouver la nécessité en examinant minutieusement les faits à la lumière de la psychologie physiologique. Il a été ainsi amené à rattacher les propriétés de la théorie du continuum au sens général du toucher et du muscle, base commune de nos sensations spatiales.

on passe ensuite aux recherches de caractère plus restreint de géometrie projective d'une part, de géométrie métrique sur les variétés à un nombre quelconque de dimensions d'autre part, pour aboutir à l'étude plus restreinte encore de la géométrie élémentaire.

Le passage de l'Analysis situs à la géométrie projective se fait en imaginant un système particulier de courbes et de surfaces données (jouissant de propriétés convenablement choisies) que l'on appelle lignes droites et plans 255).

Le passage de l'Analysis situs à la géométrie métrique générale sur les variétés à n dimensions se fait, soit avec B. Riemann 256) en imaginant comme donnée une certaine opération métrique (telle que la mesure d'une ligne ou de la distance de deux points par exemple) jouissant de propriétés déterminées, soit en supposant donné un certain système de lignes et de surfaces (telle que des lignes géodésiques par exemple) relativement à l'opération métrique envisagée.

On passe de la géométrie projective à la géométrie métrique élémentaire en distinguant dans la détermination métrique une courbe (ou surface) du second degré 257). Si l'on veut, en particulier, parvenir à la détermination métrique ordinaire envisagée par Euclide, on peut le faire en envisageant la géométrie de l'affinité comme une étape intermédiaire 258).

On passe de la géométrie métrique générale des variétés à n dimensions à la géométrie élémentaire d'Euclide, ou aussi à la géométrie élémentaire non euclidienne, en imposant à l'opération métrique adoptée des conditions particulières, par exemple l'homogénéité et l'isotropie de l'espace, ou encore un caractère particulier du groupe des mouvements 259).

255) Cf. F. Klein (qui ici se rattache à K. G. Chr. von Staudt), Math. Ann. 6 (1873), p. 112; Progr. Erlangen 1872, p. 32; Math. Ann. 43 (1893), p. 63/100.

256) B. Riemann, Habilitationsschrift 1); Abh. Ges. Gött. 13 (1866/7), éd. 1868, math. p. 138; Werke (2o éd.) publ. par H. Weber, Leipzig 1892, p. 277; trad. L. Laugel, Paris 1898, p. 286.

257) Cf. A. Cayley, Philos. Trans. London 149 (1859), p. 82; Papers 2, Cambridge 1889, p. 583; F. Klein, Math. Ann. 6 (1873), p. 127.

258) Cf. A. F. Möbius, Der barycentrische Calcul, Leipzig 1827, § 161/2; Werke 1, Leipzig 1885, p. 194/5; H. Grassmann, Die lineale Ausdehnungslehre, Leipzig 1844, Section II chap. 4; Werke 58) 11, p. 249/81.

259) Cf. B. Riemann, Habilitationsschrift 12), Abh. Ges. Gött. 13 (1866/7), éd. 1868, math. p. 134; Werke (2o éd.), publ. par H. Weber, Leipzig 1892, p. 273; trad. L. Laugel, Paris 1898, p. 282; E. Beltrami, Teoria degli spazi di curvatura costante [Ann. mat. pura appl. (2) 2 (1868/9), p. 232; L. Schläfli, id. (2) 5 (1871/3), p. 178 [1872]; S. Lie et F. Engel, Theorie der Transformationsgruppen 3, Leipzig 1893, p. 393; F. Schur, Math. Ann. 27 (1886), p. 537 et suiv. Cf. no 39 à 42.

Dans les chapitres suivants nous adopterons la seconde façon de procéder. Nous exposerons d'abord les fondements de l'Analysis situs, pour envisager ensuite, d'une part la géométrie projective, d'autre part la géométrie métrique générale, et aboutir enfin, aussi bien par l'intermédiaire de la géométrie projective que par celui de la géométrie métrique générale, à la géométrie élémentaire.

Principes de la théorie du continuum.

20. Préliminaires. Il conviendrait sans aucun doute de chercher à établir les principes de la théorie du continnum sans faire appel à des considérations étrangères à la géométrie 260), mais jusqu'ici on a plutôt essayé de rattacher ces principes à des notions analytiques comme celle de la représentation des lignes et des surfaces [cf. III 2] ou à la théorie des ensembles [cf. II 2].

Cependant, dans quelques-unes de ses recherches, G. Cantor 261) a abordé directement l'étude de quelques questions concernant le continuum 262).

Quoi qu'il en soit, pour édifier actuellement une théorie du continuum il est indispensable de rappeler un certain nombre de résultats empruntés à d'autres théories:

1°) C'est d'abord la possibilité, démontrée par G. Cantor, de faire correspondre d'une façon biunivoque [que nous avons nommée parfaite (I 1, 2)] les points d'un segment de droite donné (u) aux points d'un carré donné (x, y), et cela, comme l'a montré G. Peano, aussi bien à l'aide de fonctions continues non univoquement réversibles qu'à l'aide de fonctions continues univoquement réversibles

x = f1(u), y = f(u).

2o) C'est ensuite l'impossibilité d'établir entre deux variétés

(X1, X2, xm), (1, 32,

....

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d'ordres m et n, où m et n sont plus grands que un et où m est différent de n, une correspondance biunivoque et continue 263).

3o) C'est aussi le théorème de C. Jordan 264): Toute courbe plane fermée

x = x(t), y = x(t)

260) F. Enriques, Rend. Circ. mat. Palermo 12 (1898), p. 222.

261) Math. Ann. 46 (1895), p. 481.

262) Depuis la constitution de la géométrie non-archimédienne [nos 46 à 52],

ane orientation différente a été imprimée à ces recherches.*

263) Pour ce qui concerne les résultats (1o) et (2o) voir I 7, 2.

264) Cf. III 2, 8.

Encyclop. des scienc. mathémat. III 1.

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sans point double (ou multiple), où (t) et v(t) sont des fonctions finies et continues de t, partage le plan en deux régions telles que, si l'on joint par un trait continu un point fixé arbitrairement dans l'une des deux régions à un point fixé arbitrairement dans l'autre région, ce trait continu rencontre la courbe en un point au moins. On donne à l'une de ces régions le nom de région intérieure, à l'autre le nom de région extérieure à la courbe fermée.

4o) C'est enfin le fait que la distinction entre courbes planes analytiques et courbes planes non-analytiques n'est possible, en général, que si l'on tient compte, non seulement de la courbe envisagée ellemême, mais encore du système de coordonnées auquel on rapporte la courbe dans le plan.

Si l'on exclut les points singuliers et si l'on ne considère qu'une région finie du plan, l'ensemble des courbes analytiques satisfait à la condition fondamentale qui nous est donnée par l'intuition que nous avons des courbes (que l'on imagine entièrement tracées):

a. Deux courbes ne se coupent qu'en un nombre fini de points. Si l'on considère inversement comme donnés tous les segments de droite et tous les arcs de parabole d'ordres quelconques 2, 3,... que l'on peut concevoir à l'intérieur d'une région finie, arbitrairement fixée dans le plan, on peut démontrer 265) qne toute ligne (1) devant satisfaire, relativement à ces segments de droite et à ces arcs de parabole, à la condition a a en chacun de ses points une tangente, ou tout au moins une tangente à droite et une tangente à gauche; et l'on peut aussi démontrer que la ligne (1) a, par suite aussi, en chacun de ses points une parabole osculatrice d'ordre 2, d'ordre 3, . . et en général d'ordre entier quelconque n. La ligne (1) peut donc être représentée en coordonnées cartésiennes par trois fonctions F admettant des dérivées de tous les ordres ou, tout au moins, des dérivées à droite de tous les ordres et des dérivées à gauche de tous les ordres. Si l'on admet que, dans une région du plan convenablement limitée, la ligne (1) ne coupe qu'en un nombre fini de points chaque ligne analytique sans points singuliers dans cette région, il est d'ailleurs fort vraisemblable que, dans cette région du plan, les trois fonctions F sont des fonctions analytiques.

21. La notion de ligne. Dans la théorie du continuum le premier concept que l'on rencontre est celui de la variété continue à une dimension.

On peut, par abstraction, identifier ce concept à celui de la

265) Cette démonstration, due à F. Enriques, n'a pas encore été publiée."

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