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d'y observer la hauteur du mercure pendant toute la journée. La compagnie quitta alors le couvent, emportant le second tube, et l'on commença à dix heures à gravir la montagne. On atteignit au milieu de la journée son sommet le plus élevé. Arrivé là, Périer répéta l'expérience du vide telle qu'il l'avait exécutée le matin dans le jardin des Minimes, et il s'empressa de mesurer l'élévation du mercure au-dessus du réservoir: le liquide, qui, au pied de la montagne, s'élevait à vingt-six pouces trois lignes et demie, ne s'élevait plus qu'à vingt-trois pouces deux lignes; il y avait donc trois pouces une ligne et demie de différence entre les deux mesures prises à la base et au sommet du Puy-de-Dôme.

Quand ils furent revenus de la surprise et de la joie que leur faisait éprouver une aussi éclatante confirmation des prévisions de la théorie, les expérimentateurs s'empressèrent de répéter l'observation en variant les circonstances extérieures. On mesura cinq fois la hauteur du mercure: tantôt à découvert, dans un lieu exposé au vent, tantôt à l'abri, sous le toit de la petite chapelle qui se trouve au plus haut de la montagne, une fois par le beau temps, une autre fois pendant la pluie, ou au milieu des brouillards qui venaient de temps en temps visiter ces sommets déserts: le mercure marquait partout vingt-trois pouces deux lignes.

On se mit alors à redescendre. Arrivé vers le milieu de la montagne, Périer jugea utile de répéter l'observation, afin de reconnaître si la colonne de mercure décroissait proportionnellement avec la hauteur des lieux. L'expérience donna le résultat prévu : le mercure s'élevait à vingt-cinq pouces, mesure supérieure d'un pouce dix lignes à celle qu'on avait prise sur le haut du Puy-de-Dôme, et inférieure d'un pouce trois lignes à l'observation prise à Clermont-Ferrand. Périer fit deux fois la même épreuve, qui fut répétée une troisième fois par le Père Mosnier ainsi le niveau du mercure s'abaissait selon les hauteurs.

Les heureux expérimentateurs étaient de retour au couvent avant la fin de la journée. Ils trouvèrent le Père Chastin continuant d'observer son appareil. Le patient religieux leur apprit que la colonne de mercure n'avait pas varié une seule fois depuis le matin. Comme dernière confirmation, Périer remit en expérience l'appareil même qu'il rapportait du Puy-de-Dôme : le mercure s'y élevait, comme le matin, à la hauteur de vingt-six pouces trois lignes et demie.

Le lendemain, le Père de La Mare, théologal de l'église cathédrale, qui avait assisté la veille à tout ce qui s'était passé dans le couvent des Minimes, proposa à Périer de répéter l'expérience au pied et sur le faîte de la plus haute des tours de l'église Notre-Dame à Clermont. On trouva une différence de deux lignes entre les deux mesures prises à la base et au sommet de la tour. Enfin, en déterminant comparativement la hauteur du mercure dans le jardin des Minimes, situé dans une des posi- · tions les plus basses de la ville, et sur le point le plus élevé de la même tour, on constata une différence de deux lignes et demie.

Périer s'empressa d'informer son beau-frère du grand résultat que l'expérience venait de lui fournir; Pascal en reçut la nouvelle avec une joie facile à comprendre. D'après la relation de Périer, une différence de vingt toises d'élévation dans l'air suffisait pour produire, dans la colonne de mercure, un abaissement de deux lignes. Pascal pensa, d'après cela, qu'il serait facile de répéter l'expérience à Paris. Il l'exécuta en effet sur la tour Saint-Jacques la Boucherie, haute de vingt-cinq toises. Il trouva entre la hauteur du mercure, au bas et au sommet de cette tour, une différence de plus de deux lignes. Dans une maison particulière, dont l'escalier avait quatre-vingt-dix marches, il prit la même mesure dans la cave et sur les toits; il put reconnaître ainsi un abaissement d'une demi-ligne.

Ainsi, les prévisions de Pascal étaient confirmées dans toute leur étendue ; la maxime de l'horreur du vide n'était plus qu'une

chimère condamnée par l'expérience, et un horizon nouveau s'offrait à l'avenir des sciences physiques. La découverte de la pesanteur de l'air et la mesure de ses variations à l'aide du tube de Torricelli devinrent en effet le point de départ et l'origine des grands travaux qui devaient élever la physique sur les bases positives où elle repose aujourd'hui. Le tube de Torricelli, dont Pascal venait de faire un admirable moyen de mesurer la pression atmosphérique, apporta aux observateurs un secours de la plus haute importance, en ce qu'il permit de soumettre au calcul et de ramener à des conditions comparables un grand nombre de phénomènes naturels qu'il importait d'étudier. Pascal ne manqua pas de saisir toute la portée du principe fondamental qu'il venait de mettre en lumière, et le fait de la pression que l'air atmosphérique exerce sur tous les corps qui nous environnent lui permit d'expliquer plusieurs phénomènes physiques dont la cause s'était dérobée jusque-là à toute interprétation. L'ascension de l'eau dans les pompes, le jeu du siphon, et divers autres faits particuliers du même ordre, reçurent de lui l'explication la plus nette et la mieux fondée.

La découverte de la pesanteur de l'air produisit parmi les savants l'impression la plus vive; les partisans de l'opinion du plein universel furent réduits au silence. Cependant il manquait encore quelque chose à la démonstration complète de l'existence du vide et de la pesanteur de l'air. En montrant qu'une colonne de mercure est tenue en équilibre, dans un tube vide, par le poids de l'atmosphère, on ne prouvait la pesanteur de l'air que d'une manière indirecte, et ce moyen ne pouvait servir d'ailleurs à peser un volume d'air déterminé. Il fallait, pour achever la démonstration, donner aux physiciens les moyens de peser un vase tantôt plein, tantôt vide d'air. Aussi les savants s'occupèrent-ils dès ce moment avec beaucoup d'ardeur à combiner quelque instrument susceptible de produire le vide dans un espace clos.

C'est à un physicien de Magdebourg, Otto de Guericke, conseiller de l'électeur Frédéric-Guillaume et bourgmestre de la ville de Magdebourg, qu'était réservée la gloire de découvrir l'important appareil que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de machine pneumatique.

La machine pneumatique n'a été imaginée et construite par Otto de Guericke qu'après une série de tâtonnements et d'essais à peu près ignorés de nos jours, et qu'il n'est pas cependant sans intérêt de connaître. Pour obtenir un espace entièrement vide d'air, le physicien de Magdebourg essaya d'abord de se servir d'un tonneau rempli d'eau et fermé de toutes parts. Après avoir appliqué à sa partie inférieure le tuyau d'une pompe à incendie, il commença à faire jouer la pompe; mais avant que l'eau fût entièrement évacuée, les cercles de fer qui reliaient les douves du tonneau s'étaient rompus sous l'effort de la pression atmosphérique. Otto de Guericke arma alors le tonneau de cercles beaucoup plus forts, et trois hommes vigoureux furent employés à faire agir la pompe. Mais à mesure que l'eau était expulsée, un léger sifflement se faisait entendre: l'air s'introduisait à travers les pores du bois. Force fut de chercher un nouveau moyen. Otto de Guericke eut alors l'idée d'enfermer un tonneau rempli d'eau et de petite dimension, dans un autre plus grand et également plein d'eau ; le tuyau de la pompe aspirante venait s'appliquer à l'orifice du petit tonneau intérieur en traversant le tonneau extérieur. On fit alors jouer la pompe. Aucun accident ne vint contrarier l'expérience; mais à la fin de la journée, et lorsque l'eau se trouvait évacuée presque tout entière, on entendit un gargouillement qui annonçait le passage de l'air à travers la substance des deux tonneaux. Ce bruit persista trois jours, et lorsque, au bout de ce temps, on retira le tonneau intérieur pour l'examiner, on le trouva à moitié rempli du liquide qui s'était fait jour à travers ses parois.

L'insuffisance des vases de bois pour obtenir un espace vide

d'air étant ainsi reconnue, Otto de Guericke eut recours à des vases métalliques. Il fit préparer une sphère de cuivre d'une assez grande capacité, armée d'un robinet à sa partie supérieure et portant à sa partie inférieure un orifice destiné à recevoir le tuyau de la pompe. Il se dispensa pour cette fois de remplir d'eau le vase, espérant que la pompe aspirerait l'air comme elle avait aspiré l'eau. Ce résultat ne manqua pas de se produire. Dans les premiers moments, la pompe jouait avec facilité ; mais à mesure que l'air était chassé, il fallait, pour soulever le piston, des efforts de plus en plus considérables, et c'est à peine si deux hommes vigoureux pouvaient suffire à ce travail. L'opération était assez avancée et la plus grande partie de l'air se trouvait chassée du globe métallique, lorsque tout à coup, et au grand effroi des assistants, le vase éclata avec grand bruit et se brisa, «< comme si on l'eût jeté avec violence du haut d'une tour (1). » Otto de Guericke saisit avec sagacité la cause de cet accident l'ouvrier avait négligé de donner au vase de cuivre une forme parfaitement sphérique dans toutes ses parties; or la forme sphérique est la seule qui puisse garantir un récipient vide d'air des effets de la pression considérable que le poids de l'air extérieur exerce sur lui dans tous les sens. Un nouvel appareil ayant été construit avec les soins nécessaires, l'expérience, reprise, eut un succès complet, et l'air fut en totalité expulsé, sans autre accident, du récipient métallique. Mais l'opacité du métal eût dérobé aux yeux les expériences auxquelles on destinait la machine; Otto remplaça donc la sphère de cuivre par un ballon de verre qui s'ajustait à la pompe aspirante au moyen d'une garniture de cuivre. En définitive, la machine à laquelle il s'arrêta, et que l'on trouve encore dans les anciens cabinets de physique, présentait la forme suivante :

(i) « Vel ac si globus ab altissima turre lapsu graviore projectus fuisset.» (Ottonis de Guericke experimenta nova Magdeburgica de vacuo spalio, p. 75.)

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