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Mégasthènes assure qu'il n'était point parent de Laboroso-achod, qui néanmoins, par sa mère, dut être petit-fils de ce monarque: Berosse semble être du même avis, quand il emploie ces mots : un certain Nabonide, babylonien, et cependant Nabonide porte la signification de fils de Nabou: Berosse a-t-il rougi du prince qui survécut à la perte de son trône et de son pays?

Nous ne voyons pas comment Hérodote, voyageur étranger, peut avoir raison contre Berosse et Mégasthènes, tous deux d'accord ici, tous deux revêtus d'emplois publics; admettons qu'il soit en erreur, elle a peu d'importance puisqu'elle ne change rien à l'ordre des tems, qui est notre principal objet.

Kyrus devint roi de Babylone l'an 538; il avait commencé son règne sur les Mèdes et les Perses l'an 560; il avait pris Sardes et détrôné Krésus l'an 557. Quel fut l'emploi des 18 ans d'intervalle? Hérodote nous l'indique d'une manière satisfaisante, dans les chapitres CLIII, CLXXIX et CLXXX de son livre premier. Il dit en substance : « qu'a» près la prise de Sardes et l'établissement d'un >> gouverneur, Kyrus reprit la route d'Ecbatane, » ayant en vue de nouvelles conquêtes. Les Ba» byloniens, les Bactriens, les Sakes ou Scythes, >> et les Egyptiens étaient autant d'obstacles à ses >> projets; il résolut de marcher en personne

» contre ces peuples; il envoya Harpages, l'un » de ses généraux, contre les Ioniens, tandis >> que lui-même en personne subjugua toutes les » nations de l'Asie supérieure, sans en omettre >> aucune. Je les passerai la plupart sous silence, >> continue l'historien, me contentant de parler » de celles qui lui donnèrent le plus de peine : » lorsqu'il eut réduit sous sa puissance tout le >> continent, il songea à attaquer les Assyriens.

» Arrivé au fleuve Gyndes, l'un des chevaux >> blancs consacrés au soleil saute dans l'eau et » se noie. Kyrus indigné de l'insulte du fleuve, >> veut l'en punir; il suspend l'expédition contre » Babylone et il passe tout un été à saigner le >> fleuve en 360 canaux qui l'épuisèrent ( autant » de canaux que de jours dans l'an). Au second >> printems il reprend sa route contre Babylone. >> Les habitans sortent au-devant de lui, il les >> bat: rentrés dans leurs murs, ils s'inquiètent » peu du siége, parce qu'ils avaient amassé des » vivres pour plusieurs années. Kyrus se trouva » dans un grand embarras; car depuis long-tems » il assiégeait la place, et il n'était pas plus avancé » que le premier jour.»

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Calculons. Kyrus part au printems; il perd l'été au second printems il arrive devant Babylone; le siége dure long-tems, supposons 18 mois; il aura pris Babylone la troisième année depuis

son départ : il la prit l'an 539; par conséquent il partit de Perse l'an 541. Il a dû passer au moins deux ans en préparatifs (543); les 14 années depuis la prise de Sardes furent donc employées à subjuger tous les peuples de la Haute-Asie et de la mer Caspienne jusqu'au Caucase. Or dans un siècle où des villes fortes par la nature ou par l'art soutenaient des siéges de 8 et 10 ans, ce ne fut pas trop de 14 années pour soumettre des pays remplis de semblables villes, et des peuples montagnards cités de tout tems pour très-belliqueux.

CHAPITRE XVII.

Du livre intitulé Cyropédie de Xénophon.

Le règne de Kyrus qui est le terme des grandes difficultés chronologiques, se trouve clairement établi dans toutes ses dates. Si Ktésias diffère d'Hérodote sur quelques circonstances de la vie de ce prince, l'on peut dire qu'il ne le dément point sur le fond. Il n'en est pas de même du philosophe Xénophon, dont le livre intitulé Kyropædie, ou Éducation de Kyrus, suscite une telle

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controverse, qu'il faut nécessairement que l'un des deux auteurs ait été trompé grossièrement ou -ait eu l'intention réfléchie de faire un roman. Ce procès entre Hérodote et Xénophon, a beaucoup divisé les modernes. Les uns ont voulu considérer la Kyropædie comme l'histoire véritable de Kyrus, tandis que d'autres n'ont vu dans cet écrit qu'un roman politique dicté par un motif et pour un but de circonstance. Les plaidoyers produits à ce sujet depuis deux siècles, formeraient eux seuls dix gros volumes: néanmoins la question est simple, si on l'envisage par son vrai côté. Nous autres Européens, gens d'église ou de cabinet, qui discourons sur les rois et les conquérans, nous sommes d'assez pauvres juges en fait de vraisemblances ou de probabilités historiques, surtout pour des événemens passés en Asie il y a 2400 ans. Les moeurs de cette contrée et de ces gouvernemens different tellement de nos usages, que même de nos jours des gens de beaucoup d'esprit parlent de ce qui se passe en Perse et en Turquie, d'une manière ridicule pour tout voyageur qui en a été le témoin. Ce n'est point en traitant notre question au fond, en discutant lequel des deux récits est le plus naturel (puisque la nature est pour chacun son habitude), qu'il faut prononcer entre Hérodote et Xénophon; c'est en établissant l'examen préalable de leurs motifs et de leurs intentions;

à cet égard les témoignages multipliés des auteurs anciens, qui furent leurs contemporains plus ou moins médiats, nous fournissent des moyens décisifs.

Diogène de Laerte qui a écrit la vie d'un grand nombre de philosophes anciens, sur des mémoires originaux, atteste "« que Xénophon et Platon, >> disciple de Socrate, mus de sentimens de jalou» sie et même d'envie l'un contre l'autre, écri» virent à dessein de se contredire, sur les mêmes >> sujets; et qu'entr'autres, Platon ayant écrit son » Livre de la République, Xénophon lui opposa » le sien de la Kyropædie ou Éducation de » Kyrus; par représailles, Platon dans son Traité » des Lois, appela ce livre une fiction, attendu » que Kýrus ne fut pas tel.» Athénée dans son Banquet des Savans, ouvrage si érudit, si rempli d'anecdotes curieuses, atteste les mêmes faits, en insistant sur le caractère de Platon, bien différent de ce qu'on en croit vulgairement.

Aulugelle, ce père estimable, qui pour l'instruction de ses enfans, tira de ses nombreuses lectures les notes que nous possédons sous le nom de Nuits

(1)Diog. Laert., Vita Platonis, tom. 1, liv. III, pag. 185; et notes de Ménage, tom. II, pag. 152, no 34. Voyez aussi Dacier, Vie de Platon, tom. I, pag. 107 à 111.

(2) Athénée, liv. XI.

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