Page images
PDF
EPUB

Attiques; Aulugelle, en desirant d'ailleurs atténuer ce fait qui le chagrine, convient cependant que « ceux qui ont écrit de si excellentes choses » sur la vie et les mœurs de Xénophon et de » Platon, ont pensé qu'ils n'avaient pu se défendre » de sentimens secrets de jalousie et d'aversion, >> et ils en montrent certaines preuves plausibles » dans leurs propres écrits; par exemple, de n'a>> voir jamais fait mention l'un de l'autre, quoique » tous deux, et surtout Platon, aient nommé tous » les disciples de leur commun maître. Ils citent, » comme une autre preuve de cette inimitié, que >> Xénophon ayant lu les deux premiers livres du >> beau traité sur le meilleur gouvernement répu>>blicain que Platon publia d'abord, il y opposa >> son traité du gouvernement monarchique ou » royal, intitulé Éducation de Kyrus, et ils >> ajoutent que Platon en fut si piqué, que dans >> un écrit suivant, il dit qu'à la vérité Kyrus avait » été un homme habile et courageux, mais qu'il » n'avait rien entendu à la science du gouver→ >>nement (1).»

Enfin Cicéron si versé dans la littérature grecque, qui dans son voyage à Athènes, comme dans ses conversations scientifiques à Rome, puisa la connaissance des traditions biographiques; Cicéron

Aulugel. Noctes atticæ, lib. XIV, C. III.

écrivant à son frère Quintus, lui dit : « Kyrus est >> peint par Xénophon, non comme vérité histo» rique, mais comme image d'un gouvernement >> juste; dans cet ouvrage le philosophe a su » donner aux sujets les plus graves, les formes >> les plus gracieuses et les plus douces. >>

Ainsi l'opinion des anciens, fondée en faits et en traditions de première source, a été que la Kyropædie de Xénophon est un pur roman politique et moral, une sorte de censure de la république idéale de Platon; ajoutons encore, un panégyrique tacite du gouvernement royal, sujet cauteleux à traiter devant les démocrates Athéniens. Voilà pourquoi sans doute Xénophon s'est étudié à donner à son récit les formes et les vraisemblances de l'histoire, et à placer son héros sur un théâtre qu'il connaissait. Cela n'empêche pas qu'il ne trahisse son secret, lorsqu'il prête au persan Kyrus non seulement la religion d'un Grec, mais encore le langage d'un disciple de Socrate, à tel point que toute la partie morale de son roman est la pure morale de ce philosophe, souvent avec les propres phrases de ses dits mémorables, recueillis par Xénophon, ou semés

() Cicero ad Quintum fratrem, epistola I. Cyrus ille à Xenophonte, non ad historic fidem scriptus, sed ad effigiem justi imperii.

dans Platon, ainsi que l'a très-bien démontré l'abbé Fraguier dans son analyse du livre de Xénophon". L'intention et la position de cet écrivain étant expliquées et connues, on conçoit comment il dut écarter de l'histoire de son héros, tout ce qui eût altéré le caractère juste et vertueux qu'il lui donnait. Un premier fait choquant était la rebellion de Kyrus contre son aïeul, et son usurpation du trône de Médie, attestées par Hérodote et avouées par Ktésias. Pour déguiser ce trait, Xénophon s'appuyant du récit d'Hérodote, donne à Kyrus, Mandane pour mère, Astyag pour aïeul, et le persan Cambyse pour père; mais il suppose que ce dernier fut roi de Perse, quand à cette époque les Perses, tributaires des Mèdes, n'avaient de roi que dans le sens de satrape. Puis, afin de sauver à Kyrus le rôle odieux de détrôner son aïeul, il suppose qu'Astyag eut un fils appelé Xyaxarès, frère de Mandane, lequel succède légitimement à leur père : et enfin supposant encore à ce Kyaxarès une fille unique, il la marie avec Kyrus qui, par tous ces moyens, arrive à l'empire en tout bien et en tout honneur.

Dans la question que nous venons d'exposer, il est remarquable que les partisans les plus distin

(1) Voyez sa dissertation, Mémoires de l'Académie des Inscriptions, tome III, pag. 58.

gués de Xénophon, sont des gens de robe ecclésiastique; l'archevêque Ussérius, l'évêque Bossuet, le doyen Prideaux, le recteur Rollin, l'abbé Banier, le pieux chevalier Marsham . Pourquoi cela ? par la raison que le récit de Xénophon prête à l'un des livres canoniques juifs, un appui que lui refuse celui d'Hérodote, et que prenant l'oncle prétendu de Kyrus (Kyaxarès) pour le Darius mède amené par Daniel au siége et au trône de Babylone, ils trouvent dans la Kyropodie un témoignage qui leur est refusé par toute l'histoire.

Ce livre de Daniel a jeté les chronologistes dans des embarras inextricables, parce qu'ils ont posé d'abord en principe ce qu'il fallait discuter comme question.... Qu'est-ce que le livre intitulé Daniel? Si le lecteur a la patience d'en lire une courte analyse, il y trouvera les moyens de juger par lui-même.

(1) Petau fait exception; Fréret a varié.

[ocr errors]

CHAPITRE XVIII.

Du livre intitulé Daniel.

L'AN 3 de Ihouaqim, roi de Juda, Nabuko>> donosor vint assiéger Jérusalem, et Dieu livra » en ses mains Thouaqim et une partie des vases » sacrés, que Nabukodonosor emporta dans la >> terre de Sennar et plaça dans le temple de » son dieu (1). »

Cette date de l'an 3 répond à l'an 605. Nous avons vu par trois passages de Jérémie, que Nabukodonosor ne fut roi que l'année suivante, 604, 4° de Ihouaqim : la bataille de Karkemis ne fut livrée qu'en cette année 4o, et jusque-là Nekos avait été le maître de la Syrie et de la Judéc. Si Nabukodonosor prit Jérusalem et le roi Ihouaqim, ce ne put être qu'en 604, et par les suites de cette victoire; par conséquent la date de l'an 3 est impossible. Et comment imaginer que Nabukodonosor eût assiégé Jérusalem, pris le roi, enlevé les vases, sans que Jérémie, qui jouait

Daniel, chap. 1er.

« PreviousContinue »