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En effet, il n'y était ni obligatoire, ni donné dans l'école par l'instituteur; c'est la thèse que nous soutenons en ce moment.

La loi sur l'instruction primaire de Genève du 19 octobre 1872 dit dans un paragraphe de l'article 32, en faisant l'énumération des matières de l'enseignement : < Entretiens sur les devoirs de l'enfance. Ces mots sont plus restreints, plus modestes peut-être que ceux d'enseignement de la morale; mais il est bien évident que ce sont là des expressions synonymes.

La constitution fédérale suisse du 29 mai 1874 généralise ces pratiques du canton de Genève et de quelques autres cantons. L'article 27 porte:

Les écoles doivent pouvoir être fréquentées par les adhérents de outes les confessions sans qu'ils aient à souffrir d'aucune façon dans leur liberté de conscience et de croyance. »

En Angleterre, l'acte de 1870 dit, article 7 : « On ne peut exiger, comme condition à l'admission dans une école ou à sa fréquentation, que l'enfant fréquente ou s'abstienne de fréquenter... ›

Remarquez, messieurs, la sagesse profonde de ces mots. Ils correspondent bien à ces paroles de M. le ministre de l'instruction publique, quand il disait : « Nous ne voulons pas une religion d'État; mais nous ne voulons pas non plus une irréligion d'État. » (Très bien! très bien! à gauche.)

Je reprends.

...que l'enfant fréquente ou s'abstienne de fréquenter une école du dimanche ou un lieu consacré au culte; qu'il observe dans l'école ou ailleurs certaines pratiques religieuses, ou qu'il reçoive un enseignement religieux dont ses parents l'avaient dispensé. >

L'application à l'Écosse donne exactement la même

indication.

Pour l'Irlande, pays plus intéressant pour nous, parce qu'il a plus de rapports, au point de vue de la religion, avec notre état actuel; pour l'Irlande, c'est encore le

même principe contenu dans l'acte de juin 1877. Et l'on va bien loin, car, pour des raisons d'ordre et de tranquillité publique, il est dit à l'article 71 : « Les commissaires n'autoriseront aucune inscription contenant un titre ayant un caractère confessionnel, qui leur semblerait indiquer que l'école appartiendrait à une communauté religieuse particulière. >

Messieurs, nous n'allons pas jusque-là, tant s'en faut; nous laissons la liberté aux écoles privées. Nous sommes de beaucoup en arrière de la libre Angleterre, dans les atteintes portées à la liberté publique. (Approbation à gauche.)

M. LE COMTE DE MAILLÉ. - L'Angleterre ne respecte pas la liberté à l'égard de l'Irlande.

M. LE RAPPORTEUR... « Art. 75. On devra fournir les moyens (comme il est prescrit ci-après) aux enfants fréquentant toutes les écoles nationales de recevoir l'instruction religieuse que leurs parents ou tuteurs approuveront... »

Messieurs, nous répondons à cette partie de l'article par le second paragraphe de notre article 1er, qui dit : « Deux jours par semaine, y compris le dimanche, resteront vacants pour recevoir l'instruction religieuse... »

< Art. 76. L'enseignement religieux doit être donné de telle façon que chaque école reste accessible aux enfants de toutes les communions; qu'il soit tenu bon compte des droits et de l'autorité des parents; que, par conséquent, nul enfant ne reçoive un enseignement que désapprouveraient ses parents ou tuteurs ou n'assiste à cet enseignement; et que le moment choisi pour donner l'instruction religieuse en question soit fixé de telle façon qu'aucun enfant ne se trouve, de ce chef, exclu de fait, directement ou indirectement, des autres avantages que procure l'école. »

En Amérique, ou du moins dans un grand nombre d'États de ce pays, des dispositions analogues existent, et elles sont très clairement indiquées et nettement déterminées dans la loi qui régit l'État de Californie :

LE CLERICALISME.

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Aucune publication, est-il dit dans l'article 1672 de cette loi, relative à une dénomination religieuse, ne peut être en usage ou distribuée dans les écoles, ni faire partie de la bibliothèque qui y est attachée; aucune doctrine religieuse ne peut y être enseignée. »

Et enfin, messieurs, la Belgique est entrée également dans cette voie. Vous savez comment elle a voté récemment une loi qui organise une sorte de laïcité de l'enseignement dans les écoles primaires publiques, qui a supprimé l'obligation de l'instruction religieuse et qui l'a confiée dorénavant aux ministres des cultes, tandis qu'elle était antérieurement donnée par les instituteurs. M. DE LA ROCHEFOUCAULD, DUC DE BISACCIA. Et le résultat est que la Belgique est coupée en deux aujourd'hui. (Exclamations à gauche.)

M. LE RAPPORTEUR. Voilà, messieurs, l'exemple que nous donnent la plupart des peuples qui nous entourent : le peuple suisse, les Allemands, les Hollandais, les Scandinaves, les Anglais, les Américains et les Belges.

V

Morale et religion'.

Arrivons à la seule objection d'apparence sérieuse qu'on élève contre la thèse que je développe en ce moment devant vous.

:

On nous dit En supprimant de l'expression légale morale et religieuse le second terme, vous supprimez implicitement le premier; il ne peut y avoir, ajoute-t-on, en dehors d'une religion, de morale véritable, de morale ayant une base, des règles et une sanction.

A droite. C'est très vrai !

M. LE RAPPORTEUR. Je vois, à l'assentissement qui se produit de ce côté (l'orateur indique le côté droit), que je résume bien l'argument.

Et alors, nous dit-on, vous voulez donc des écoles sans morale?

Messieurs, il ne peut venir à l'idée d'aucun législateur de vouloir des écoles sans morale.

Nous savons bien que l'instruction n'est pas, par ellemême, et à titre théorique, une cause de moralisation; nous savons bien que l'instruction est seulement une augmentation des forces que porte en lui l'individu, et

1. Discours sur l'obligation et la laïcité de l'enseignement primaire (Chambre des députés, 4 décembre 1880). Suite du morceau précédent.

que cette augmentation de forces, il peut l'appliquer au mal comme au bien, c'est incontestable. (Très bien! à gauche.)

Mais, chose remarquable cependant, soit que chez l'homme la tendance au bien l'emporte sur la tendance au mal; soit qu'une vue plus générale des choses lui montre les conséquences du mal et le lui fasse éviter à l'avance; soit peut-être, raison plus simple et plus modeste, que dans la lutte sociale l'instruction donne des moyens d'arriver à des situations plus heureuses et fasse ainsi éviter certaines tentations: pour l'une ou l'autre de ces raisons, il est incontestable que l'instruction, à elle seule, devient, non point en thèse théorique, mais en pratique vulgaire, une cause de moralisation. (Vifs applaudissements à gauche.)

Mais ce n'est pas une raison pour séparer l'instruction de la morale, si toutefois la chose se pouvait faire. Et elle est impossible; car la morale ressort de tous les incidents de la classe, car il n'est pas nécessaire de lui dresser une chaire particulière et de lui consacrer des heures spéciales; car l'enseignement de l'histoire, la lecture de chaque jour, le modèle d'écriture même donné aux enfants, peuvent constituer un enseignement moral.

Mais supposons que l'on puisse faire cette séparation de l'instruction et de la morale; je dis que vous ne la faites pas, par le fait que vous rayez du programme les mots enseignement religieux. Et, ici, je reviens à l'objection dans ce qu'elle a de plus précis: Est-il vrai ou n'est-il pas vrai que la morale n'a plus de base, plus de règles, plus de sanction, si elle est séparée d'une religion positive?

Messieurs, j'avoue que je me sens ici un peu embarrassé. Une assemblée politique n'est pas une académie. Discuter de la solidité des bases de la morale devant elle, ce serait, je crois, la faire sortir de son rôle. Il convient de procéder presque par voie d'affirmations, sans prétendre à convaincre, mais en apportant cepen

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