Page images
PDF
EPUB

Je partage là-dessus complètement les idées de M. Jules Roche, et je crois que les mesures qu'il propose de prendre sont à la fois justes et efficaces. Justes, parce que, tout en attribuant les biens des congrégations au service de l'instruction publique, elles restituent aux donateurs et aux religieux les biens qu'ils ont apportés, et attribuent des rentes viagères aux moines et aux nonnes dont les couvents ont été supprimês. Efficaces, parce qu'elles évitent la faute commise récemment en Italie, où, suivant le témoignage du Français, « les ordres religieux se relèvent peu à peu de l'abattement où les avaient jetés les lois injustes de suppression et de spoliation ».

En résumé, les lois d'instruction, l'abolition de l'exemption du service militaire, la suppression des congrégations, telles sont les principales mesures législatives par lesquelles pourra être combattue l'influence politique de l'Église.

Il reste bien d'autres lois à faire, bien d'autres décrets et arrêtés à prendre, dont l'énumération serait trop longue, et qui se résument, du reste, dans la formule : « l'exécution stricte du Concordat ».

Leur résultat direct se ferait immédiatement sentir par la diminution de l'autorité et des privilèges de l'Église. Et l'on ne tarderait pas à constater un résultat indirect, mais non moins important.

La puissance actuelle de l'Église en ce pays tient pour une très grande part à l'habile étalage qu'elle a fait de sa force aux yeux de la classe hier encore dirigeante. Ce n'est point par crédulité que le bourgeois de 1830 a quitté Voltaire pour Nonotte, acheté un livre de messe, livré son fils aux jésuites, et bu de l'eau de Lourdes dans ses accès de goutte; c'est parce qu'il a cru que là était son intérêt et surtout celui des siens, parce que l'Église lui a promis pour son fils un avancement rapide, parce qu'elle lui a montré les gouvernements soumis et obéissants devant elle.

Que la politique des gouvernements change, non plus

seulement dans l'attitude et la mise en scène, et les réflexions de la classe qui fournit les fonctionnaires prendront un autre cours. La bourgeoisie finira par s'apercevoir qu'en réalité ce n'était pas l'Église qui la protégeait, mais elle dont la docilité faisait la force de l'Église.

Quand ce résultat sera obtenu, quand les lois que j'ai indiquées seront votées, quand l'éducation publique aura été modifiée par le jeu des institutions nouvelles, alors il sera possible, sans danger, de donner satisfaction complète aux principes, de décider légalement l'indépendance complète du domaine civil et du domaine religieux, de prononcer en un mot la séparation de l'Église et de l'État.

Plus tôt, il y aurait, à mon sens, grand péril pour la République et la libre pensée.

Et cependant, si les gouvernements et les Chambres refusaient d'entreprendre résolument, à l'abri du pacte concordataire, l'oeuvre législative et administrative dont j'ai esquissé les principaux traits; si l'Église devait continuer à augmenter sa puissance à la fois par les moyens que lui accorde et par ceux que lui refuse le Concordat, j'avoue que, le terrain du combat devenant chaque jour plus mauvais, je préférerais la lutte ouverte avec toutes ses chances et ses dangers, et que je me rallierais aux partisans de la séparation immédiate.

VI

L'Eglise et la liberté 1.

Messieurs, nous vivons, nous avons le bonheur de le dire, dans un temps où l'on entend beaucoup parler de liberté. Les républicains ont le droit de le faire, car ils peuvent montrer avec orgueil ce grand mot écrit sur leur bannière depuis les merveilleux jours de 1789. Car ils peuvent prouver que cette grande idée a inspiré tous leurs actes, a dicté toutes leurs lois, dirigé toute leur conduite. Ils peuvent montrer le sang qu'ils ont répandu à chaque retour des réactions triomphantes.

D'autres que les républicains, il est vrai, se sont emparés de ce mot.

On les voit se plaindre qu'on leur ait enlevé la liberté de l'enseignement, la liberté du père de famille; et il y a quelques jours, dans une réunion tenue par nos adver. saires, un orateur s'écriait qu'il fallait maintenant défendre la liberté des temples, des foyers, des enfants ».

Il m'a semblé qu'au lendemain de ces exagérations, qui, je dois le dire, n'ont pas causé la moindre émotion dans la nation, il était bon d'établir ce que ceux qui nous combattent entendent par ce mot de liberté.

J'ai coutume, messieurs, et mes adversaires m'ont fait l'honneur de le reconnaître, de parler clairement et d'exprimer toute ma pensée sans ambages, sans détours.

1. Discours au Grand Théâtre de Lyon (28 mai 1883).

Je viens donc aujourd'hui vous dire ce qu'est la liberté réclamée par l'Église et quel usage elle en a fait lorsqu'elle était au pouvoir. J'espère vous démontrer clairement que la liberté de l'Église catholique est la domination absolue du pouvoir spirituel sur le pouvoir civil et qu'elle ne réclame la liberté que pour mettre à néant la liberté d'autrui.

Mais je dois vous déclarer tout d'abord, et ne croyez pas, en cela, voir de ma part une réserve hypocrite, je dois vous déclarer que je ne veux, en aucune façon, parler de la religion.

Je ne veux pas mêler à une revue politique, à une thèse historique, les rapports que la plupart des hommes croient avoir besoin d'établir entre leur conscience et un être mystérieux auquel ils reconnaissent la toutepuissance. Je n'ai donc à vous parler ni du dogme, ni des mystères, ni de la discipline ecclésiastique, ni de la morale religieuse; non pas que je me désintéresse de ces importantes questions, qui ont tenu et qui tiennent encore une si grande place dans l'histoire des peuples. Si je vous parlais ici de l'éducation publique, j'aurais à vous en entretenir longuement, mais aujourd'hui je n'ai à vous parler que de liberté. Rien de plus simple que la solution de ce problème, bien qu'elle n'ait été donnée que par la Révolution française.

S'agit-il de religion, de liberté pleine et entière de croire ou de ne pas croire, de s'enrôler dans telle ou telle confession religieuse ou de n'en professer aucune? Les dogmes et les mystères sont indifférents à l'État. C'est ainsi par exemple que je me soucie peu de savoir si le dernier concile du Vatican a innové ou non en décrétant le dogme de l'Immaculée-Conception, c'est ainsi que l'État ne doit pas s'inquiéter de voir des hommes reconnaître à un de leurs semblables le don quasi divin de l'infaillibilité, à la condition que, comme le dit le texte sacré, cette infaillibilité ne s'exerce que dans le domaine de la foi et des mœurs.

S'agit-il du culte? Ici encore liberté pleine et entière

des manifestations de la croyance religieuse, à la condition que ces manifestations ne portent pas atteinte à la liberté générale. Ainsi, peu nous importe le costume que porte le prêtre, la langue dans laquelle il officie, la liturgie à laquelle il obéit. Mais l'État a le droit de surveiller et même d'interdire les processions lorsqu'il y trouve quelque inconvénient pour la tranquillité publique et le devoir de protéger les citoyens contre les violences par lesquelles on voudrait obtenir d'eux des marques de respect.

Voilà, pour la religion et le culte, la solution du problème.

Mais autre chose est la religion, autre chose est l'Église; autre chose est la liberté religieuse, autre chose est la liberté de l'Église.

L'Église est une institution merveilleusement organisée et hiérarchisée, destinée à utiliser la religion pour en faire un moyen d'action politique. Si vous interrogez l'histoire, vous verrez que les rois et les empereurs ont tremblé devant cette puissance. Si vous vous demandez ce qu'est sa liberté, vous verrez que l'Église ne s'est avouée libre qu'aux temps lointains où le pied du pape Hildebrand foulait, à Canossa, la couronne impériale et où, sur l'ordre du prètre, le prince tirait l'épée du fourreau pour en frapper quiconque cherchait à échapper à la domination de l'Église.

Je sais bien que, quand on parle ainsi, beaucoup de gens qui se croient sages, haussent les épaules et disent Pourquoi cette évocation d'un passé mort et oublié? Les temps sont changés et l'Église avec eux. Écoutez ses réclamations. Que demande-t-elle? La liberté d'enseigner, la liberté de poursuivre ses œuvres pieuses, la liberté de développer ses institutions charitables. Quoi de plus naturel et de plus inoffensif! Quel pape voudrait aujourd'hui réclamer le droit de déposer les princes de la terre? Ne confondez pas ainsi le moyen âge et la société moderne.

Ceux qui parlent de la sorte oublient la fière et redou

« PreviousContinue »