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ches géologiques pour lesquelles il a montré tant de sagicité et un si bon esprit.

BRONGNIART, de l'Institut.

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NOTICE SUR L'ÉTABLISSEMENT D'UNE ÉCOLE PRIMAIRE ET D'INDUSTRIE A HOMEL, EN RUSSIE.

S'il est un orgueil excusable et légitime, c'est assurément celui d'un peuple se glorifiant d'avoir répandu les lumières et hâté la civilisation parmi les barbares qui ont triomphe de sa vaillance. Cette conquête, obtenue sur ses vainqueurs, est un titre de gloire qui l'emporte sur tous les autres, autant que les facultés morales et intellectuelles sont placées dans l'estime des hommes au-dessus de la force musculaire. Cet hommage, rendu par le plus fort au plus éclairé, ennoblit es revers de ce dernier, et le console de ses maux : il sent que des représailles morales lui sont offertes ; et sa dignité ressemble à celle de la sagesse commandant ie respect à la fortune.

Telle fut l'attitude de la France, lorsqu'elle vit son sol sacré envahi, malgré le courage de ses enfans, par d'innombrables légions descendues du Nord. Plus heureuse que les empires détruits jadis par de semblables débordemens, elle obtint l'hommage et l'admiration de ses vainqueurs. Ses monumens, ses musées, ses écoles furent respectés, et les chefs étrangers, déposant les armes à l'entrée du sanctuaire des sciences, tinrent à honneur d'y ètre admis, et d'entendre les doctes leçons des savans et des philosophes de la moderne Athènes.

Bien plus, au sein mème des hordes barbares, des écoles s'élèvent, et les monarques auxquels ces hordes appartiennent appellent des Français pour semer parmi elles les premiers germes de la civilisation. L'histoire publicra un jour, à la

gloire de notre patrie, que les soldats du Don et de la Néva ont appris à lire en France; qu'ils ont emporté de chez nous notre langage, nos livres, la connaissance de nos mœurs et de nos institutions. Leurs progrès dateront du séjour qu'ils ont fait au milieu de nous; et certes, cette circonstance devra suffire pour effacer, aux yeux de la postérité, la tache de leur apparition sur notre territoire.

Déjà, les effets de cette heureuse contagion se font sentir en Russie. On sait que, dans ce vaste empire où les classes supérieures jouissent de tous les bienfaits de la civilisation, le peuple est demeuré jusqu'à ce jour plongé dans une ignorance profonde et dans un abrutissement sauvage. Enfin, la lumière a frappé les yeux de quelques-uns de ces aveugles, et l'humanité a parlé au cœur des hommes puissans. Le désir de savoir commence à se faire sentir aux premiers, et la volonté d'instruire est inspirée à ceux qui peuvent associer au nom de maître celui de bienfaiteur. Nous nous faisons un devoir, et il est doux à remplir, de donner une nouvelle publicité à un fait déjà publié en Angleterre, mais qui ne peut être trop connu. Honorable pour ceux qui y ont eu et qui y ont part encore, il est satisfaisant et encourageant pour tous les amis de l'humanité; car les amis de l'humanité voient leurs frères et leurs concitoyens dans tous les pays; tout bienfait accordé à des hommes obtient leur reconnaissance personnelle, comme toute guerre à leurs yeux est une guerre civile, une cause directe d'affliction et d'horreur.

Le comte de Romanzof, chancelier de l'empire, l'un des plus riches seigneurs de Russie, et l'un des hommes qui, par sa bienfaisance et ses nobles sentimens, justifie le mieux les faveurs de la fortune; possesseur d'une vaste terre renfermant une ville, quatre-vingt-dix villages et une population de plus de 30,000 âmes, conçut, en 1820, le projet d'assurer à ses nombreux vassaux le bienfait de l'instruction, et de

donner un exemple duquel dépendra peut-être la civilisation de cette partie considérable de l'Europe. M. Heard, philantrope anglais, de qui le zèle égale le mérite, voyageant, à cette époque, en Russie, pour y propager le nouveau système d'instruction élémentaire, fut choisi par M. de Romanzof pour mettre à exécution son plan charitable.

Cet apôtre de l'éducation populaire, après avoir parcouru les terres du comte, reconnut qu'un obstacle important s'opposerait au succès d'une première école dans un village. Il fallait que cette première école, pour produire l'effet désirable, pour offrir un modèle qui attirât l'attention, mît en évidence tous les avantages de la méthode ; et par conséquent, il fallait qu'elle fût nombreuse. Or, il n'était pas un seul village dont la population permît de réunir plus de quarante enfans ; et la distance des uns aux autres était trop grande pour songer à rassembler dans un seul les enfans de plusieurs. Cette remarque fit craindre d'abord à M. Heard d'échouer dans son entreprise. Cependant, il avait remarqué, dans le cours de son voyage, qu'un nombre assez considérable de petits malheureux parcouraient le pays en vagabonds, mendiant de porte en porte, couverts de misérables haillons et dans un état de dénûment, de malpropreté et d'abrutissement qui excitait tout à la fois le dégoût et la compassion. Il saisit avidement l'idée que ces petits infortunés pourraient être arrachés à leur déplorable sort, et rendus à la société ; qu'il serait possible de les rassembler dans une école, où ils oublieraient leurs habitudes de paresse et de vagabondage pour se livrer au travail. Cette pensée fut regardée comme une chimère par les personnes auxquelles il la communiqua. On sembla croire que ces malheureux serfs n'appartenaient point à l'espèce humaine ; et l'habitude de les considérer comme des êtres imparfaits ou dégradés ne laissait pas même soupçonner la possibilité de les voir s'élever au niveau des autres créatures

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organisées comme eux. Le comte de Romanzof, trop éclairé et trop généreux pour partager un semblable préjugé, accucillit avec empressement la proposition de M. Heard. Il voulut qu'un vaste bâtiment fût construit à Homel, lieu de sa résidence, pour y établir une école primaire et une école d'industrie où seraient recueillis les petits mendians dont j'ai parlé. Afin de n'apporter aucun retard à l'exécution de cette œuvre de bienfaisance, il mit immédiatement à la disposition de M. Heard une aile de son propre château, qu'il consacra à l'établissement de l'école, en attendant que le bâtiment spécial fût élevé.

M. Heard se hâta de répondre à l'empressement généreux du comte. Soixante petits vagabonds furent en peu de tems réunis par lui dans le château, et il commença à les instruire, pour en faire plus tard des moniteurs, lorsque l'école pourrait être complétement organisée. Ces pauvres enfans, à leur arrivée, présentaient un spectacle digne de pitié. A peine vêtus, sans chaussure, couverts de vermine, leur aspect misérable était en harmonie avec la rudesse de leurs manières et l'air farouche ou stupide de quelques uns. En moins de quinze jours, ils furent tous vêtus proprement et décemment; et bientôt on put remarquer un changement frappant dans leurs habitudes morales, comme dans leur état physique.

M. Heard forma son école, et y établit la discipline et l'ordre, avec une facilité qui étonna fort les personnes prévenues. Il commença en même tems à organiser l'école d'industrie. Les enfans les plus grands et les plus forts devinrent apprentifs forgerons, charpentiers, bottiers, etc. ; les plus jeunes et les plus faibles furent occupés à natter la paille destinée à faire des chapeaux, à diviser l'écorce du tilleul et à en former des semelles, à travailler l'osier ou à faire des filets de pêcheur. Le tems était partagé entre ces divers travaux et ceux de l'é

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16 NOTICE SUR UNE ÉCOLE D'INDUSTRIE, etc. cole primaire, où la lecture et l'étude des Saintes Écritures avaient une part considérable.

La métamorphose devint surprenante, et il fallut convenir que ces petits infortunés, pour être nés dans la condition d'esclaves, ne sont point cependant condamnés à celle des brutes. Au bout de huit mois, soixante de ces enfans, dont nous avons dépeint le déplorable état primitif, vinrent se présenter à leur bienfaiteur, vêtus d'habits et chaussés de souliers, faits de leurs propres mains. Il n'est que ceux qui ont eu le bonheur de faire du bien à leurs semblables qui pourront se figurer quelle fut la joie du vertueux comte. Ravi et attendri à ce doux spectacle, il voulut donner une petite fête à ses intéressans protégés, et fit dresser pour eux un banquet, auquel il vint s'asseoir comme leur père. Ces enfans, en sortant de la barbarie, avaient appris ce que sont la reconnaissance et le dévouement. Les expressions de l'une et les protestations de l'autre avaient quelque chose d'enchanteur de la part de ces jeunes créatures régénérées; le cœur de leur maître dut en être profondément touché. Quel encouragement pour ses pareils à imiter son noble exemple !

Au mois d'avril 1821, l'école d'Homel était entièrement organisée, dans le local construit aux frais du comte de Romanzof. Alors, M. Heard, obligé de retourner dans sa patrie, et ayant accompli sa tâche philantropique, s'éloigna de cette contrée, où il venait de déposer le germe d'un grand bienfait. Le jour de son départ fut un jour de deuil. Pendant deux heures la cour de l'école fut remplie d'enfans qui l'attendaient pour lui adresser leurs adieux. Il les vit fondre en larmes, lorsqu'il monta en voiture; et il fut accompagné par des cris de regrets jusqu'à ce qu'on l'eût perdu de vue. Pauvres enfans! quel cœur serait assez barbare pour ne point se réjouir de l'affranchissement de votre esprit, et des consolations que l'éducation vous prépare! L. P. DE JUSSIEU.

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