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chidhi continua à demander: Comment supporterai-ję tant de peines, et quel est le meilleur moyen pour échapper à un pareil danger? Chari reprit Nul homme ne peut l'éviter, tous y sont assujettis, si la force et l'exercice de la foi ne les en délivre et ne les en préserve. Depuis ce tems, Arda-chidhi prit la résolution de renoncer à son épouse et aux vanités mondaines. Il communiqua cette résolution à sa femme et à ses parens; tous furent consternés. Son père le pria instamment de ne point l'abandonner, étant son fils unique, et les parens craignirent que l'empire et le trône ne restassent par là sans souverain. On lui représenta qu'en administrant les affaires pendant le règne de son père, il pourrait de même mener une vie pieuse; mais tout ce qu'on lui dit pour le faire renoncer à son idée fut vain, et redoubla son zèle. On s'épuisa en conjectures sur l'inclination particulière du prince; les uns l'appellaient une folie ; d'autres croyaient en entrevoir l'origine, dans un mécontentement contre son épouse, ou dans une passion nouvelle et plus forte pour une autre femme. Son père, le roi Soudadani, le fit surveiller dans le palais, et lui donna une garde considérable, entièrement composée de membres de la race de Chakia. On proclama dans tout le royaume une ordonnance qui défendit aux grands de recevoir le prince chez eux, s'il arrivait sans être attendu, parce qu'il avait déclaré que, malgré les précautions de ses gardes, il s'échapperait du palais. Arda-chidhi fit en présence de son frère et de toute la cour, la déclaration sui

vante: «< Adieu mon père, je vais entrer dans l'état » de pénitent, je renonce donc à vous, à l'empire, à » mon épouse et à mon fils chéri, j'ai des raisons >> suffisantes pour suivre ma vocation. Ne m'empêchez >> point de l'accomplir, c'est un devoir sacré pour moi. » Après ces paroles, il embrassa son père en versant des larmes, et le pria de lui pardonner, ne pouvant changer sa résolution. Plusieurs jeunes gens de sa famille se décidèrent alors à lui procurer un cheval et à l'accompagner ouvertement; mais la vigilance de ses gardiens empêcha toujours l'exécution de ce projet. Enfin, Khourmousta tèngri (Indra), le même qui . l'avait baptisé, lui amena un cheval sellé, sur lequel il échappa du palais et quitta sa résidence.

On apprit bientôt qu'il s'était rendu dans le royaume d'Oudipa, aux bords de la rivière Narasara. Il y vivait avec ses disciples, qui ne l'avaient jamais quitté. Son lit était un endroit pavé, et couvert de la sainte herbe de Goucha. Sa vie d'ermite commença le 8* jour du premier mois d'été de l'année Dongnan. Il se donna lui-même l'ordination sacerdotale, coupa ses cheveux, se revêtit de l'habit propre à son nouvel état. C'est alors qu'on fonda la place sainte du dépouillement de tout ornement.

Arda-chidhi changea son nom en celui de Goodam (c'est-à-dire gardien des vaches). Pendant six ans il resta dans la solitude et en contemplation continuelle. Quelques-uns de ses disciples, qui étaient ses proches parens, le servirent pendant ce tems. Sa nourriture était celle de tous les ermites indiens; il ne vécut que

de grains, de chardons, de miel, de figues et d'autres fruits; encore il en usa le moins possible pour ne point être interrompu dans ses méditations sur la nature divine. Cette vie austère l'affaiblit considérablement.

Goodam reçut beaucoup de visites de ses amis qui prirent le plus grand intérêt à sa persévérance. Il poussa l'humilité si loin qu'il ne permit à aucun d'eux de l'assister ou de le servir dans la moindre des choses. Une brahmine, sa proche parente, lui portà souvent de l'herbe goucha pour renouveler sa couche; ce qu'il ne permit qu'avec difficulté. Il céda à la fin aux prières qu'on lui adressa pour lui faire changer sa manière de se nourrir; car il permit que la famille de Chakia fit conduire dans son voisinage un troupeau de cinq cents vaches, dont le lait était destiné à lui et à ses compagnons. Goodam, qui peu avant avait affligé ses amis par son grand affaiblissement, se remit si bien par l'usage du lait, que, selon l'expression de l'original mongol, il ressembla bientôt à une enclume polie et dorée.

le

Pendant que ce saint était dans le désert, il eut les visites les plus singulières, Khákho-Mansou prince des grands singes, habitué à son voisinage, vint souvent le voir accompagné de sa suite. Voyant que l'on portait souvent à Goodam des présens consistant en mets et en boisson, il recueillit des gauffres de miel des abeilles sauvages et des figues, et les présenta un soir au saint pour son repas. Celui-ci les arrosa, selon sa coutume, avec de l'eau bénite et en

mangea. Ravi de joie, le prince des singes fesait des sauts extraordinaires, de sorte qu'il tomba par mégarde dans un puits qui se trouva derrière lui et se se noya. En mémoire de cet accident, on y fonda la place sainte des alimens offerts par le singe.

Dewa-dath, l'oncle de Goodam, lui fit ressentir de nouveau sa haine, en conduisant dans son voisinage un éléphant dompté, auquel il fit boire une si grande quantité de vin de cocos, qu'il assouvit totalement sa soif. Alors il attacha aux défenses de l'éléphant deux sabres tranchants, et lâcha l'animal ivre près de Goodam, croyant que sa rage tournerait contre l'ermite; mais celui-ci ne fit que lever les cinq doigts de sa main, que l'éléphant le prit pour un lion et s'apaisa. Cet événement donna occasion à la fondation de la place sainte de l'éléphant furibond et dompté.

Quelque tems après, Goodam se retira dans un endroit encore plus solitaire et sauvage. Il n'y fut accompagné que de deux de ses disciples, dont l'un était le fils de son premier précepteur Chari, l'autre se nomma Molon-Toïn. Ici deux de ses antagonistes se présentèrent, Labaï-Eriktou et Ousoun-debèltou. Ils lui demandèrent avec une modestie affectée : « Goodam, quelle est ta croyance ? qui est ton insti»teur et de qui as-tu reçu l'ordination sacerdotale? » Goodam leur répondit : « Je suis saint par mon propre » mérite. Qu'ai-je à faire avec d'autres précepteurs? » La reliion m'a pénétré. Si vous voulez d'autres ré»ponses, adressez-vous à mes deux disciples, ils vous >> instruiront. » Alors une dispute violente s'éleva

entre eux, et les deux adversaires furent vaincus. Pour preuve qu'ils avaient perdu le champ de bataille, ils se levèrent et étendirent un tapis en invitant leurs vainqueurs à s'asseoir.

Malgré la renommée de sa sainteté, Goodam avait bien des tentations à souffrir. Quatre belles et jeunes sœurs furent saisies d'une convoitise extrême. A la demande de leur frère, d'où leur venait cette extravagance, elles répondirent qu'elles étaient amoureuses de Goodam, et qu'elles voulaient se servir de tous. leurs charmes pour le rendre favorable à leurs désirs. Elles se présentèrent devant lui déshabillées et dans leur beauté naturelle. Par un regard sévère, le saint leur témoigna sa fermeté inébranlable. Par une chiquenaude il les rendit honteuses comme une vieille femme. Dans leur rage impudique, elles lui avaient demandé « qui est, ô Goodam, le témoin menteur qui >> ose attester que les vertus de tous les saints antérieurs, >> se sont concentrées en toi. » Goodam, en colère, leur répondit en donnant un coup avec la main par terre: « Voilà mon témoin! » Dans le même moment apparut Okün-tèngri, le génie tutélaire de la terre, disant à haute voix : « C'est moi qui suis le témoin de la vérité. » Aussitôt les filles impudiques se jetèrent par terre, et adorèrent Goodam par la confession suivante de leur croyance : « Face parfaite et pure, sagesse >> plus précieuse que l'or, majesté impénétrable! >> honneur et adoration à toi, source de la foi des trois >> époques du monde. » C'est alors qu'on consacra la place sainte de la victoire remportée sur la séduction de l'impudicité.

(La suite au prochain Cahier.)

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