Page images
PDF
EPUB

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

La Bibliographie forme une science qui est, à l'égard de toutes,

ce que les nomenclatures spéciales sont à chacune en particulier. Elle est le fil destiné à nous guider à travers le labyrinthe des innombrables productions de l'intelligence humaine, dont l'immensité s'accroît chaque jour, depuis qu'elle a rencontré dans la presse, un instrument d'une activité égale à celle de la pensée. Cette science des livres, qui vient modestement après toutes les autres, a néanmoins cet avantage sur plusieurs d'entre elles, que jamais ses services n'ont été contestés. La Bibliographie est utile à toutes les personnes qui s'occupent de la littérature ou des sciences: qu'un amateur, dirigé par son goût pour les livres, veuille en former un choix, soit pour son instruction ou ses délassements; ne lui importe-t-il pas de trouver des renseignements, non seulement sur les auteurs qui doivent entrer dans sa bibliothèque, mais encore sur les éditions de ces mêmes auteurs qu'il doit préférer à raison de leur exactitude, de leur correction, de leur intégrité? L'historien qui sait que les moindres écrits renferment souvent des détails qui peuvent animer ou éclairer son récit, n'a-t-il pas besoin qu'on lui rappelle ces écrits, presque perdus dans le grand nombre qui en a été publié? Le savant lui-même n'a-t-il pas besoin de connaître ce qui existe sur chacune des branches des connaissances humaines qu'il cultive? Enfin, l'homme de lettres et l'érudit qui préparent de nouvelles éditions, courent risque de laisser beaucoup à désirer, s'ils négligent la Bibliographie qui leur indiquerait les éditions qu'ils doivent consulter, soit comme plus complètes ou plus correctes; celles qui offrent les meilleures leçons, ou que les savants ont enrichies de leurs remarques et de leurs commentaires. En un mot, l'écrivain, le lecteur, quels qu'ils soient, éprouvent la nécessité de connaître tout ce qui a été pensé, dit, publié sur ce qui fait l'objet de leurs études, afin d'atteindre le but qu'ils se proposent. Cependant, malgré son utilité bien constatée, la Bibliographie ne

[ocr errors]

compte qu'un très-petit nombre de personnes qui s'en occupent avec distinction. D'où vient que lorsqu'en France on cultive toutes les sciences avec ardeur, l'on est indifférent pour celle-ci? On pourrait assigner à cet éloignement deux causes principales: c'est que la récompense du bibliographe est tout entière dans la reconnaissance de quelques amateurs éclairés, et qu'on croit généralement qu'un peu de mémoire, et l'habitude de manier des livres, constituent le mérite de celui qui veut s'y livrer.

Si la science de la Bibliographie n'exige pas les dons brillants de l'imagination, elle demande plusieurs qualités secondaires dont l'assemblage n'est pas moins rare. Avec un certain degré d'universalité d'esprit, et des connaissances spéciales en histoire littéraire, le vrai bibliographe doit être doué d'un goût exercé, d'une exactitude scrupuleuse, d'une conscience délicate, d'un esprit d'ordre nécessaire dans la classification, souvent arbitraire, des productions de l'intelligence humaine; enfin, et par dessus tout, d'une patience à toute épreuve. Non seulement la science des livres s'allie très-bien avec les dons les plus éminents de l'esprit, mais encore lui est souvent d'un grand secours. Naudé, Baillet, Bayle, La Monnoie, Larcher, Camus, Langlès, Chardon de la Rochette, et de nos jours, MM. Daunou, Barbier, Weiss, Beuchot, et quelques autres, ont dû sans doute à l'étendue de leur érudition bibliographique, une foule de découvertes intéressantes, de rapprochements ingénieux, qui ont ajouté à la réputation qu'ils possèdent à plus d'un titre.

C'est avec ce cortège de connaissances et de qualités, que plusieurs savants se sont partagé le vaste champ bibliographique, et ont mérité les éloges des amis des lettres, en remplissant dignement la tâche qu'ils s'étaient imposée; mais l'immensité du travail les ayant engagés constamment à restreindre leur plan à des spécialités, ou à effleurer simplement l'universalité des sujets, nous avons cru que, sans posséder leurs facultés, nous pourrions encore donner un livre utile: nous avons cru qu'avec un peu de goût et une patience que dix années de constants efforts n'ont pas lassée, il ne nous serait pas impossible de rallier, pour ainsi dire, nos devanciers, et de réunir en un seul corps toutes leurs précieuses recherches, afin d'offrir à la France une Bibliographie nationale.

Un tel recueil nous manquait; et l'on pourrait s'étonner que la France, dont la langue et la littérature sont universelles, fût peut

être le seul pays de l'Europe privé d'un monument qui lui présentât le tableau de ses richesses littéraires, et lui rappelât la part qu'elle a eue aux progrès des sciences et des lettres.

Nous trouvant en Allemagne, de 1819 à 1824, nous eûmes l'occasion d'observer l'utilité que les savants et laborieux littérateurs d'au-delà du Rhin savent retirer de leurs livres de Bibliographie nationale; et combien ces ouvrages sont appréciés dans le commerce de la librairie de ces contrées : c'est alors que nous conçûmes la pensée de faire pour notre pays, ce que Heinsius, Ersch, Ebert et quelques autres ont fait pour l'Allemagne, ce que Bent et Watt ont fait pour l'Angleterre : depuis ce temps, notre travail et notre persévérance, soutenus par le désir d'être utile, et surtout par les conseils et les encouragements de plusieurs personnes d'un mérite distingué, nous ont permis de présenter au public la France littéraire, plus particulièrement pendant les XVIII et XIXe siècles. Le choix de cette époque n'est pas arbitraire: présenter une nomenclature de tous nos écrivains depuis l'origine de l'imprimerie, eût été un travail immense et de peu d'utilité; autant vaudrait, en donnant les œuvres complètes d'un écrivain, consigner tout ce qu'il bégayé dans son enfance.

Du sein de la barbarie s'élèvent toujours des hommes supérieurs par la pensée, qui devancent leur siècle, et montrent aux siècles futurs la route des arts et des sciences, c'est-à-dire de la civilisation: mais la langue qu'ils ont parlée est à eux; les découvertes qu'ils ont faites, sont leurs conquêtes; c'est seulement lorsque leurs ouvrages ont passé dans toutes les mains, et que la somme de raison qu'ils avaient amassée a été, pour ainsi dire, répartie entre toute la nation, qu'il existe une littérature nationale. C'est vers la fin du dix-septième siècle qu'eut lieu chez nous ce phénomène : il suffisait donc de donner place dans notre Bibliographie à tous ces beaux génies qui l'ont précédée, et d'y comprendre depuis cette époque l'intégralité des productions littéraires de la France.

L'ouvrage que nous publions doit être considéré sous deux rapports bien distincts; et comme Dictionnaire des écrivains français, et comme Bibliographie française.

Sous le premier point de vue, notre France littéraire a certainement le mérite d'être plus complète que les essais du même genre que nous possédons et dont nous aurons occasion de parler plus

Tox. 1.

b

loin. Quoique notre livre, par son titre, semble annoncer qu'il soit particulier aux écrivains des XVIII et XIXe siècles, il n'en embrasse pas moins l'ensemble de tous nos auteurs, si ce n'est que nous nous sommes restreints, pour les temps de l'enfance de notre littérature, aux seuls hommes dont les ouvrages qui sont de tous les temps, ont été reproduits par la presse depuis notre point de départ. Enfin les auteurs qui ont illustré le règne de Louis XIV, ceux du siècle de Louis XV, ou plutôt de Voltaire et des encyclopédistes, les écrivains de la révolution, et ceux de notre âge, telle est la vaste période dont nous donnons la nomenclature complète.

Parmi ces écrivains, il est deux classes qui ont particulièrement attiré nos recherches et nos soins : ce sont les plus éclatants, et les plus obscurs. A l'égard des premiers, l'on sentira quel nombre considérable d'ouvrages et de commentaires nous avons dû citer pour dresser d'une manière complète les notices des La Fontaine, des Boileau, des Voltaire, des Rousseau, des Montesquieu, etc. etc. Quant aux seconds, à qui souvent on ne peut reprocher que de n'avoir pas su revêtir de formes attrayantes des pensées neuves et des découvertes précieuses, la révélation de leur existence pourra n'être pas inutile aux amis des sciences et des lettres.

[ocr errors]

Un travail neuf et précieux devenait le complément nécessaire de la France littéraire : « C'était la mention de tous les savants, «< dont les travaux souvent les plus remarquables ne sont que des <«< mémoires qui, n'étant pas assez volumineux pour faire corps d'ouvrage, font presque toujours partie des recueils consacrés aux « sciences: » l'étendue de cette tâche nous l'avait fait abandonner; mais un critique estimable ayant réclamé au nom de la science, nous avons reconnu les conséquences de cette omission, et nous nous sommes fait un devoir alors d'indiquer le plus fidèlement possible les pièces, soit scientifiques, soit littéraires, qui composent les collections des principales sociétés savantes : par ce moyen, notre ouvrage présentera deux grands avantages: d'abord, aux éditeurs futurs des œuvres de nos écrivains, celui de leur désigner des pièces importantes et presque toujours ignorées, parce qu'elles - sont enfouies dans ces immenses recueils; aux savants ensuite, celui de pouvoir trouver à l'aide d'une table des matières, que nous nous proposons de publier, l'indication des écrits, même les plus

« PreviousContinue »