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raisons qui ont été faites par | mot de poète dans le sens d'Olivet et la Harpe. D'Oli-d'Horace. Racine a réussi dans

vet, après avoir adopté le la tragédie, la comédie, l'ode mot du duc de Bourgogne, l'épigramme, et dans d'autres que Corneille était plus hom- genres. Ajoutons que le génie, me de génie, et Racine plus dans la force même de l'âge, homme d'esprit, ajoute: «Un n'est pas de toutes les heures, homme de génie ne doit rien et que sur-tout il craint les aux préceptes, et quand il approches de la vieillesse. le voudrait, il ne saurait pres- Corneille, dans ses meilleures que s'en aider: il se passe de pièces, a d'étranges inégalimodèles, et quand on lui en tés, et dans les dernières, c'est proposerait, peut-être ne sau- un feu presque éteint. Au rait-il en profiter: il est dé- contraire, l'esprit ne dépend terminé par une force d'ins- pas si fort des momens; il n'a tinct à ce qu'il fait et à la ma- presque ni haut ni bas, et nière dont il le fait. Voilà quand il est dans un corps bien Corneille, qui, sans guide, sain, plus il s'exerce, moins trouvant l'art en lui-même, ils'use. Racine n'a point d'inétire la tragédie du chaos où galité marquée, et la dernière elle était parmi nous. Un de ses pièces, Athalie, est homme d'esprit étudie l'art: son chef-d'œuvre. On me dises réflexions le préservent des ra que Racine n'est point parfautes où peut conduire un venu, comme Corneille, jusinstinct aveugle: il est riche qu'à une vieillesse bien avande son propre fonds, et, avec cée. Je l'avoue; mais que conle secours de l'imitation, maî- clure de-là contre ma dernière tre des richesses d'autrui. observation? car l'âge où Ra-. Voilà Racine, qui, venant cine produisit Athalie, réaprès Sophocle, Euripide, pond précisément à l'âge où Corneille, se forme sur leurs Corneille produisit Edipe; différens caractères, et sans et par conséquent la vigueur être ni copiste, ni original, par d'esprit subsistait encore toutage la gloire des plus grands te entière dans Racine, quand originaux. Il est vrai que le l'activité du génie commengénie s'élève où l'esprit ne sau-çait à décliner dans Corneille. rait atteindre: mais l'esprit Mais de tout ce que j'ai dit, embrasse au-delà de ce qui il ne s'ensuit pas que Corappartient au génie. Avec du neille manque d'esprit ou Ra génie, on ne saurait être, s'il cine de génie : ce sont des faut dire ainsi, qu'une seule qualités inséparables dans les chose. Corneille n'est que poè- grands poètes. L'un seulement te, il ne l'est même que dans l'emporte dans celui-ci, l'au. ses tragédies, à prendre le tre dans celui-là. Or, il s'a

gissait de savoir par où Corneille et Racine devaient être caractérisés; et après avoir vu ce que les critiques ont pensé sur ce sujet, j'en suis revenu au mot du duc de Bour-vant le caractère d'Hermione

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lui-ci est une saillie impétueuse d'une ame vivement frappée ; l'autre faisant partie de la catastrophe, commençant la punition d'Oreste et ache

est nécessairement le résultat d'une connaissance approfondie des révolutions du cœur

Harpe, eût le premier la scien ce du mot propre sans laquelle il n'y a point d'écrivain. Son expression est toujours si heu reuse et si naturelle, qu'il ne parait pas qu'on ait pu en trou ver une autre. Nul n'a enri

Citons maintenant le jugement de la Harpe. Le Cid, dit-il, avait été la pre-humain... Racine, ajoute la mière époque du théâtre francais, Andromaque fut la seconde. Ce fut une espèce de révolution. Ce n'était pas dans les ouvrages de Corneille que Racine avait étudié les convenances... Où avait-on vù, avant Racine, ce développe-chi notre langue d'un si grand ment vaste et profond des re- nombre de tournures; nul plis du cœur humain, ce flux n'est hardi avec plus de bonet reflux si continuel et si ora-heur et de prudence, ni mé geux de toutes les passions taphorique avec plus de graqui peuvent bouleverser une ce et de justesse; nul n'a maame, ces mouvemens rapidesnié avec plus d'empire un qui se croisent comme des idiome souvent rebelle, ni éclairs, ce passage subit des avec plus de dextérité un insimprécations de la haine à trument toujours difficile; nul toutes les tendresses de l'a- n'a mieux connu la mollesse mour, des effusions de la joie du style, qui dérobe au lecaux transports de la fureur, teur la fatigue du travail et de l'indifférence et du mépris les ressorts de la composition; affectés, au désespoir qui se nul enfin n'a mieux entendu répand en plaintes et en re- la période poétique, la variëproches; cette rage, tantôt té des césures, les ressources, sourde et concentrée, et mé- du rithme, du rithme, l'enchaînement ditant tout bas toutes les hor- et la filiation des idées....... reurs des vengeances, tantôt Ames sensibles, et presque forcenée, et jettant des éclats toujours malheureuses, s'éterribles, et ce fameux qui crie la Harpe dans un autre te l'a dit? Quelle création que endroit, qui avez un besoin ce mot le plus beau peut-être continuel d'émotion et d'atque la passion ait jamais pro- tendrissement : C'est Racine noncé! serait-il permis de le qui est votre poète et qui le comparer au qu'il mourut? ee-sera toujours; c'est lui qui

en conservant sa supériorité. Il n'a tenu qu'à lui de joindre les lauriers de Thalie à ceux de Melpomène.Parquels moyens Racine devint-il un si excellent poète ? Il ne dut ses progrès dans la poésie qu'à l'etu

reproduit en vous les impressions dont vous aimez à vous nourrir! c'est lui dont l'imagination répond toujours à la vôtre, qui peut en suivre l'activité et les mouvemens, en remplir l'avidité insatiable! C'est avec lui que vous aime-de des auteurs grecs et latins rez à pleurer, c'est à vous qu'il a confié le dépôt de sa gloire ».

qu'il commença par traduire et apprendre par cœur, afin de se former le goût, en se nourrissant de leur substance. D'un autre côté, son attention àne choisir pour model Aque nos meilleurs écrivains, forma dans lui cette diction pu

Nous regrettons que le plan de notre ouvrage ne nous permette pas de citer d'autres morceaux de l'excellent éloge de Racine que nous devons à la Harpe. Nous invitonsre, élégante, correcte, harceux qui voudront approfon- monieuse, qui le rend le plus dir le génie de Racine, à lire exact et le plus agréable de ce discours qui est un des tous ceux qui ont écrit dans meilleurs qui aient paru dans notre langue. A cette sage conson genre pendant le 18e siè- duite, il joignit la plus grancle. En terminant cet article de docilité à profiter des cr nous ferons une observation tiques de ses amis, à se réqui n'a point échappé aux gler sur leurs observations bons esprits, c'est que dans et à bannir de ses tragédies les tous les siècles littéraires, la défauts qu'ils y reprenaient. marche de l'esprit humain a Aussi la Thébaïde et Alexantoujours été la même dans dre, qui furent ses premiers tous les genres. On a vu cons- essais, ont-ils été suivis d'Autamment le génie sublime ou- dromaque, de Bajazet, qui, vrir la carière au génie atten- à leur tour, et par les mêmes drissant. Homère fut suivi de moyens, furent surpassés par Virgile; Sophocle, d'Euri- Mithridate, Phèdre, Athalie. pide; Dér osthène, de Cicé- St.-Evremont, en relevant les ron; Cor eille, de Racine; fautes qui lui étaient échapBourdaloue, de Massillon, pées dans la Thébaïde et dans etc. On pourrait faire la mê- Alexandre, contribua encore me remarque pour les arts, aux vraies beautés qu'il proqui ont eu le tendre et le moël-duisit dans la suite. Boileau leux, après le vigoureux et le enfin, par sa sévérité, le for, sublime. Le génie de Racine ça d'acquerir ce qui manquait a cela de particulier, qu'il sa- à sa perfection. C'est ainsi que vait se plier à tous les genres, les vrais grands hommes ont

son père, lui firent ouvrir les portes de l'académie des ins

la gloire de se former des successeurs, au lieu que des louanges prodiguées mal-à-criptions et belles-lettres, en propos, ne sont propres qu'à produire des hommes vains et médiocres.

RACINE, (Louis) second fils du grand Racine, naquit à Paris, le 2 novembre 1692. Il perdit de bonne heure son père, et ce fut sa mère qui prit soin de son éducation. Elle le renmanda au célèbre Rolun, qui dirigea ses études. Racine fit bientôt de rapides progrès; son goût le porfait sur-tout vers la poesie. Boileau tenta de l'en détourner. « Depuis que le monde existe, lui disait-il, on n'a pas vu de grand poète fils de grand poète; d'ailleurs, vous devez savoir mieux que personne à quelle fortune cette gloire peut conduire ». Ces remontrances furent inutiles, et Racine ne s'appliqua pas moins à la poésie. Cependant il étudia en droit et se fit recevoir avocat. Mais ne se sentant aucun goût pour cette profession, il entra dans l'Oratoire. Il y resta trois ans, pendant lesquels il composa son poëme sur la Grace. L'ayant lu à plusieurs personnes qui le louèrent beaucoup, il quitta sa retraite et vint à Fresne, chez le chancelier d'Aguesseau, auprès duquel il acheva de se formér le cœur et l'esprit. Sa réputation et la mémoire de

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1719. Vallincourt voulait le faire entrer aussi à l'académie française; mais l'esprit de parti et l'intrigue empêchèrent l'exécution de ce dessein. Ruiné par le systême de Law et membre d'une famille composée de sept enfans, il se vit obligé d'accepter la place d'inspecteur-général des fermes en Provence. Il occupa successivement différens autres emplois, et finit par celui de maître des eaux et forêts du duché de Valois. Commis de finance pendant 24 ans, il ne fut jamais financier, n'ayant jamais eu le moindre intérêt dans les fermes. Dans cet espace de tems, il composa son poëme de la Religion ses épîtres sur l'Homme et sur l'ame des bêtes, ses odes, ses réflexions sur la poésie, et les Mémoires de la vie de son illustre père. Il paya exactement son tribut littéraire à l'acad. des inscriptions qui, loin de déclarer la vacance de sa place, à cause de son défaut de résidence, suivant ses réglemens, lui conserva encore sa pension. Enfin, débarrassé de tous ses emplois, et tout entier à ses occupations chéries, il jouissait paisiblement d'une grande réputation et du bonheur qu'elle donne rarement, lorsqu'un accident funeste éteignit son ardeur pour l'étude et versa

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sur

chien, qu'il paraissait aimer extrêmement. Il me répèta plusieurs fois combien mon entreprise lui paraissait audacieuse. Je lis, avec une grande timidité, une trentaine de vers. Il m'arrête et me dit: non-seulement je ne vous détourne pas de votre projet, mais je vous exhorte à le poursuivre. J'ai senti, continue Delille, peu de plaisirs aussi vifs dans ma vie. Cette entrevue, cette retraite modeste, ce cabinet, où ma jeune imagination croyait voir rassemblées la piété tendre, la poésie chaste et religieuse, la philosophie sans faste, la paternité malheureuse, mais résignée; enfin le reste véné-` rable d'une illustre famille, prête à s'éteindre faute d'hé ritiers; mais dont le nom ne mourra jamais, m'ont laissé une impression forte et durable ». Si ce morceau qu'on lit dans la préface de l'Homme des champs, eut été mis en vers il aurait été un épisode très intéressant de ce poëme. Louis Racine était simple, vrai et sincèrement modeste. Il ne parlait jamais de ses ouvrages, et avouait plus volontiers ce qu'il igno

sur ses jours un poison mor- | tel. Il perdit un fils unique qu'il avait élevé avec le soin le plus tendre. Ce reste précieux d'un nom si cher aux lettres, promettait d'en être l'honneur, et retraçait par son caractère simple, doux et aimable, celui de son père et de son ayeul. Il eut le malheur de se trouver sur la chaussée de Cadix, dans le moment de cet horrible tremblement de terre qui abîma Lisbonne. La mer se gonflant tout-à-coup et s'élançant audelà de ses bornes, entraîna et engloutit le jeune Racine. Son père, plongé dans la plus amère douleur, abandonna ses études, et vendit sa bibliothèque la seule distraction qu'il se permit, était de cultiver des fleurs et des plantes, dans un petit jardin qu'il avait loué dans le faubourg St. Denis. Le célèbre Delille, désirant consulter Louis Racine, sur sa traduction des Géorgiques, en obtint un rendez-vous dans l'endroit dont nous venons de parler, « où il se mettait, dit Delille, en retraite deux fois par semaine, pour offrir à Dieu les larmes qu'il versait sur la mort d'un fils unique, jeune hom-rait, qu'il ne disait ce qu'il me de la plus haute espéran- savait. Sans jalousie comme ce, et l'une des malheureu- sans malice, il aimait à dire ses victimes du tremblement du bien et à en faire. Bon de terre de Lisbonne. Je me mari, bon père, ami tendre rendis dans cette retraite; je et officieux, il estimait beau le trouvai dans un cabinet au coup moins les talens de l'esfond du jardin, seul avec son prit que les qualités du cœur.

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Tome V.

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