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DAPHNIS ET CHLOÉ, traduction complète d'après le manuscript de l'Abaye de Florence. Imprimé à Florence, chez Piatti, 1810, in-8.

CETTE édition, imprimée à soixante exemplaires, qu'on a eu l'attention de numéroter, et qui ont été distribués en présents, a été faite aux frais et par les soins de M. Courier, de Paris, ancien officier d'artillerie, et helléniste fort habile. Elle contient de plus que toutes les précédentes, la traduction françoise, en sept pages, d'un fragment très curieux remplissant la lacune qu'on sait être au premier livre de cet agréable ouvrage. Le fragment y est traduit par M. Courier en ancien langage; et on peut dire à la louange du traducteur, qu'il a rempli cette difficile tâche assez habilement pour se faire lire avec Amyot sans qu'on aperçoive trop de disparate. Il a fait dans le reste de l'ouvrage un assez grand nombre de corrections dont quelques-unes de pur style, et que peutêtre il eût été mieux de ne pas hasarder; mais là plupart portent sur le texte même et sont motivées sur de meilleures leçons recueillies depuis Amyot dans les manuscrits, et notamment par M. Courier lui-même dans le manuscrit florentin de l'abbaye (della Badia), conservé maintenant à la bibliothèque Laurentiane, et d'après lequel il a copié le texte grec de ce même fragment.

On peut avoir quelque surprise de voir paroître la traduction françoise d'un morceau d'ancienne littéraure grecque, sans que ce fragment ait été lui-même

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publié ; tandis qu'il étoit si facile, qu'il étoit de devoir même de l'imprimer, n'eût-ce été qu'en forme de note et à la fin du volume françois, où il eût à peine occupé trois ou quatre pages.

Si l'étrange histoire de la découverte de ce morceau, et (espérons n'avoir pas à continuer à le dire) celle de sa perte subite, n'étoient pas maintenant de notoriété publique, on pourroit croire que les pages ajoutées dans cette édition nouvelle, sont une de ces petites supercheries littéraires, dont il y a déjà tant d'exemples; le court avertissement qui précède l'ouvrage est lui-même obscur, et conçu de manière à inspirer peu de confiance sur l'authenticité du morceau. Il faut dire que dans cette affaire tout semble avoir tourné à contresens; est-ce la faute des hommes? est-ce seulement le concours de bizarres circonstances, que la prudence ne pouvoit prévoir, c'est ce que je n'ai pas le talent de deviner; mais comme de ces petits incidents, on a fabriqué une longue histoire dans laquelle je suis, non pas compromis, je me rends la justice d'être certain que jamais je ne pourrois l'être à juste titre en quoi qué ce fût; mais au moins comme j'y suis nommé, et que, bon gré, malgré, on paroît vouloir m'y faire figurer, il faut aussi que je la raconte ; ce que je vais faire avec toute ingénuité, et le plus brièvement qu'il me sera possible.

En novembre dernier, me trouvant à Florence avec M. Courier, que j'avois vu venir dans mon magasin à Paris, que j'avois retrouvé avec plaisir à Bologne, nous visitâmes ensemble la belle bibliothèque des ma

nuscrits, dite de Médicis ou Laurentiane. Le principal motif de notre visite étoit d'y vérifier si dans un manuscrit bien connu, et contenant quatre ouvrages grecs, y compris le roman de Longus, nous trouverions le passage qui, dans ce dernier ouvrage, manque à tous les imprimés, comme il a d'abord manqué dans le manuscrit florentin d'Alamanni, qui maintenant est perdu, et sur lequel a été faite la première édition florentine de 1598, in-4., source de toutes les autres réimpressions. M. Furia, bibliothécaire, nous communique le manuscrit, et nous reconnoissons avec joie qu'il n'a point de lacune, que l'endroit inédit forme une page entière de ce manuscrit in-4. remplie d'une écriture aussi menue que serrée. M. Courier prend aussitôt la résolution de copier ce fragment, et même de collationner le texte entier de l'ouvrage qui paroît ne l'avoir jamais été, et qui faisoit espérer des variantes assez importantes: le tout, bien entendu, sans déplacement du manuscrit, et dans l'intérieur de la bibliothèque. Je remets à M. Courier quelques livres nécessaires à son travail; j'écris à Paris pour lui en faire envoyer d'autres qui ne se trouvoient pas à Florence, et dont il avoit besoin, non pas pour la simple transcription du court fragment, mais pour la révision qu'il alloit faire de tout le texte. Je pars ensuite pour Livourne où m'appeloient mes affaires; de retour le 12 novembre à Florence, où je n'avois à rester que douze heures seulement, je cours à la Laurentiane visiter MM. les bibliothécaires et M. Courier. J'y trouve ce dernier avec M. Bencini, sous- bibliothécaire; je les

vois chagrins; ils me montrent le manuscrit du Longus, et m'apprennent que la surveille, pendant une courte interruption de travail, une feuille de papier placée par inadvertance dans le manuscrit, y étoit restée collée, parce que cette feuille s'étoit trouvée fortement tachée d'encre en dessous. Je considère avec un chagrin aussi vif qu'amer (1) cette malheureuse feuille collée tout à travers, et cachant tout une page qui étoit justement celle du morceau inédit. Je fais à l'un et à l'autre l'observation que le premier soin eût dû être, le 10, jour de l'accident, d'enlever cette feuille, lorsqu'elle étoit encore moite, et par conséquent moins adhérente au manuscrit. Je demande la permission d'essayer de la décoller, afin de reconnoître l'étendue du dommage, et d'aviser à le diminuer, à le réparer, s'il étoit possible. M. Bencini m'engage à attendre l'arrivée du bibliothécaire en chef, M. Furia, qui effectivement ne tarde pas à venir. Je le prie de permettre que je détache cette feuille, si je le puis faire sans endommager le manuscrit; et, en sa présence, avec un peu de dextérité, animé par le desir de répa

(1) Ma douleur fut bien vive, peut-être même le fut-elle autant que celle de M. Furia, quoique je n'aie pas le bonheur de la faire parler en termes aussi magnifiques. « A così << orrendo spettacolo mi si gelò il sangue nelle vene, e per più

«

<< istanti, volendo esclamare, volendo parlare, la voce arres<< tossi nelle mie fauci, ed un freddo gelo invase le istupidite << mie membra. Finalmente l'indignazione succedendo al do<< lore, che mai faceste, esclamai...... ». Page 58 de l'écrit de M, Furia.

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rer un mal que je n'avois ni fait ni occasionné, mais qui cependant ne m'en chagrinoit pas moins vivement, je parviens à détacher cette feuille, en la déchirant par morceaux; et j'achève avec un plein succès cette petite opération chirurgico-bibliographique. Quand la feuille du manuscrit fut débarassée de sa triste compagne, mon premier soin fut d'inviter ceux qui l'avoient si habilement déchiffrée et transcrite, à vérifier si l'un des endroits couverts par la tache d'encre recéloit quelque passage resté incorrect, ou au moins incertain, dans la copie, qui heureusement étoit achevée. Cette vérification fut faite sur-le-champ; et il fut bien avéré qu'aucun passage oblitéré par la tache d'encre, ne laissoit le moindre louche, la moindre incertitude dans la copie, ce qui nous donna à tous quatre un peu de consolation. M. Furia demanda à M. Courier une copie du fragment; je l'invitai à avoir soin de faire cette transcription sur un papier de la juste dimension du manuscrit, et à la faire en lettres fines, avec cette perfection avec laquelle il sait écrire le grec. On convint que cette pièce seroit remise dans le plus bref délai; pour ma part je promis d'envoyer plusieurs exemplaires de la petite édition que je me proposois d'en faire à Paris aussitôt après mon retour, et de tirer ces exemplaires exprès sur du papier de la grandeur du manuscrit; afin qu'on pût, en y réunissant copie manuscrite et copie imprimée, réparer en quelque sorte le dommage et la dégradation de la page ancienne. Pour cette édition que j'allois faire, il me fut promis, en présence de M. Furia et de son aveu, que la copie qui

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