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publia son fameux et hardi libelle de Jure regni en Ecosse, tandis que Hubert-Languet écrivait sur le continent son Vindicia contra tyrannos, et Etienne de la Boëtie son Discours de la Servitude volontaire. Milton, qui avait pris à cœur de défendre aux yeux du humain le long parlement d'Angleterre, et de justifier le supplice de Charles I, composa plusieurs livres de politique où respirait le républicanisme le plus ardent, et entre autres sa Défense du Peuple anglais contre Saumaise. Quelques-unes de ces productions, remplies de la véhémence et de l'emportement des partis qui s'entre-choquaient alors avec tant de fureur, dépassèrent trop souvent le but; mais au moins elles servirent à l'indiquer, inspirèrent le desir de le rencontrer et électrisèrent efficacement les têtes. Bientôt elles firent place à des productions mieux réglées d'esprits sages et profonds qui recréèrent la science du droit de la nature et des gens. Bacon en pressentit la nécessité, et en projeta les bases comme celles de presque toutes les parties de l'édifice philosophique. Bodin, alors réformé, à qui une singulière faiblesse de caractère et d'esprit fit ensuite commettre la double faute de passer dans le parti des ligueurs et d'écrire en faveur des sorciers, avait déjà donné son excellent traité de la République, ouvrage admirable pour son temps, et qu'on lit encore avec fruit. A l'immortel Grotius était réservé d'apporter la lumière au milieu des ténèbres,

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de classer, d'ordonner les principes, et d'offrir à l'Europe le premier livre où les droits et les devoirs des hommes en société soient exposés avec force, précision et sagesse (Pourquoi JeanJacques, si grand, si ami du vrai, a-t-il, sans nulle ombre de raison, dans son Contrat social, calomnié Grotius d'une si étrange manière? N'avait-il donc pas lu le Droit de la Paix et de la Guerre, ou avait-il oublié ce qu'il avait lu?). Après Grotius, parlerai-je de son émule Selden, de son commentateur Bæcler, de Puffendorf, qui donna un Droit de la Nature, supérieur peut-être au Droit de la Paix (1); de Barbeyrac, l'heureux traducteur et l'Aristarque de ces deux ouvrages? Cependant, en Angleterre, Hobbes, soutenant un autre systême, n'en avait pas été moins utile à la science, et par les vérités qu'il avait dites, et par les réfutations qu'il avait suscitées contre lui. Algernon-Sidney suivit des principes opposés à ceux de Hobbes dans son Traité du Gouvernement, et mourut martyr de son dévouement à la cause des peuples. Il faut que je cesse de citer, malgré l'importance de semblables travaux, et quoiqu'il y ait encore à alléguer des noms, tels que Conring,

(1) Le livre de Puffendorf, comme celui de Grotius, furent mis à l'index, et défendus sous de grièves peines dans certains pays catholiques, à Rome, en Autriche, en Espagne, etc.

Forstner, Locke, Leibnitz, Wolff, Thomasius, Buddée, Jurieu, Burlamaqui, Vattel, Heineccius, Bolingbroke, Moser, et tant d'autres plus modernes dans le nord de l'Europe et de l'Amérique. Que ceci suffise pour rappeler combien l'impulsion morale donnée par la réformation a eu d'influence sur les progrès qu'a faits la science de la législation, plongée auparavant dans une barbarie scholastique égale à celle qui régnait dans la théologie. Mais en attribuant avec justice à la réformation cette influence sur l'esprit des Européens, gardons-nous de la croire une cause exclusive et bornant ses effets aux seules contrées où cette réformation est devenue dominante. L'Italie a eu son Machiavel, et l'Espagne son Mariana. L'ardeur de ces études s'accrut encore par la polémique qui eut lieu entre les divers partis. Nous avons vu, dans le dix-huitième siècle, des publicistes effacer ceux des seizième et dix-septième; mais ils ne parvinrent à les surpasser qu'en profitant de leurs travaux. Montesquieu serait-il aussi bien devenu l'orgueil de notre littérature politique, s'il n'avait eu tant de laborieux prédécesseurs par qui la carrière avait été aplanie (1)?

(1) Il a dit lui-même, dans la préface de l'Esprit des Lois : « Quand j'ai vu ce que tant de grands hommes << en France, en Angleterre et en Allemagne, ont écrit << avant moi, j'ai été dans l'admiration ».

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Il n'est

pas difficile de déduire de tous ces faits cette vérité évidente que la réformation, : qui s'est trouvée dès sa naissance si intimement en contact avec la politique et avec tous les objets d'utilité publique, a dû tourner les esprits vers les sciences qui tiennent à l'économie et à l'administration des états. Des hommes, au contraire, qui, dans leur propre patrie, vivaient sous l'influence continuelle d'une autorité étrangère, qui voyaient autour d'eux un puissant clergé séculier et régulier en possession des plus beaux domaines, prélevant en outre la dîme, le produit le plus clair des travaux du cultivateur; ces hommes devenaient incapables de tout élan généreux; l'intérêt qu'ils prenaient à la culture du sol natal était sans énergie. D'ailleurs, les membres de ce même clergé étaient les pasteurs, les instituteurs, les dépositaires de tout savoir, les maîtres de toutes les ames. Occupés des pratiques extérieures de la dévotion, du maintien des droits de l'Eglise, tels étaient aussi presque les seuls objets dont ils entretinssent les peuples. Il en résultait une ignorance et une indolence profondes sur les plus précieux intérêts des hommes en société. L'agriculture, l'économie et ses branches diverses étaient dans une dégradation déplorable. Tel est encore àpeu-près leur état dans les belles provinces de Naples et de Rome, en Espagne, en Portugal; la misère, la fainéantise, l'immoralité, tous les vices naissent, parmi les peuples, de semblables

dispositions (1): l'État reste faible et mal administré. Quelle activité, au contraire, quels per

(1) Une vérité incontestable, c'est qu'il se commet plus de crimes dans les pays catholiques que dans les pays protestans. L'auteur pourrait citer beaucoup de faits qu'il a recueillis à cet égard. Il a habité pendant plusieurs années une ville libre de l'Allemagne protestante; à peine a-t-il entendu parler d'un vol ou d'un meurtre dans cette ville et le territoire assez étendu qui en dépend. Mais à chaque fois que, durant cet intervalle, il est allé visiter sa famille dans une ville catholique, à peu près du même nombre d'habitans, il y a constamment vu le tribunal criminel (présidé par un de ses proches parens, magistrat distingué) encombré de causes horribles, d'assassinats, de parricides, de faux, de larcins. Au contraire, le duc de Brunswick (ceci est écrit en 1805), pendant vingt-cinq ans de règne, n'a pas eu à signer une seule sentence de mort dans ses états, dont la population équivaut à peu près à celle d'un département de France. M. Rebmann, président du tribunal spécial de Mayence, dans son Coup-d'œil sur l'état des quatre départemens du Rhin, assure que le nombro des malfaiteurs dans les cantons catholiques et protestans est dans la proportion de quatre, et même de six à un. A Augsbourg, dont le territoire offre le mélange des deux religions, sur 946 malfaiteurs jugés dans le cours de dix années, il ne s'est trouvé que 184 protestans, c'est-à-dire, moins d'un sur cinq. M. Ferri de St. Constant dit, en parlant des Quakers: « Leur caractère « moral est très-recommandable et digne d'imitation. II n'y a presque pas d'exemple de Quaker condamné à << mort ou à des peines infamantes. En 1791, il y avait << plus de vingt ans qu'aucun Quaker n'avait été assi

gné à Old-Bayley» (Londres et les Anglais, tom. IV,

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