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absolue. Les empereurs du nouvel empire d'Occident qui la sauvèrent de cette destinée l'effrayèrent ensuite du projet d'une monarchie universelle. Les rois de France, d'Angleterre, de Suède et de Danemarck, les princes et cités libres de l'Allemagne et de l'Italie ne s'opposaient que partiellement et tour-à-tour aux prétentions de l'un et de l'autre concurrent. Une impulsion nouvelle, un lien nouveau et puissant qui unissait ensemble les opprimés contre les deux oppresseurs à-la-fois; un événement qui réveillait toutes les passions, l'amour de la liberté, le fanatisme religieux et politique; qui décuplait les forces des princes en exaltant les peuples; qui offrait enfin aux chefs, avec l'indépendance, la riche proie des dépouilles du clergé; un tel événement, dis-je, dut alors produire dans l'Europe une agitation universelle. Le système des états modernes en fut ébranlé jusques dans ses fondemens. Durant la longue et douloureuse lutte qui s'ensuivit, tout prit une forme et une assiette différente. Un nouvel ordre politique sortit de la fermentation et de la confusion générale; les divers élémens qui le composent, long-temps agités en sens divers, obéissant enfin à la loi de gravitation du monde moral, y prirent la place assignée par leurs poids respectifs, mais qui n'était plus, pour la plupart, l'ancienne place qu'ils avaient occupée. Un nouvel ordre d'idées sortit aussi du choc des opinions; on osa penser, raisonner, examiner ce qui auparavant ne com

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ropéens ont habitué les chrétiens sectateurs de Rome à voir dans les autres des gens aussi vertueux, aussi policés, aussi éclairés qu'eux, la question doit s'énoncer d'une autre manière. Une assemblée de philosophes, au milieu de la France rendue au catholicisme, propose : « de fixer l'influence de la réformation de Luther sur l'état de la société européenne, sur le progrès des lumières ». Ce changement dans le langage en suppose un grand dans les opinions; et, sous ce point de vue, on pourrait dire que la question se répond à elle-même.

L'Institut n'ayant accompagné cette question d'aucun programme explicatif, les considérations suivantes, qui ont pour but de déterminer le sens et la latitude de la réponse, ne pourront paraître déplacées.

Il semble, au premier aspect, qu'une révolution religieuse ne devrait exercer son influence que sur ce qui touche la religion, sur le culte et la discipline de l'Eglise; mais l'Eglise et l'Etat, long-temps avant la réformation de Luther, 's'étaient tellement amalgamés dans tous les corps politiques de l'Europe; leurs droits et leurs constitutions étaient tellement confondus, qu'on ne pouvait ébranler l'une sans que l'autre n'éprouvât la même secousse. L'Eglise, qui avait partout formé un état dans l'Etat, avait poussé si loin ses usurpations sur celui-ci, qu'elle menaçait de l'engloutir. L'Europe entière fut long-temps en danger de passer sous le joug d'une théocratie

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absolue. Les empereurs du nouvel empire d'Occident qui la sauvèrent de cette destinée l'effrayèrent ensuite du projet d'une monarchie universelle. Les rois de France, d'Angleterre, de Suède et de Danemarck, les princes et cités libres de l'Allemagne et de l'Italie ne s'oppo-. saient que partiellement et tour-à-tour aux prétentions de l'un et de l'autre concurrent. Une impulsion nouvelle, un lien nouveau et puissant qui unissait ensemble les opprimés contre les deux oppresseurs à-la-fois; un événement qui réveillait toutes les passions, l'amour de la liberté, le fanatisme religieux et politique; qui décuplait les forces des princes en exaltant les peuples; qui offrait enfin aux chefs, avec l'indépendance, la riche proie des dépouilles du clergé; un tel évé nement, dis-je, dut alors produire dans l'Europe une agitation universelle. Le systême des états modernes en fut ébranlé jusques dans ses fonde-, mens. Durant la longue et douloureuse lutte qui s'ensuivit, tout prit une forme et une assiette différente. Un nouvel ordre politique sortit de la fermentation et de la confusion générale; les divers élémens qui le composent, long-temps agités en sens divers, obéissant enfin à la loi de gravitation du monde moral, y prirent la place assignée par leurs poids respectifs, mais qui n'était plus, pour la plupart, l'ancienne place qu'ils avaient occupée. Un nouvel ordre d'idées sortit aussi du choc des opinions; on osa penser, raisonner, examiner ce qui auparavant ne com

portait qu'une soumission aveugle. Ainsi, une simple atteinte portée à la discipline ecclésiastique amena un changement considérable dans la situation politique des états de l'Europe et dans la culture morale de ses habitans. L'Institut a donc été animé du vrai génie de l'histoire, en provoquant la solution du problême qu'il a si bien posé. Il est glorieux pour tout écrivain d'avoir à traiter, devant un semblable tribunal, de la religion et de la politique, ces deux points cardinaux de la vie humaine. Un des premiers apanages de la vraie liberté, est le pouvoir de s'expliquer sans contrainte sur ces objets importans; et le pays où ce pouvoir s'exerce est infailliblement un pays libre.

L'Institut, en demandant quelle a été l'influence de la réformation de Luther, indique assez qu'il considère cette influence comme n'existant plus aujourd'hui d'une manière active. En effet, près de trois siècles se sont écoulés depuis la première explosion. L'ébranlement qui en résulta s'est calmé par degrés la force qui originairement donna l'impulsion, et qui produisit tant de choses nouvelles, a cessé d'agir comme force vive, comme principe productif. Les institutions qu'elle créa, celles qu'elle modifia, sont restées la plupart, quelques-unes se sont év mais celles qui ont demeuré suivent de nos jours le cours universel des événemens, et la réformation n'est plus la cause immédiate qui dirige ce cours: elle a fait à-peu

près tout ce qu'elle devait faire; son influence ne se manifeste plus que médiatement, sans secousses, et par la marche des institutions qui ont pris d'elle leur naissance. Le temps est donc venu où on peut la juger, dénombrer et discuter les avantages ou les désavantages qui en ont résulté pour le genre humain. C'est, il n'en faut pas douter, se conformer aux vues de l'Institut, que de se borner à spécifier exactement toutes les suites prochaines qu'a eues la réformation, et se contenter d'une indication légère de ses suites éloignées. Si on voulait s'engager dans le détail de ces dernières, il faudrait refaire l'immense tableau de l'histoire des Etats Européens depuis cette époque, puisqu'il n'est presque aucun grand événement sur lequel n'ait influé à son tour plus ou moins quelqu'un des résultats de la réformation, tel la constitution du corps germaque nique, par exemple, ou la république des Provinces-Unies, et ainsi des autres. On ne sortirait jamais de ce labyrinthe des suites médiates; car, à le prendre ainsi, l'influence de toute commotion politique ou religieuse se propage à l'infini. Nous nous ressentons encore aujourd'hui de ce qui s'est passé dans l'Inde, l'Arabie, la Grèce, l'Italie, en des temps fort reculés; nous vivons sous l'influence encore très-sensible de l'invasion des peuples du Nord, des croisades, et d'autres mouvemens politiques devenus des principes d'action parmi les peuples. La ligne déviatrice, souvent tortueuse, quelquefois rétrograde de la

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