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avec empressement un propos attribue à ce prince, et qu'ils rapportèrent en ces termes : «Je demeurerai neutre, et si Paul me force à la guerre, ce ne sera que contre lui-même. » Les loisirs de la paix furent employés à étendre les anciennes et nouvelles provinces de la monarchie, et surtout à établir, dans ces dernières, une base solide de prospérité. Par le recès de l'empire, le royaume fut agrandi de 189 milles carrés d'Allemagne, et de 494,000 habitans. qu'il obtint en compensation des provinces situées sur la rive gauche du Rhin et cédées à la France par le traité de Bale. Jaloux de prévenir tout ce qui pouvait altérer la bonne intelligence entre la Prusse et la France, le roi fit, en 1803, arrêter à Bareuth quelques émigrés français, et notamment ImbertColomès, accusés de correspondre avec des royalistes dans l'intérieur de la France; et il fit remettre leurs papiers à l'ambassadeur de la république française. Il accueillit néanmoins dans ses états le prétendant, et permit jusqu'en 1804, qu'il fixat sa résidence à Varsovie. A cette époque, un agent anglais près du cercle de Basse-Saxe, nommé Rumbold, ayant été arrêté à Hambourg, Napoléon le renvoya en Angleterre sur la demande de la cour de Berlin. La coalition entre l'Angleterre, l'Autriche et la Russie, qui se forma en 1805, ne troubla pas encore la paix dont jouissait la Prusse; mais quand une armée russe se réunit sur ses frontières, et qu'on voulut la forcer de prendre part aux combats contre la France, ou de laisser du moins le passage aux troupes russes, l'armée prussienne prit des positions en Silésie et sur les bords de la Vistule, que menaçait la Russie. Ces germes de dissentions furent cependant étouffés à leur naissance. L'empereur Alexandre se rendit à Postdam, et le roi conclut avec ce monarque, le 3 novembre 1805, une convention par laquelle il accorda aux troupes russes le passage par ses états. Cette concession parut irriter vivement le cabinet des Tuileries, que les ménagemens prescrits par la politique à l'égard d'une puissance dont la neutralité, au moins apparente, pouvait se convertir en une inimitié déclarée et redoutable, contraignirent néanmoins à desdémonstrations d'amitié et de bon voisinage. On a même prétendu que l'immobilité de la Prusse, dans une conjoncture où sa coopération

pouvait fixer la victoire dans le parti dont elle embrasserait la cause, avait été chèrement achetée : et l'on a appuvé cette assertion de l'extrait suivant d'une lettre autographe de Napoléon, adressée, à ce que l'on assure, à un de ses agens près de la cour de Berlin: « Vous allez recevoir un torrent d'or. Abreuvez ces sangsues, et ne leur dites pas, mais soyez assuré que je me réserve un plaisir bien doux, celui de leur prouver plus tard que je ne manque pas de mémoire. » Cette circonstan ce, si elle est aussi exacte qu'elle paraît vraisemblable, explique les ressentimens que Napoléon fit éclater depuis, avec tant de violence, contre le cabinet prussien. Quoi qu'il en sost, Frédéric-Guillaume III sembla vouloir jouer alors le rôle de médiateur entre les puissances belligérantes. Le comte de Haugwitz, tombé en disgráce depuis quelque temps, reprit au ministère des affaires étrangères son ancien poste, dans lequel il avait été remplacé par le baron de Hardenberg (voy. ce nom), qui était connu pour être opposé aux intérêts de la France; et vers la fin d'octobre 1805, il fut envoyé auprès de Napoléon, qui se trouvait alors à Vienne. Soit qu'il fût entièrement dévoué au cabinet des Tuileries, comme on l'a cru généralement, soit qu'il ne fût guide que par des considérations politiques, il affecta une joie extrême des résultats de la bataille d'Austerlitz, et s'écria, en présence de M. de Talleyrand: «Dieu merci, nous avons vaincu !» La conduite ultérieure de la Prusse donna, au surplus, lieu de croire qu'elle avait changé de politique, et qu'elle allait désormais unir ses intérêts à ceux de Napoléon. Cette puissance avait déjà occupé, en 1800, l'électorat d'Hanovre ; un corps de troupes prussiennes prévint les armées russe et suédoise, et prit de nouveau possession de cet état le 27 octobre 1805, en conséquence d'un traité que le comte de Haugwitz signa à Vienne, le 15 décembre, avec l'empereur Napoléon. Par ce traité, la France abandonnait à la Prusse la possession de l'électorat d'Hanovre, et la Prusse cédait à la France les pays d'Anspach, Clèves et la principauté de Neufchatel. La proclamation que le roi de Prusse adressa, le 17 janvier 1806, aux habitans de l'électorat d'Hanovre, apprend que ce prince devait accuper ce pays jusqu'à la paix générale. Ce traité stipula, en outre, la garantie réciproque

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des possessions anciennes et des acquisitions nouvelles, et les résultats de la paix de Presbourg; mais le roi ne voulut le ratifier que moyennant de certaines modifications relatives aux rapports de la Prusse et de l'Angleterre. Le comte de Haugwitz fut envoyé en janvier 1806, à Paris, pour faire admettre ces modifications: mais le traité qu'il signa le 15 février, avec le général Duroc, fut loin de remplir l'objet que la cour de Berlin s'était proposé. Le roi de Prusse fut en même-temps forcé d'agir hostilement contre l'Angleterre, en fermant aux navires britanniques l'entrée des trois fleuves qui traversent ses états pour se jeter dans la mer du Nord. Le gouvernement anglais, à son tour, expedia, le 29 mai 1806, des lettres de marque contre la Prusse, et lui déclara la guerre le 11 juin suivant, après avoir protesté contre l'occupation du pays d'Hanovre, dans un manifeste du 20 avril, où l'on remarque le passage suivant: Il est évident que la conduite de la cour de Berlin n'est pas le résultat libre de la volonté de son souverain; mais qu'elle est la suite de l'influence que nos ennemis exercent dans le cabinet de ce prince, etc. » La possession de l'électorat d'Hanovre brouilla aussi la Prusse avec la Suède. Cette puissance, à laquelle l'Angleterre avait payé des subsides, prétendit qu'el le devait protéger le duché deLauenbourg; ce qui n'empêcha pas les Prussiens de s'emparer de ce pays, qui fut évacué par les Suédois, le 23 avril, après un petit combat près du lac de Schaalsée. Le roi de Suède mit alors un embargo sur tous les navires prussiens qui, à cette époque, se trouvaient dans les ports de la Suède et de la Pomeranie; il donna également l'ordre de bloquer les ports prussiens dans la mer Baltique. Bientôt le projet de la confédération du Rhin, présenté à Napoléon par une cour d'Allemagne dans d'autres vues que celles qui en furent le résultat, seconda merveilleusement ses intentions hostiles contre la Prusse, et cette confédération devint l'objet des négociations les plus importantes. Le marquis de Lucchesini était, depuis plusieurs années, ministre du roi de Prusse à Paris. On ne peut douter que ses rapports et ses négociations n'aient beaucoup contribué à inspirer à la cour de Berlin une sécurité qui devait causer sa ruine. Il etait néanmoins dès-lors aisé de

voir que Napoléon ne pardonnait à la cour de Berlin, ni sa politique tortueuse, ni surtout le danger qu'elle lui avait fait. courir un instant; et des articles semiofficiels, insérés, suivant l'usage, soit dans le Moniteur, soit dans des feuilles étrangères, écrites sous l'influence française, firent prévoir à ceux qui se connaissaient en symptomes politiques, que ce monarque, délivré des ennemis formidables qu'il avait eu jusqu'alors à combattre, ne tarderait pas, en accablant la Prusse, à satisfaire à la fois sa vengeance et son ambition. Ces dispositions hostiles frappèrent enfin les yeux de ceux qu'elles menaçaient. Lorsque cette cour parut sortir de sa lethargie, elle se réconcilia avec la Suède ; et, changeant de langage envers la France, elle demanda non-seulement que cette puissance retirat ses troupes de l'Allemagne, mais même qu'elle ne s'opposát en aucune manière à une confédération du Nord,qui aurait compris tous les états allemands non désignés dans l'acte fondamentalde la confédération du Rhin, et dont la Prusse aurait été le chef, comme Napoléon était le protecteur de cette dernière. Le ministre prussien, M. de Knobelsdorf, qui avait remplacé M. de Lucchesini, demandait encore, au nom de son souverain, que la forteresse de Wesel fût séparée de l'empire français, et que les abbayes d'Essen, Elten et Verden, occupées par les troupes françaises, fussent restituées; enfin qu'une négociation fût immédiatement entamée pour arranger tous les différends. Il était néanmoins impossible d'espérer quelque succès de propositions semblables, d'après l'aigreur et la passion qui existaient des deux côtés. Si des souvenirs récens animaient Napoléon contre la Prusse, il était facile de remarquer, parmi plusieurs personnages distingues de la cour de Berlin, une extrême animosité contre la France. A la tête du parti qui voulait la guerre, était le prince LouisFerdinand ( voy. ce nom), qu'un besoin immodéré d'action et la soif de la célébrité portaient à háter l'instant où il pourrait échapper à l'oisiveté des cours. Entraîné par la fougue de la jeunesse, et l'impétuosité naturelle de son caractère, il alla jusqu'à oublier ses devoirs comme parent et comme sujet. Il manifesta la haine la plus furieuse contre le comte de Haugwitz, qui, comme nous l'avons dit, était opposé à la guerre; et l'on a cru

que ce fut à son instigation que quelques officiersdes gendarmesde la gardecassèrent les vîtres de l'hôtel de ce ministre, tandis qu'ils donnaient une sérénade au ba ron de Hardenberg, counu pour être d'une opinion tout opposée. Le chargé d'affaires de France fut lui-même exposé aux insultes de cette jeunesse indisciplinée et dès-lors il fut aisé de voir qu'aucun moyen de conciliation n'était plus praticable. Enfin, le roi, cédant au mouvement qui emportait tout autour de lui, et informé d'ailleurs de l'activité avec laquelle Napoléon poursuivait ses préparatifs, résolut d'éclater. Il consigna, dans un manifeste daté d'Erfurt, le 9 octobre 1806, les motifs sur lesquels se fondait cette résolution, et adressa, le même jour, une proclamation à son armée, qui venait d'être grossie d'un corps de 22,000 Saxons sous les ordres du prince de Hohenlohe. Cette armée était nombreuse, et de grands souvenirs de gloire semblaient autoriser la confiance qu'annonçaient la plupart de ses chefs; mais le génie du grand Frederic ne la dirigeait plus, tandis que les forces ennemies étaient sous les ordres d'un général accoutumé à maîtriser la victoire. En outre, la Prusse n'ayant pas fait la guerre depuis très long-temps, à l'exception de la courte campagne de 1792, en Champagne, la plus grande partie des hommes qui la composaient manquaient de cette habitude des combats, que tant d'actions sanglantes avaient donnée à l'armée française. Enfin, une telle imprévoyance avait présidé aux apprêts de cette guerre, que le 13 octobre 1806, veille du jour où les destins de la Prusse parurent fixés, l'armée, suivant la déclaration faite au duc de Brunswick par le chef de l'état-major, manquait de pain, de fourrages, et n'avait qu'une quantité très-insuffisante de munitions de guerre. Ce fut sous de tels auspices que commença cette campagne, qui devait être si courte, mais si funeste pour la Prusse. Le 8 octobre, les Prussiens commencèrent les hostilités en passant la Saale. Le lendemain, un de leurs corps fut défait par le prince de PonteCorvo, aujourd'hui roi de Suède : le 10, le prince Louis-Ferdinand, commandant l'avant-garde, trouva près de Saalfeld la mort qu'il semblait chercher; et, le 14, la bataille de Jéna, ou d'Auerstadt, sembla avoir décidé du sort de la monar

chie prussienne. Le roi eut, dans cette journée, deux chevaux tués sous lui, et reçut une balle dans la manche de son habit. Jamais défaite n'eut des conséquences plus promptes et plus complètes. Le duc de Brunswick perdit la vie (voy. cenom): le prince de Hohenlohe, séparé de sa cavalerie, fut forcé de capituler ; d'autres divisions eurent le même sort. Les places fortes, qui auraient pu arréter le vainqueur, et donner aux vaincus la faculté de se rallier sous leurs remparts, étaient si mal approvisionnées, et les ouvrages de quelques-unes d'entre elles se trouvaient dans un tel état de délabrement, qu'elles ne pouvaient opposer que peu ou point de résistance. Celles qui en paraissaient plus susceptibles furent livrées, ou par la trahison, ou par l'esprit de vertige dont leurs commandans paraissaient frappés. Le blame principal retomba sur le chef du génie (voy. GEUSAU), que l'on accusa également de la mauvaise organisation des hopitaux militaires,partiedont il était chargé. L'Europe fut frappée de stupeur à la vue d'une chute si rapide. Frédéric GuilJaume ne parut pas cependant perdre tout espoir. Il fit faire des démarches auprès du vainqueur; mais les négociations ne pouvaient, en pareille circonstance, obtenir ce qu'on avait inutilement attendu des armes, et les succès que venait d'obtenir Napoléon, et que lui-même avait, sans doute, présumé devoir étre moins rapides et plus chèrement achetés, donnaient la mesure de tout ce qu'il pouvait exiger d'un adversaire réduit à une telle extrémité. Le roi obtint cependant une suspension d'armes, qui fut signée à Charlottenbourg le 6 novembre, mais qui ne fut pas ratifiée par Napoléon, sous le prétexte qu'une partie des provinces prussiennes se trouvaient occupées par les troupes russes. Il fallut donc recourir de nouveau aux armes: mais ce ne pouvait être qu'avec des chances défavorables. Une portion considérable du territoire était déjà au pouvoir du vainqueur; des officiers ineptes ou infidèles avaient fait mettre bas les armes avoir combattu, aux corps qu'ils commandaient. Le général Blucher (voy. ce nom) était presque le seul qui eût soutenu l'ancienne gloire des étendards prussiens; mais lui-même, après une longue et intrépide résistance, avait été forcé de capituler. Des malheurs si grands

lui

sans

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et si imprévus áccablèrent l'ame du monarque, sans abattre son courage. Il exposa à ses peuples les malheurs de sa situation, et les négociations auxquelles il avait eu recours, par une proclamation du 2 décembre 1806: «Dans la guerre de sept ans, dit-il, la Prusse était seulé, sans aucun secours considérable d'aucune autre nation, contre les principales puissances de l'Europe. Dans la guerre actuelle, elle compte sur le secours du puissant et magnanime Alexandre, qui emploiera toutes ses forces en sa faveur. Dans cette grande contestation, la Prusse n'aura qu'un seul et méme intérêt avec la Russie. » Par une ordonnance du 1er décembre, datée d'Ortelsbourg, le roi ordonna la punition des officiers qui avaient contribué à la capitulation des forteresses de Stettin, de Custrin, de Spandau et de Magdebourg. Le gouvernement français avait essayé de faire insurger les provinces de la Prusse méridionale: et cette tentative pouvait ne pas demeurer sans effet chez un peuple fatigue depuis long-temps par le despotisme, et surtout dans les campagnes, par la féodalité: mais il n'y eut que des mouvemens partiels, que le roi comprima par sa proclamation d'Osterode, du 18 novembre 1806, qui ordonna de traduire devant une commission militaire quiconque prendrait part à la révolte. Le théatre de la guerre fut transporté dans les provinces insurgées de la Pologne prussienne. Frédéric-Guillaume III avait fait une alliance avec l'empereur Alexandre, et les troupes françaises rencontré rent l'armée russe en Pologne. Ce souverain arriva le 1er avril à Polangen, et eut une entrevue avec son allié. Le lendemain, Alexandre donna pour mot d'or dre à sa garde : Memel et Frédéric. Dèslors l'armée russe et ce qui restait des troupes prussiennes, unirent leurs efforts; elles soutinrent avec fermeté des attaques multipliées, et la terrible journée d'Eylau sembla même, un moment, leur promettre des succès ultérieurs; mais la bataille de Friedland, gagnée, le 14 juin, par Napoléon, et le traité de Tilsitt, qui en fut la suite, détruisirent ces espérances en ce qui regardait la cour de Berlin. Par ce traité (8 juillet 1807), la monarchie prussienne perdit à-peu-près la moitié de sa population, en renonçant aux principautés de l'Ost-Frise, à Minden, Hildesheim, Paderborn, Münster, Bayreuth,

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Erfurt et l'Eichsfeld, à l'électorat d'Hanovre, à la principauté d'Osnabruck, aux comtés de la Marck, Ravensberg, Teklen bourg et Lingen, à la Vieille-Marche et au duché de Magdebourg, à la principauté de Halberstadt, à la Prusse meridionale, à la nouvelle Prusse orientale, à une partie considérable de la Prusse occidentale, etc. Enfin, le roi de Prusse reconnut le royaume de Westphalie et le grand-duché de Varsovie, formés, pour la plus grande partie, des anciennes provinces prussiennes. La Russie, alors alliée de la Prusse, fut agrandie aux dépens de cette puissance. Dantzig fut déclarée ville libre anseatique sous la protection des rois de Prusse et de Saxe; et l'on stipula, en même temps, que la navigation sur la Netz et le canal de Bromberg serait exempte de tout impót. Une convention, particulière établit une route militaire à travers les états prussiens; enfin la Prusse s'engagea encore à fermer tous ses ports au commerce britannique. Des corps français continuèrent d'occuper la plupart des provinces prussiennes mément Stettin Custrin et Glogau sous le prétexte de faire rentrer les contributions arriérées. Le roi quitta, le 27 décembre 1808, la ville de Koenigsberg et se rendit, avec la reine et ses deux fils, à Pétersbourg, où il arriva le 7 janvier : il en partit, le 31 du même mois, après y avoir reçu l'accueil le plus flatteur; et le 23 décembre 1809, il rentra dans Berlin. Accablé par ses malheurs et la misère de ses sujets; exposé, dans sa propre capitale, à etre insulté par le vainqueur, Frédéric-Guillaume ne trouva de consolation que dans sa famille et dans l'attachement que lui marquaient ses sujets. Il travailla sans cesse à donner à la monarchie une nouvelleorganisationpolitique.Le baron de Hardenberg fut nommé chance. lier de l'état. Un décret du 19 novembre 1808 établit un nouvel ordre municipal dans les villes ; celui du 6 novembre 1809 arreta que les domaines royaux seraient aliénés; celui du 30 octobre 1810 sécularisa les couvens et autres biens ecclésiatiques. Mais l'année 1810 couvrit de deuil la famille royale et toute la Prusse. La reine succomba, le 19 juillet, à l'état de langueur où l'avaient plongée les malheurs de la monarchie; et ni le monarque ni ses sujets n'ont encore pu se consoler de cette perte. La Prusse tout

entière célèbre chaque année l'anniversaire de sa mort, sans qu'aucune ordonnance l'invite à cet hommage de sa vénération; 'et, ce jour-là, le roi se tient toujours dans un entier isolement de sa cour. Le despotisme de Napoléon et les vexations des troupes restées en Prusse avaient cependant porté l'indignation des Prussiens à ce degré de haine et d'exaspération qui déjoue toutes les combinaisons de la politique. L'Alliance de la vertu (Tugendbund) naquit de cette disposition générale des esprits; et bientôt cette société eut des ramifications nombreuses dans tous les états d'Allemagne (voy: ARNDT). La circonspection du roi pouvait seule contenir l'impatience nationale, lorsqu'en 1812 la guerre éclata de nouveau entre la Russie et la France. La Prusse était dans unė position qui pouvait amener sa ruine absolue, si elle eût, dans ce moment, hasardé un mouvement hostile, que sa situation ne lui permettait pas de soutenir, et qui, en échouant, l'exposait à la plus implacable vengeance. Napoléon exigeait que la Prusse lui fournit un corps auxiliaire dans la grande lutte qu'il allait entreprendre; et il eût été aussi dangereux de vouloir éluder sa volonté à cet égard, que de lui résisterde front. Cette considération décida le roi, malgré la clameur générale, à négocier à Paris, par l'entremise de M. de Kruse mark, un traité(24 février 1812) par lequel les deux puissances se garantirent l'intégrité de leur territoire, et un secours mutuel en cas de guerre. Dans le courant du mois de mai, le roi se rendit avec sa famille à Dresde, où il eut plusieurs conférences avec Napoléon, qui partit aussitôt après pour attaquer la Rus sie. Un corps auxiliaire prussien, commandé par le général York, s'avança, sous les ordres du maréchal Macdonald, de la Prusse orientale dans la Courlande, et fut destiné à faire le siége de Riga. Ce corps eut à soutenir, sur ce point, des combats meurtriers, et les rapports français affectèrent de parler, avec le plus graud éloge, de la valeur et du dévouement qu'y avaient manifesté les Prussiens; mais les désastres que l'armée française éprouva dans sa retraite de Moscou, fournirent bientôt à ces derniers les moyens de recouvrer leur indépendance. Le général York saisit la premiére occasion qui se présenta, pour se séparer des Français, et, bien que Frederic-Guillaume III I

pa

rût alors désaprouver sa conduite, il est probable que ce général ne fit que se conformer aux intentions deson souverain; et peut-être même suivit-il en cela les instruc tions qu'il en avait reçues. Il fut imité par le colonel Massenbach (voy. ce nom), et le général Bulow, qui s'était retiré sur l'Oder, ne tarda pas à suivre leur exemple. Cependant la situation du roi était encore bien difficile : l'armée française ef. fectuait sa retraite à travers ses provinces, dans un grand désordre; mais le monarque prussien n'avait pas réuni assez de troupes auprès de sa personne. Il fut souvent insulté, et, dans la nuit du 17 au 18 janvier, il se vit près d'étre fait prisonnier au château de Charlottenbourg par un détachement de gendarmes français. Ce fut alors qu'il prit le parti de transporter sa résidence à Breslau. Il établit à Berlin une commission chargée du gouvernement pendant son absence. En partant, il exhorta le peuple à éviter tout ce qui pourrait choquer les autorités et les troupes françaises. Le 9 février, des proclamations énergiques appelèrent tous les Prussiens à la défense de la patrie, et bientôt une foule innombrable de guerriers s'empressa de répondre à cet appel. L'enthousiasme et le désir de la vengeance précipitèrent sous les drapeaux et la vieillesse et l'adolescence : les pères s'enrôlaient avec leurs enfans, et quiconque, étant en état de servir, ne se hatait pas de répondre à la voix de la patrie, encourait un opprobre ineffaçable. C'est ainsi que, dans la terre classique du despotisme, Napoléon, par un despotisme plus grand, était parvenu à changer des sujets mécontens en citoyens exaltés! C'est dé cette époque que date l'institution militaire des corps de chasseurs volontaires, qui se formèrent d'abord en Prusse, et ensuite dans toute l'Allemagne, et à la composition desquels concourut particu lièrement la jeunesse des universités, qui ne tarda pas à se signaler par des actions où brillait le plus audacieux courage, et qui rendit des services que l'on a promptement oubliés, mais dont elle a prouvé qu'elle savait faire valoir le souvenir. En moins d'un mois,une armée toute nouvelle fut rassemblée à Breslau, et réunie aux Russes. Elle suivit les Français, qui évacuèrent successivement la Prusse, la Saxe, et se retirèrent en Franconie. Les alliés passèrent le reste de l'hiver à se prépa

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