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persécutons, puisque vous voulez souffrir? Vous devriez, au contraire, aimer ceux par qui vous souffrez ce que vous voulez souffrir. » Sans doute, nous voulons souffrir, mais comme on souffre la guerre, que personne n'aime à souffrir, à cause des alarmes et des périls qu'il faut subir. 2 Et pourtant on combat de toutes ses forces et, une fois vainqueur dans le combat, celui qui se plaignait du combat, se réjouit, parce qu'il obtient à la fois la gloire et le butin. Notre combat à nous, c'est d'être traînés devant les tribunaux, afin d'y lutter, au péril de notre tête, pour la vérité. Or, c'est remporter la victoire que d'atteindre le but pour lequel on lutte. Et cette victoire a un double résultat : la gloire de plaire à Dieu, et le butin qui consiste dans la vie éternelle. 3 Mais nous succombons! Oui, certes, mais après avoir gagné notre cause. Donc, nous sommes vainqueurs, quand nous mourons; en un mot, nous échappons, quand nous succombons! Appelez-nous maintenant, si vous voulez, des « gens de sarments » et des «gens de poteaux », parce que vous nous attachez à des poteaux et que vous nous entourez de sarments pour nous brûler! Voilà notre attitude dans la victoire, voilà notre tunique palmée, voilà le char sur lequel nous triomphons ! 4 Il est donc naturel que nous ne plaisions pas aux vaincus, et voilà pourquoi ils nous qualifient de « désespérés et de fous furieux ». Cependant se livrer à ce désespoir et à cette folie, quand la gloire et la renommée sont en jeu, c'est à vos yeux lever l'étendard du courage.

5 Mucius Scévola laissa volontairement sa main droite sur l'autel : quelle âme sublime ! Empedocle se livre tout entier aux feux de l'Etna : quelle force d'âme ! Une certaine fondatrice de Carthage échappe à un second mariage grâce au bûcher : quelle glorification de la pudeur et de la chasteté ! 6 Régulus, ne voulant pas à lui seul sauver la vie d'une multitude d'ennemis, endure dans tout son corps le supplice de la croix quel héros, vainqueur jusque dans la captivité ! Anaxarque, tandis qu'on le broyait par un pilon à la manière de l'orge, disait : « Broie, broie l'enveloppe d'Anaxarque, car pour Anaxarque, ce n'est pas lui que tu broies. » Quelle grandeur d'âme chez ce philosophe, qui plaisantait au moment même où il subissait une pareille mort! 7 Laissons de côté ceux qui ont cru s'assurer la gloire en se perçant de leur propre épée, ou par un autre genre de mort plus doux. Voici que des concours où l'on fait assaut de tourments sont couronnés par vous. 8 Une courtisane d'Athènes, après avoir lassé son bourreau, se coupa la langue avec les dents et la cracha à la face du tyran plein de rage, pour cracher ainsi sa voix et pour ne pas pouvoir dénoncer les conjurés, quand même, vaincue par la douleur, elle l'aurait voulu. 9 Zénon d'Elée, interrogé par Denys sur ce que pouvait donner la philosophie, répondit : « Le mépris de la mort », et, impassible sous les verges du tyran, il scella sa réponse de son sang, jusqu'à la mort. On le sait, la flagellation des jeunes Lacédémoniens, rendue plus cruelle encore par les exhortations de leurs proches, vaut à la maison de chacun

10 O gloriam licitam, quia humanam, cui nec praesumptio perdita nec persuasio desperata reputatur in contemptu mortis et atrocitatis omnimodae, cui tantum pro patria, pro agro, pro imperio, pro amicitia pati permissum est, quantum pro Deo non licet! 11, Et tamen illis omnibus et statuas defunditis et imagines inscribitis et titulos inciditis in aeternitatem ! Quantum de monumentis potestis scilicet, praestatis et ipsi quodammodo mortuis resurrectionem. Hanc qui veram a Deo sperat, si pro Deo patiatur, insanus est!

12 Sed hoc agite, boni praesides, meliores multo apud populum, si illis Christianos immolaveritis, cruciate, torquete, damnate, atterite nos probatio est enim innccentiae rostrae iniquitas vestra ! Ideo nos haec pati Deus patitur. Nam et proxime ad lenonem damnando Christianam potius quam ad leonem, confessi estis, labem pudicitiae apud nos atrociorem omni pcena et omri morte reputari.

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13 Nec quicquam tamen proficit exquisitior quaeque crudelitas vestra illecebra est magis sectae. Etiam plures efficimur, quotiens metimur a vobis: semen est sanguis Christianorum ! 14 Multi apud vos ad tolerantiam doloris et mortis hortantur, ut Cicero in Tusculanis, ut Seneca in Fortuitis, ut Diogenes, ut Pyrrhon, ut Callinicus; nec tamen tantos inveniunt verba discipulos, quantos Christiani factis docendo. 15 Ipsa illa obstinatio, quam exprobratis, magistra est. Quis erim ron contemplatione eius concutitur ad requirendum, quid intus in re sit? Quis non, ubi requisivit, accedit, ubi accessit, pati exoptat, ut totam Dei gratiam redimat, ut omnem veniam ab eo compensatione sanguinis sui expediat ? 16 Omnia enim huic operi delicta donantur. Inde est, quod ibidem sententiis vestris gratias agimus. Ut est aemulatio divinae rei et humanae, cum damnamur a vobis, a Deo absolvimur.

omnimodae P; omnimodo F.

pro agro

10 quia humanam P; quia humana F. F; om. P. pati permissum est P ; permissum est F. 11 defunditis P ; decernitis F. inscribitis P ; scribitis F. - praestatis et ipsis *F. - 12 damnandam F ; damnando P. - confessi estis P; putastis, et confessi estis F. efficimur F; plures efficimus P. 14 Callinicus *F; gallinicus P. illa ipsa P.

etiam plures ipsa illa F;

16 absolvimur. APOLOGYTICVM QVINTI TERTVLLIANI EXPLICIT.

un renom de patience d'autant plus glorieux qu'elle a fait couler plus de sang.

10 O gloire licite, parce qu'humaine ! On ne l'impute ni à un préjugé furieux, ni à une croyance désespérée, malgré le mépris de la mort et des atrocités de tout genre. Pour la patrie, pour le territoire, pour l'empire, pour l'amitié, il lui est permis de souffrir ce qu'il est défendu de souffrir pour Dieu ! 11 A tous ceux-là vous coulez des statues de bronze, vous dédiez des portraits, vous gravez des inscriptions pour les immortaliser! Vous donnez vous-mêmes à ces morts, autant que les monuments vous permettent de le faire, naturellement, une sorte de résurrection! Et celui qui espère de Dieu la résurrection véritable, s'il souffre pour Dieu, est un insensé !

12 Mais courage, bons gouverneurs, qui devenez beaucoup meilleurs aux yeux du peuple, si vous lui immolez des chrétiens, tourmenteznous, torturez-nous, condamnez-nous, broyez-nous! C'est une preuve de notre innocence que votre iniquité ! Et voilà pourquoi Dieu supporte que nous supportions ces tribulations. Car naguère encore, en condamnant une chrétienne à l'entremetteur plutôt qu'au lion, vous avez reconnu que la perte de la pudeur est regardée chez nous comme un mal plus atroce que toute espèce de châtiment et que toute espèce de mort.

13 Mais elles ne servent à rien, vos cruautés les plus raffinées. Elles sont plutôt un attrait pour notre secte. Nous devenons plus nombreux, chaque fois que vous nous moissonnez : le sang des chrétiens est une semence. 14 Il y en a beaucoup chez vous qui exhortent à supporter la douleur et la mort par exemple, Cicéron dans ses Tusculanes, Sénèque dans ses Choses fortuites, Diogène, Pyrrhon, Callinicus. Et pourtant leurs paroles ne trouvent pas autant de disciples que les chrétiens qui enseignent par leurs actions. 15 Cette « obstination » même, que vous nous reprochez, est une leçon. Qui, en effet, à ce spectacle, ne se sent pas ébranlé et ne cherche pas ce qu'il y a au fond de ce mystère ? Qui donc l'a cherché sans se joindre à nous ? Qui s'est joint à nous sans aspirer à souffrir pour acheter la plénitude de la grâce divine, pour obtenir de Dieu un pardon complet au prix de son sang? 16 Car il n'est pas de faute qui ne soit pardonnée au martyre. Et voilà pourquoi nous vous rendons grâces, à l'instant, pour vos sentences. Telle est la contradiction entre les choses divines et les choses humaines : quand vous nous condamnez, Dieu nous absout.

BIBLIOGRAPHIE

Nous complétons ici la liste que nous avons dressée dans notre Etude sur le Codex Fuldensis, pp. 489-493. Cf. R. Klussmann, Bibliotheca, II, 2, pp. 280-287. Teuffel, Gesch. der roem. Litt., VI, § 373.

ÉDITION

S. Septimii Florentis Tertulliani Apologeticus. The text of Oehler annotated (pp. 149-486), with an Introduction (pp. Ix-xx), by JOHN E. B. MAYOR. With a translation by ALEX. SOUTER. Cambridge, University Press, 1917.

Le long commentaire consiste en passages parallèles des auteurs païens et chrétiens, qui expliquent soit les idées soit les mots.

DISSERTATIONS

P. DE LABRIOLLE, Tertullien était-il prêtre? Bull. d'anc. litt. chrét., t. III, 1913, pp. 161-177.

AD. HARNACK, Tertullians Bibliothek christlicher Schriften. Sitzungsber. der Berliner Akademie, 1914, pp. 303-304.

E. LÖFSTEDT, Kritische Bemerkungen zu Tertullians Apologeticum. Lund, Gleerup, 1918. 118 pp.

G. THÖRNELL, Kritiska Studier till Tertullianus' Apologeticum. Uppsala, Almquist, 1917. 160 pp. Eranos, vol. XVI.

G. THÖRNELL, Studia Tertullianea. Uppsala, A. B. Akademiska Bokhandeln. 1917. 86 pp.

L. WOHLEB, Tertullians Apologeticum. Berliner philolog. Wochenschrift, 1916, pp. 539, 603, 637, 848, 1537, 1568, 1603, 1635.

J. P. WALTZING, Tertullien et Salvien. Mélanges DE BORMAN, pp. 13-17. Liége, Vaillant-Carmanne. 1919. Repris dans LE Musée Belge, vol. XIX.

11. Hoppe, Beiträge zur Sprache und Kritifs Tertulliane. Lund, Gleerup, 1932 168p. Skrifter utgrund av Vitenskaps- Societeler i Lund. No. 14.

CORRIGENDUM

C'est par erreur qu'au ch. 25,5, notre commentaire explique impurissimus (F). Il faut lire sanctissimus (P). Tertullien a dit ironiquement archigallus ille sanctissimus ; le correcteur a mis impurissimus, n'ayant pas vu l'ironie ou suggestionné par sanguinem impurum. Si Tertullien avait écrit: archigallus ille impurissimus, le correcteur n'aurait pas songé à remplacer impurissimus (le terme propre) par sanctissimus (l'épithète ironique).

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