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AVANT-PROPOS

Il existe deux traditions manuscrites de l'Apologétique. L'une est commune à la plupart des ouvrages de Tertullien : c'est elle que les éditeurs modernes ont longtemps suivie, à l'exclusion de l'autre : elle a fourni ainsi un texte qu'on peut appeler la Vulgate de l'Apologétique. Cette tradition a été conservée par une trentaine de manuscrits, dont les plus corrects sont le Parisinus 1623 (P) et le Montepessulanus H, 54 (M). L'autre, très différente, est spéciale à l'Apologétique et au traité Adversus Iudaeos; elle est représentée par un Codex Fuldensis (F), depuis longtemps perdu, mais collationné à la fin du XVIe siècle par le philologue belge Modius. Dans notre Etude sur le Codex Fuldensis (p. 12-26 et 420-469), nous avons montré comment et dans quel état les variantes relevées par Modius sont parvenues jusqu'à nous : Junius les a imprimées à la suite de son édition et un manuscrit de Brême contient une copie du commencement (ch. 1-15). Il faut noter que cette copie de Brême est plus correcte que l'impression de Junius. En outre, le fragment conservé par un Codex Rhenaugiensis (ch. 38-40) appartient à la même tradition.

Dans notre Etude sur le Codex Fuldensis nous avons comparé les mss F et P, et nous avons conclu que les deux traditions, si différentes l'une de l'autre, d'un ouvrage tant lu et tant admiré, se sont formées de très bonne heure et que une fois nées, elles ont eu une vie séparée, qu'il n'y a pas eu de relations entre elles. Malheureusement chacune a subi, de son côté, la revision, souvent maladroite, de correcteurs et de remanieurs qui, pour rendre le texte plus intelligible aux lecteurs du haut moyen âge, ont souvent méconnu la langue et même la pensée de Tertullien. Ce travail de revision a été moins fatal à F qu à P; mais, pour essayer de rétablir le texte dans sa pureté primitive, on ne peut pas négliger P. Si F nous aide souvent à corriger P, il arrive aussi que P nous sert pour corriger F. Il faut donc sans cesse comparer les deux traditions, peser les variantes et faire un choix. La critique des textes n'offre pas un travail plus délicat que celui qu'impose une édition de l'Apologétique.

Nous avons tenté ici de faire ce travail et nous prions le lecteur de considérer avec bienveillance les résultats de nos longs efforts. S'il veut bien prendre la peine de comparer cette édition avec celles de nos devanciers, il reconnaîtra, nous l'espérons du moins, que le texte de cet écrit fameux, digne à tous égards d'une étude minutieuse, se trouve ici amélioré d'un bout à l'autre. Nous ne nous flattons d'ailleurs nullement de n'avoir rien laissé à faire à nos successeurs: il reste sans doute bon nombre d'endroits sur lesquels les opinions des critiques différeront toujours; mais il en est beaucoup aussi sur lesquels on ne discutera plus. Si nous ne nous trompons, l'Apologétique, qui était hérissé de passages difficiles ou obscurs, sera devenu plus clair, plus facile à comprendre et plus agréable à lire.

Dans notre apparat critique, on trouvera pour la première fois un relevé complet des variantes des deux traditions. Nous avons recollationné P et M. Là où nous ne donnons ni variante ni émendation, il est entendu que nous suivons P et que Modius n'a consigné aucune différence de lecture dans F. Pour être tout à fait complet, nous avons indiqué les lectures de De la Barre qui diffèrent de P, sans que Modius signale une variante de F. Si la collation de Modius, faite sur De la Barre, était complète, il faudrait admettre qu'en ces passages De la Barre était d'accord avec F. Nous avons dit dans notre Etude sur le Codex Fuldensis, ce qu'il faut penser de ces lectures de De la Barre (*F) et dans quels cas elles méritent notre attention.

Notre traduction a été publiée pour la première fois dans un volume qui a été entièrement consumé, avec l'imprimerie et la librairie Charles Peeters, dans l'incendie de Louvain, allumé par des Transrhénans en août 1914. Nous l'avons revue et corrigée avec grand soin. Elle s'attache à être toujours littérale. Nous savons que, pour suivre le mouvement de la pensée et du style, il faut parfois s'écarter du texte. Mais nous prions qu'on tienne compte de notre dessein, car il faut juger une traduction par le but du traducteur. Or nous avons voulu surtout guider le lecteur qui tient à goûter l'original et qui n'a recours au traducteur que s'il est arrêté par le texte latin. C'est pourquoi nous avons dû chercher à rendre le sens de tous les mots et, comme on dit, serrer le texte de près. Nous ne nous dissimulons pas que la traduction s'en trouve parfois alourdie, et nous aurions procédé différemment si nous avions eu en vue une autre catégorie de lecteurs. Nous croyons que, telle qu'elle est, elle corrige, à chaque page, des bévues et des contresens qu'on a commis jusqu'ici, faute de comprendre la langue de Tertullien ou de disposer d'un texte correct.

1)

Tertullien nous a coûlé de longues veilles. Nous serions amplement récompensé, si l'on voulait bien reconnaître que nous avons contribué à faire mieux comprendre et goûter « un des grands livres de l'antiquité (P. de Labriolle), un des plus nobles chefs-d'œuvre de l'esprit humain, le plus beau joyau de la littérature latine des premiers siècles chrétiens. En tous cas, nous osons redire ici avec le grand poète du moyen âge (Inf., I, 83):

Vagliami il lungo studio e il grande amore !

Liége le 15 Nov. 1919.

APOLOGÉTIQUE DE TERTULLIEN

I. Texte revu, apparat critique et traduction littérale

MANUSCRITS

I. TRADITION SPÉCIALE

Cette tradition est propre à l'Apologétique et au Contra Iudaeos.

F Codex Fuldensis (IXe ou Xe siècle).

* F

Ce ms perdu fut collationné en 1584, par Modius, sur l'édition de L. R. De la Barre (1584). La collation de Modius fut imprimée par Junius à la suite de son édition (1597). Nous l'avons réimprimée et commentée dans notre Etude sur le Cod. Fuld., p. 420-469. Le Paris. 13047 comprend quelques feuillets du Cod. Fuld. contenant les ch. VI-IX du Contra Iudaeos. Voy. notre Etude, p. 11.

= Variantes supposées du Cod. Fuldensis.

Ce sont les lectures de De la Barre qui diffèrent de P et que Modius n'a pas relevées, comme si elles étaient conformes à F. Voy. notre Etude, p. 26-29.

Br Codex Bremensis C, 48.

Copie de la collation de Modius du ch. I-XV, faite sur le ms de Modius ou sur une copie de ce ms, à la fin du XVIe siècle. Elle est plus correcte que l'impression de Junius. Voy. notre Etude, p. 20-23.

R = Codex Rhenaugiensis (Xe siècle).

P

Bibl. cantonale de Zurich, no XCV. De la même famille que F. Ne contient que les ch. 38-40,2. Voy. notre Etude, p. 481-487.

II. TRADITION COMMUNE

Le texte des éditions antérieures à 1906 (vulgate) repose sur les ms communs à une grande partie des œuvres de Tertullien. Il y a une trentaine de ms qui donnent l'Apologétique. Voy. notre Etude, p. 9-11. Nous avons recollationné les deux meilleurs :

Codex Parisinus 1623 (Xe siècle).

M = Codex Montepessulanus H, 54 (XIe ou XIIe siècle).

M est moins correct que P ; nous ne le citons que quand il diffère de P.

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