II. ANALYSES D'OUVRAGES. SCIENCES PHYSIQUES. ESSAI SUR LA CONSTITUTION GÉOGNOSTIQUE DES Pyrénées; par J. DE CHARPENTIER, Directeur des mines du canton de Vaud (1). La GÉOGNOSIE ne fut d'abord qu'un vain amas de systèmes obscurs ou de rêves brilians, que la fin du siècle dernier vit se dissiper devant le flambeau de l'observation qu'y portèrent quelques hommes de génie. Élevée par eux au rang des sciences, assise dès lors sur une base solide, et cultivée par cet attrait puissant de la curiosité, à laquelle ses résultats semblent promettre tant de jouissances, elle parut suivre le rapide essor imprimé à leurs progrès. De nombreux observateurs interrogèrent les ruines de la nature; mais, trop empressés d'en reconstruire l'édifice, ils en reconnurent mal les débris, et pour atteindre plutôt le but, la plupart perdirent ou abandonnèrent la route qui devait y conduire. Elle est en effet longue et difficile; car, s'il est vrai que l'observation soit l'expérience toute faite, c'est l'expérience cachée dans une partie de ses phénomènes et de ses résultats, c'est l'expérience dont on ne peut reproduire les circonstances en écartant celles qui lui sont étrangères; c'est enfin l'expérience que l'on ne peut souvent répéter. Les esprits sévères laissèrent donc tout autre (1) Paris, 1823. Un vol. in-8° de 630 pages, avec une planche et une grande carte géognostique lithographiée et coloriée. F.-G. Levrault. Prix, 13 fr. guide, et renonçant à la brillante mais trompeuse espérance de poser la dernière pierre de l'édifice de la science, ils travaillèrent sans relâche à amasser des matériaux pour en affermir les bases. On avait cherché vainement des rapports entre des faits trop rares ou trop incertains: la comparaison d'observations plus nombreuses et plus précises en offrit une foule de nouveaux, et la recherche du parallélisme des formations vint s'associer à la détermination de leur ordre de superposition. L'ouvrage dont je vais rendre compte, déjà connu par le suffrage de l'Institut, qui lui accorda, en 1822, le prix de statistique, est un de ceux qui, par le nombre des faits qu'ils renferment, et la confiance que leur méritent les talens bien connus de l'auteur, doivent servir le plus utilement à l'avancement de la géognosie. Il est divisé en trois parties, dont la première traite de la constitution physique des Pyrénées, c'est-à-dire de leur configuration ou structure extérieure qu'il est nécessaire de connaître, sommairement du moins, pour bien saisir leur constitution géognostique ou structure intérieure. La seconde partie offre un aperçu général de la composition et de la disposition des divers terrains de cette chaîne. M. de Charpentier y expose aussi les idées mêmes qui résultent de l'ensemble des observations je les examinerai avec soin. La troisième enfin, qui est de beaucoup la plus étendue, et par son objet la plus importante, renferme la description détaillée de chacun des terrains dans l'ordre de leur ancienneté relative. : Comme la plupart des détails topographiques et les faits de géographie physique qui composent la première partie, ont déjà été exposés dans d'autres ouvrages (1), et sont généra (1) Voyez les Voyages de M. RAMOND. lement connus, je ne suivrai pas l'auteur dans leur énumération, et je commencerai de suite l'analyse de la seconde. La constitution géognostique des Pyrénées n'offre, au premier coup d'œil, qu'une complication désespérante et un désordre inexplicable. Diversité dans les roches d'un même terrain et ressemblance entre celles de deux terrains différens, absence d'un ou plusieurs termes d'une formation, quelquefois même d'une formation tout entière, morcellement des membres existans, inconstance de l'inclinaison des couches: de là les rapprochemens et les distinctions erronés, les incertitudes sur le gisement auxquelles l'observateur est exposé d'abord. Cependant, s'il ne voit dans ces difficultés que le désir de les vaincre, et s'il multiplie ses recherches en les dirigeant avec sagacité, bientôt dans cette confusion apparente un ordre régulier se découvre, analogue à celui que la nature semble avoir suivi dans la structure des autres chaînes de montagnes : il reconnaît dans les Pyrénées, toutes les classes principales de terrain, et chacun composé des mêmes roches qu'il présente dans d'autres pays, et semblablement superposées. Mais, si les rapports de gisement sont les mêmes entre ces terrains et leurs roches constituantes, ceux de leur développement respectif, de la hauteur qu'ils atteignent et de leur disposition, relativement à la forme géographique de la chaîne, présentent néanmoins des différences qui n'appartiennent qu'à celle-ci, et qui lui donnent un caractère particulier. Le terrain primitif des Pyrénées se compose de formations indépendantes de granit, de micaschiste et de calcaire. Le granit est accompagné de gneiss, tellement répandu en quelques endroits, qu'il y paraît le résultat d'une formation particulière : il renferme aussi des couches subordonnées de calcaire. Des schistes argilleux et talqueux, et aussi de nouvelles couches calcaires se montrent à divers étages de la formation de micaschiste qui recouvre immédiatement le système granitique. Le calcaire, qui paraît au-dessus de ces deux formations en constituer une troisième indépendante, n'y admet que des masses de grünstein et de lherzolite. La syénite, le porphyre et la serpentine, qui forment ailleurs des terrains indépendans, ne se rencontrent aux Pyrénées qu'en couches subordonnées à d'autres roches, dont elles ne sont souvent que de simples anomalies. Le terrain intermédiaire, dans cette chaîne, ne comprend qu'une seule formation composée principalement de schiste argilleux, de calcaire, de grauwacke commune et de grauwacke schisteuse, développés dans l'ordre où je viens de les indiquer. Enfin, dans le terrain secondaire, il y a trois formations particulières; celle du grès rouge (rothes todte liegende); celle du zechstein et celle du calcaire jurassique, auxquelles il faut encore ajouter un système indépendant très-remarquable de roches amphiboliques, recouvrant toutes les autres indistinctement, et qui seront l'objet d'une discussion particulière dans l'analyse de la troisième partie. Ces trois terrains, primitif, intermédiaire et secondaire, ne se recouvrent jamais en stratification parallèle, quoiqu'en plusieurs lieux il paraisse exister un passage insensible de l'un à l'autre; mais ces apparences, rares d'ailleurs, sont toujours obscures, tandis que le non-parallélisme entre leurs strates s'observe fréquemment et de la manière la plus évidente. Si maintenant l'on considère le mode général de la disposition de ces terrains dans les Pyrénées, on les voit y former des espèces de bandes ou zones étendues dans le sens de la direction principale de la chaîne, de manière à lui être pafallèles, sans obéir aux sinuosités partielles qu'elle présente fréquemment; cependant, au sommet de la vallée de la Garonne où la chaîne dirigée jusque-là depuis la Méditerranée de l'E. S. E. à l'O. N. O., se coude et recule brusquement au Sud, pour reprendre ensuite vers l'Océan sa direction pre mière, les bandes des divers terrains paraissent suivre la même inflexion. Ces bandes diffèrent beaucoup par leur longueur et leur épaisseur. Le terrain de transition s'étend seul sans interruption d'une mer à l'autre. La formation granitique vient ensuite pour l'étendue et la continuité; mais, beaucoup moins développée que le terrain intermédiaire, elle n'est aussi continue que dans la partie orientale de la chaîne, et elle ne forme, dans la partie occidentale, que des massifs distincts, quelquefois trèséloignés, placés seulement sur un alignement commun. Le schiste micacé et le calcaire primitif affectent une disposition bien moins régulière encore, puisque le premier constitue seulement vers la partie centrale des Pyrénées, quelques groupes isolés, et que le second manque dans toute la partie orientale. Il en est de même, pour l'irrégularité, de la bande secondaire. Quoi qu'il en soit de la continuité de la bande primitive, elle présente une particularité bien remarquable. Au lieu de former le faîte de la chaîne, elle se trouve constamment audessous, sur le versant septentrional, dans la partie de la chaine située entre la Méditerranée et la vallée de la Garonne. Mais, à partir de cette vallée, où la chaîne, se coudant, recule au sud de 16,000 toises, la bande primitive recule encore davantage d'environ 3,000 toises; de sorte que, dans la partie occidentale, le granit en constitue en plusieurs endroits le faîte, et quelquefois même le versant méridional. C'est cette bande qui, suivant M. de Charpentier, a déterminé la direction et la disposition des autres terrains, dans toute la chaîne des Pyrénées, et qui a rendu l'inclinaison de leurs couches absolument indépendante des pentes géographiques; il la considère comme l'axe autour duquel toutes les autres formations se sont symétriquement disposées au nord et au midi. Cependant, il faut convenir que les morcellemens et |