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NOTICE HISTORIQUE

SUR L'ABBAYE

DE LA FONDATION DU MONASTÈRE A l'an mille

En face de la ville de Cannes, à une demi-lieue de la côte, apparaissent — verte aigrette des flots, selon l'expression de Mistral les îles de Lérins, dont le nom est célèbre dans les fastes de l'histoire. La plus grande, Sainte-Marguerite, rappelle l'Homme au masque de fer, la seconde contient les ruines de l'antique abbaye de Saint-Honorat.

C'est au commencement du V° siècle que remonte la fondation du monastère de Lérins 1.

Originaire des Gaules, d'un des deux pays qu'on a appelés par la suite la Lorraine et la Bourgogne, Honorat, son fondateur, était issu d'une riche famille païenne. Converti au christianisme,

'Barralis, dans sa Chronologie des Saints de Lérins, dont nous citerons plus loin de nombreux extraits relatifs à l'histoire de l'abbaye, et Baronius à sa suite, fixent la date de sa fondation à 375. Mais pour l'adopter, il faudrait accepter que saint Capraise, qui était déjà un vieillard lors de son départ pour l'Orient, fût mort à près de cent-vingt ans (433 ou 434), et que saint Honorat fût monté sur le siège archiepiscopal d'Arles étant déjà plus qu'octogénaire ; car il devait avoir plus de trente ans quand il prit la lourde charge de fonder un établissement monastique.

il vendit ses biens, dit son panégyriste saint Hilaire ', en distribua le produit aux pauvres et, accompagné de son frère Venance, qui, comme lui, avait reçu le baptême, se rendit à Marseille, puis de là en Grèce, sous la conduite d'un vertueux vieillard, saint Capraise 2.

Après la mort de Venance, qui fut emporté par les fatigues et la maladie, les deux voyageurs revinrent en Provence et s'établirent dans les montagnes de l'Estérel, en un lieu connu depuis longtemps sous le nom de Sainte-Baume ou Baume de Saint-Honorat 4.

1 La source principale sur saint Honorat se trouve dans un discours commémoratif de son successeur à Arles, saint Hilaire Vita S. Honorati, prononcé le jour anniversaire de la mort de saint Honorat, probablement en 430, que Barralis a publié en tête de sa Chronologie, et dont une édition a été donnée par Migne, L, 1249-1272. Saint Hilaire se dit le parent de saint Honorat; ainsi il était allié saint Loup, de Troyes, qui épousa la sœur de saint Hilaire.

avec

« Invaluit desiderium et amor Christi, et baptismum, discussis patris dissuasionibus, pueritia fidelis invasit..... Adsistit tyroni suo dominus consolator nec distulit unum ei ex germanis suis in collegium suscitare, qui exemplo ipsius ad conversationem vocatus, et senior juniorem sequutus, in ipso brevi quo vixit tempore sicut collegio illum, ita etiam virtute comitatus... Possessio, quæ pauperibus ex quo ab. ipsis fuerat possessa, servierat, pauperibus nunc distribuenda distrahitur.... Exeuntes de terra, et de domo, et de cognatione sua, exemplo pares vere Abrahæ filii demonstrantur. Ne quid tamen juvenili ausu temere ab ipsis incoeptum putaretur, assumunt senem perfectæ consummatæque gravitatis, quem semper in Christo patrem computantes patrem nominarunt sanctum Caprasium, angelica adhuc in insulis conversatione degentem...... — V. Vinc. Barralis, Chronologia sanctorum etc. sacræ insulæ Lirinensis, I, pag. 3, 4, 5, Lugduni, MDCXIII.

• Grand massif qui sépare actuellement le département du Var de celui des AlpesMaritimes.

• Sur le flanc nord-ouest de la pyramide du Cap Roux. Petite grotte de la grandeur d'une cellule, qu'alimentent les suintements de la pierre.

Barralis (Chron. sanctorum etc., I, pag. 37) décrit ainsi la Baume de Saint-Honorat: « .... Est igitur quidam mons in mari gallico Narbonensi, in ingressu patriæ Provinciæ, ad occiduum venientibus ab Italia, qui vulgo Caporosse nuncupatur, inter insulam Lerinensem et civitatem Forojuliensem interpositus: qui fere per tria milliaria et eo amplius in altum se extollens rupibus, vallatus, invius et nemoribus obsitus, cujus orientis et meridiei plagam mare alluit, in qua præ cæteris portus habetur

Mais bientôt les pèlerins affluèrent, attirés par la renommée de ces saints anachorètes, qui, sur les conseils de saint Léonce, évêque de Fréjus, allèrent bientôt chercher la solitude dans la plus petite des deux îles qu'ils voyaient, en face d'eux, émerger du sein des flots.

Cette île, appelée par les anciens Lerina et Planasia, Planasia, était un objet d'épouvante pour les habitants de la région, à cause des serpents qui l'infestaient; elle était de plus privée d'eau potable 1.

Quelle métamorphose en moins de trente ans! Abondante en

Agathon nomine, qui vulgo Agay dicitur; in cujus etiam latere, prope verticem, inter aquilonem et occasum, adest quoddam antrum per sex milliaria distans a prædicta civitate Forojuliensi, in modum oratorii, in quo sanctus Honoratus, primus abbas et fundator sacri monasterii Lerinensis, postque archiepiscopus Arelatensis, aliquandiu eremicultor mansit, quo in loco (certe mirum) tam invio et inaquoso, in vertice aridæ rupis, prope portam antri, visitur saxum, veluti in forma putei concavum, ad altitudinem trium palmarum fere jugiter limpidas continere aquas, quæ continuæ hominibus illic devotionis gratia concurrentibus cedit usui et maxime Forojuliensibus, qui cum ariditatibus, sterilitate, imbribus aliisque pressuris urgentur, ad placandam iram altissimi Dei, illuc processionali pompa quam devote tota ipsorum concurrit civitas. Adest etiam subtus oratorium quædam parvula speluncula, in quam nisi reptando ingreditur, tantæ angustiæ et exilitatis, ut vix hominem curvum et in se contractum recipiat, habens foramen cœlum versus, quæ patri nostro Honorato cessit pro regali cubili eligenti, secundum Apostolum, habitare in cavernis et speluncis terræ et in fissuris petrarum, ut amplas cœli mansiones mereretur lucrifacere. Habetur mentio de ista solitudine in Vita sancti Honorati, quæ circumfertur tribus libris, libro primo, capite decimonono, ubi etiam aliud antrum videtur innuere ad radices montis, juxta mare, valde diversum a superiori a nobis descripto.... »

« Vacantem insulam ob nimietatem squaloris et inaccessam venatorum animalium metu, alpino haud longe jugo subditam petit, præter secreti opportunitatem ac beatissimi in Christo viri Leontii episcopi oblectatus vicinia et charitate constrictus, plurimis a tam novo ausu retrahere illum conantibus. Nam circunjecti accolæ terribilem istam vastitatem ferebant et suis illum finibus occupare fidei ambitione certabant. Verum ille, humanæ conversationis impatiens et circuncidi a mundo vel objectu freti concupiscens, illud corde et ore gestabat, nunc sibi, nunc suis proferens: « Super aspidem et basilicum ambulabis, et conculcabis leonem et draconem, » et in evangeliis Christi ad discipulos suos factam promissionem : « Ecce dedi vobis potestatem calcandi super serpentes et scorpiones.» (Barralis, Chron., I, pag. 6.)

eaux, parée de verdure, dit l'un des plus illustres disciples de saint Honorat, saint Eucher, brillante de fleurs, ravissante par ses belles perspectives et les suaves odeurs qu'elle répand, l'île de Lérins offre à ceux qui l'habitent un avant-goût du paradis qui les attend. C'est que devant le saint, selon le langage de saint Hilaire, la troupe des serpents s'était retirée et que, nouveau Moïse, il avait fait sortir l'eau du rocher 1.

Ce désert, ainsi transformé, fut bientôt peuplé de moines et devint une pépinière de saints et de savants, issus de toutes les nations. Saint Honorat, de concert avec saint Capraise, gouvernait cet essaim sacré de solitaires; l'un, en qualité d'abbé, faisait les fonctions d'un pasteur actif et vigilant; l'autre, dans le secret de sa cellule, comme élevé sur une montagne à l'écart, implorait l'assistance de Dieu par une prière continuelle 2.

En 426 3, saint Honorat dut céder aux supplications des habi

1

« Ingreditur itaque impavidus et pavorem suorum securitate sua discutit. Fugit horror solitudinis, cedit turba serpentium.... Industria illic sua sufficiens electis Dei ecclesiæ templum excitatur apta monachorum habitaculis tecta consurgunt, negatæ sæculis aquæ largiter fluunt, in uno ortu suo duo Veteris Testamenti miracula præferentes ; nam cum e saxo erumperent, in media amaritudine dulces profluebant. » (Barralis, Chron., I, pag. 6.)

On lit sur une plaque de marbre, au-dessus de la porte du puits, l'inscription suivante, due au même Barralis. (Chron., I, pag. 36):

Isacidum ductor lymphas medicavit amaras

Et virga fontes extudit e silice.
Aspice ut hic rigido surgant e marmore rivi
Et salso dulcis gurgite vena fluat.
Pulsat Honoratus rupem laticesque redundant,
Et sudis ad virgæ Mosis adæquat opus.

2 Hist. litt. de la France. Salvien compare saint Honorat au soleil, disant que ce qu'est le soleil à l'égard du ciel, par rapport au beau et au mauvais temps, saint Honorat l'était à l'égard de Lérins, qui recevait de lui comme d'un soleil mystique, les différentes impressions de calme ou d'agitation, de tristesse ou de joie, (pag. 157 et 532, édit. Palmé, Paris, MDCCCLXV).

3 Il avait été élevé au sacerdoce avant 410.

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