Page images
PDF
EPUB

poëmes que l'on puisse faire; et l'une des meilleures critiques qui aient été faites sur aucun sujet, est celle du Cid. »

Boileau regardoit Polyeucte comme le chef-d'œu vre de Corneille. Il ne connoissoit rien au-dessus des trois premiers actes des Horaces. Il n'avoit point de termes assez forts pour exalter Cinna, à la réserve des vers qui ouvrent la pièce, et dont il avoue s'être moqué dans son 3.e chant de l'Art poétique, (sans doute dans ces vers : >

Je me ris d'un acteur qui, lent à s'exprimer,

De ce qu'il veut, d'abord ne sait pas m'informer;
Et qui débrouillant mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue.

Mais il étoit comme transporté d'admiration lorsqu'il récitoit l'imprécation de la reine Cléopâtre à son fils dans la dernière scène de Rodogune, pièce que l'auteur lui-même préféroit à toutes ses autres tragédies. Tout ce que Corneille a fait de merveilleux étoit parcouru du satirique avec une profusion d'éloges; mais il n'étoit point content de la tragédie d'Othon, qui se passe tout en raisonnement et où il n'y a pas d'action tragique. Corneille avoit affecté d'y faire parler trois ministres d'état, dans le temps où Louis XIV n'en avoit pas moins que Galba, c'està-dire, MM. Le Tellier, Colbert et de Lionne. Boileau ne se cachoit point d'avoir attaqué directement Othon dans ces quatre vers du 3.e chant de l'Art poétique :

Vos froids raisonnemens ne feront qu'attiédir
Un spectateur toujours paresseux d'applaudir,

Et qui des vains efforts de votre rhétorique,
Justement fatigué s'endort et vous critique.

On peut encore mettre au rang des bonnes pièces de Corneille la Mort de Pompée, Heraclius, Sertorius, et Nicomède qu'il affectionnoit beaucoup. Quant au Menteur, comédie de caractère qui a précédé Molière, on peut dire qu'il a ouvert la carrière de la bonne comédie comme le Cid avoit ouvert celle de la tragédie.

Les deux meilleures pièces de Thomas Corneille (n. 1625-m. 1709) sont Ariane et le Comte d'Essex; son Festin de Pierre est mieux versifié que ses tragédies assez mal écrites en général,

PROSPER JOLYOT DE CRÉBILLON (n. 1674-m. 1762) tient un rang distingué parmi nos tragiques " et le mérite par quelques-unes de ses pièces. Rhadamiste est l'un des plus beaux ouvrages qui honórent la scène française. Les passions y sont peintes avec une énergie, une profondeur, une vérité qui rend la fable de cette tragédie attachante au suprême degré. Aucune pièce n'offre une intrigue aussi simple, et peu sont aussi intéressantes. Elle eût suffi seule pour faire monter Crébillon au rang de nos premiers écrivains dramatiques. Atrée et Thyeste est la pièce la plus terrible qui soit au théâtre; l'affreux caractère d'Atrée fait frissonner d'un bout à l'autre. Le songe prophétique de Thyeste (Acт. 11, sc. 2) est un beau morceau de poésie. La reconnois→ sance de Thyeste de la part d'Atrée (ACT. II, sc. 5),

3

34 glace d'effroi. Mais quel mouvement d'horreur quand le malheureux Thyeste portant à sa bouche la coupe de réconciliation, s'aperçoit qu'elle est pleine de sang..... et de quel sang! celui de son fils que ce perfide Atrée vient de faire égorger! Selon Fréron, le rôle d'Atrée est le plus fortement tracé qui soit au théâtre. Après les deux pièces que nous venons de citer, on place Électre, puis Idoménée, et ensuite Pyrrhus; le reste est foible.

JEAN LE ROND D'ALEMBERT (n. 1717-m. 1783) s'est fait un plus grand nom dans les mathématiques que dans les lettres, et a fait plus de bruit dans les lettres que dans les mathématiques; sa Préface de l'Encyclopédie et son Éloge de Massillon le mettent au premier rang parmi les écrivains du second ordre. Mais à quel rang le mettra sa correspondance avec Voltaire !!!

FLORENT DANCOURT ( n. 1661-m. 1726). Ce comique du troisième ordre, auteur très fécond,n'a de pièces assez bonnes et restées au théâtre que le Galant Jardinier, le Mari retrouvé, les Trois Cousines, et les Bourgeois de qualité. Ces quatre petites pièces se revoient toujours avec plaisir, parce qu'il y a dans le dialogue de l'esprit qui n'exclut point le naturel; que les paysans y sont agréables sans rien perdre de la physionomie qui leur convient, et que l'auteur y saisit assez bien les ridicules de la bourgeoisie dans le temps où il écrivoit.

JACQUES DELILLE (n. 1738-m. 1813). Si la muse de cet aimable poëte ne se place pas au sommet du Parnasse à côté de nos plus grands maîtres, on peut dire avec vérité qu'elle tient un rang très honorable sur le mont sacré parmi tout ce que l'on connoît de plus brillant, de plus varié, de plus pittoresque et en même temps de plus facile. Ses ouvra ges ont un éclat éblouissant qui, surtout dans ses poëmes, rachète par la richesse des détails ce qui peut manquer à ce qu'Horace appelle le ponere totum. Mais ces détails enchanteurs parmi lesquels on distingue de charmans épisodes, sont si multipliés dans les poésies de M. Delille, qu'il seroit difficile d'en faire ici l'énumération. D'ailleurs qui n'a pas lu et relu toutes les productions sorties de sa plume féconde? A peine sa traduction des Géorgiques parutelle, que devenue inséparable de l'original, proclamée originale elle-même, elle fut à l'instant rangée parmi les classiques. Son joli poëme des Jardins eut un succès prodigieux auquel il ne manqua pas même le tribut envenimé de l'envie ; l'Homme des champs eut le même accueil. Quant au poëme de la Pitié, il intéressa vivement toutes les ames sensibles, toutes celles à qui ce sentiment n'avoit point été étranger pendant nos orages politiques; mais il fut jugé bien autrement par certains écrivains....... et il ne parut long-temps en France que déchiré par la critique et mutilé par l'autorité. M. Chénier qui dans son Tableau de la Littérature française rend une justice éclatante aux talens poétiques de M. Delille, fait le

[ocr errors]

plus grand éloge de sa traduction du Paradis perdu (supérieure à celle de l'Énéide), du poëme de l'Imagination et de celui des trois Règnes de la Nature. Dans le Paradis perdu, « on distingue, dit-il, de célèbres morceaux rendus avec un talent consommé, le début, par exemple, et cette invocation majestueuse à laquelle on peut assigner le premier rang parmi les invocations épiques, le conseil tenu par les démons, les énergiques discours de Satan, le chant si pur et si vanté des amours d'Adam et Eve, et la touchante apostrophe du poëte à cette lumière éternelle qui ne brilloit plus pour lui. » Dans le poëme de l'Imagination, les morceaux les plus saillans sont les vers sur J.-J. Rousseau, l'hymne à la Beauté, l'épisode touchant de la Sœur grise, l'épisode si célèbre des Catacombes, et dix morceaux qui por tent le cachet de la même supériorité. « Le poëme des trois Règnes de la Nature présente, dit encore M. Chénier, plusieurs morceaux de maître: la charmante description du colibri, par exemple, et dans une manière plus large, les descriptions du chien, du ́cheval, de l'âne, cet humble et laborieux serviteur, dont le nom ne fut pas dédaigné par la muse héroïque du chantre d'Achille; mais l'auteur ne décrit pas seulement; il est peintre car il est poëte. Il sait rendre les grands effets de la nature, l'éruption d'un volcan, les désastres causés par un hiver rigoureux, les ravages d'une contagion. Après avoir peint un ouragan, voyez avec quel art il rattache à cette peinture effrayante un épisode qui la fait valoir encore,

« PreviousContinue »