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NOTICE

SUR

EMILE-MAURICE CHEVÉ

CHEVÉ (Emile-Maurice), né à Douarnenez (Finistère), le 1er juin 1804, n'avait pas encore atteint sa dix-huitième année, lorsque sa famille, peu favorisée de la fortune, l'envoya à Brest où son frère aîné servait déjà dans la médecine navale. Ce dernier s'occupa spécialement de son cadet et le prépara à suivre la même carrière que lui. Entré au service comme chirurgien entretenu, le 1er mai 1822, le jeune Emile, grâce à son intelligence et à sa facilité de travail, fut reçu chirurgien de 3 classe, dès le 16 mai de l'année suivante, et fit, en cette qualité, plusieurs campagnes sur la Jeanne-d'Arc, la Bayonnaise, l'Yonne, l'Armide et la Vestale. Promu chirurgien de 2e classe, le 14 octobre 1828, il fut envoyé, sur la frégate l'Aurore, au Sénégal où il arriva le 14 novembre suivant et où il devait séjourner deux ans. Il venait de se marier à Mademoiselle Fanny Simon et avait été autorisé à amener avec lui sa jeune épouse. Ils éprouvèrent l'un et l'autre

de cruelles épreuves; une longue et meurtrière épidémie de fièvre jaune ravagea la colonie. A Gorée d'abord, à Saint-Louis ensuite, Chevé la combattit et faillit lui-même en devenir victime. Il n'y échappa qu'en s'appliquant, de ses propres mains, une quantité incroyable de sangsues. Le talent et le dévouement dont il fit preuve dans ces circonstances furent récompensés le 1er mars 1831, par la croix de la Légion d'honneur. Rentré en France, le 18 juillet suivant, sur le brick-goëlette la Railleuse, il servit à terre, puis ensuite, comme chirurgien-major, sur le vaisseau-école l'Orion, du 2 mars au 30 juillet 1832. Après une campagne sur le brick le Méléagre, du 14 septembre 1833 au 7 novembre 1834, il fut attaché, comme secrétaire à l'inspection générale du service de santé de la marine, à Paris, fut reçu docteur et fit des cours d'anatomie et de pathologie à l'amphithéâtre de l'école de médecine, que M. Dubois, doyen de la faculté, avait mis à sa disposition. Tous ceux qui assistèrent alors à ses leçons, furent frappés de son talent d'exposition, de sa parole claire et lucide qui lui permettaient de mettre les notions les plus abstraites à la portée de toutes les intelligences. C'est de cette époque que datent ses premiers rapports avec son futur beau-frère Aimé Paris; mis en non activité, sur sa demande, le 26 avril 1836, il exerça pendant quelque temps la médecine civile et se fit préparateur aux examens du baccalauréat et de l'école de médecine. Rappelé à l'activité et attaché au port de Toulon le 10 septembre 1840, il fut admis à la retraite en 1842, et revint à Paris. Pendant son premier séjour, il s'était épris des idées de Galin que propageait Aimé Paris. A son retour, elles le

passionnèrent de plus en plus et peut-être en eût-il dès lors commencé l'application, s'il n'était allé remplir à Lyon pendant deux années environ, l'emploi de chimiste chez un grand fabricant de châles ; mais sa loyauté et son horreur de toute espèce de fraude. ou de mensonge décorés du nom d'habileté commerciale le firent renoncer à cet emploi et revenir à Paris.

A Lyon, il avait fait un essai de professorat musical sur les soldats de la garnison, avec l'agrément d'un colonel, homme éclairé, et les résultats qu'il avait obtenus, l'avaient de plus en plus convaincu de la supériorité de la méthode Galin-Paris. Il reprit bien pendant quelque temps la médecine civile, mais ne larda pas à l'abandonner pour ne plus l'exercer que gratuitement en faveur de sa famille, de ses amis et de ses élèves. Ayant perdu sa femme, il se maria à Mademoiselle Nanine Paris. Cette union acheva de cimenter l'amitié qui unissait déjà les deux frères, et d'en faire les apôtres d'une nouvelle théorie musicale. Désormais Chevé se dévoua exclusivement à la mission de populariser l'enseignement de la musique par le moyen de la méthode qui, sous le nom complexe de Galin-Paris Chevé, simplifie et généralise la notation, et a pour principe, comme celle de J.-J. Rousseau, la substitution des chiffres, abstraction faite du ton, aux notes sur portées. Créer des masses chorales, faire de la musique un moyen de moralisation du peuple, rendre la théorie musicale claire, logique et accessible à toutes les intelligences, et les œuvres des maîtres à la portée de toutes les bourses, tel fut son but; s'inspirant des travaux de Galin et de ceux d'Aimé Paris qui avait, par la lan

gue des durées, créé un admirable instrument pédagogique, il construisit, soit seul, soit en collaboration avec sa femme, ce merveilleux édifice d'exercices gradués et d'harmonie qui devait faire de la musique une science exacte comme celle des mathématiques, au lieu d'un chaos non raisonné et de conventions sans base. Une lutte ardente s'ouvrit entre lui et les adversaires de la méthode. Comme tous les initiateurs, il se heurtait à la routine. Par une confusion regrettable, et parfois peu sincère peutêtre, entre le côté artistique et le côté pédagogique, beaucoup de grands noms, Auber et Halévy principalement, lui furent hostiles. Rossini sut mieux reconnaître la vérité. Comprenant qu'il n'y avait là qu'une question de méthode et de vulgarisation, et que la méthode elle-même n'était pas toute dans le chiffre, moyen plus commode pour la voix seulement, mais surtout dans la théorie musicale transformée, il y donna son adhésion. Le conservatoire et la commission de chant de la ville de Paris ne partagèrent pas l'opinion du grand maître. Ils ne négligèrent rien pour étouffer un progrès qui menaçait de froisser certains intérêts et de détroner la routine. Le mauvais vouloir contre Chevé se doubla de calomnie et de perfidie. Il n'avait jamais eu l'absurde prétention de créer des artistes. Il savait trop bien, répété à satiété dans sa polémique, que la nature seule en fait, mais il voulait que tout le monde pût lire la musique, comme tout le monde devrait savoir lire un livre. Quoi qu'il en soit, el malgré l'au torité de Rossini, la méthode n'aurait peut-être pas de longtemps triomphé, si elle n'avait trouvé un appui décisif dans un homme à qui son amour éclairé

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des arts et sa haute position assuraient une grande influence. C'était M. de Morny.

<< L'école Galin-Paris-Chevé, dit le journal la Réforme musicale du 19 mars 1865, ne saurait conserver trop de gratitude envers M. le duc de Morny. C'est lui qui, le 3 juillet 1859, disait à Emile Chevé : « Vous n'êtes plus seul,» après l'avoir autorisé à rendre publique la nouvelle de la formation du comité de patronage de la méthode Galin-Paris-Chevé.

« C'est lui qui, lors de la publication du formidable manifeste lancé contre les doctrines de la nouvelle école par vingt-trois signataires parmi lesquels se trouvaient, en si grand nombre, les illustrations de l'Institut et du Conservatoire, opposa la proposition d'une discussion scientifique et de son corollaire indispensable, la comparaison des résultats pratiques, aux adversaires du progrès, parmi lesquels il comptait pourtant des hommes justement célèbres, avec lesquels il lui coûtait de se trouver pour la première fois en désaccord.

<< Il ne voulut pas user de l'autorité que lui donnait sa haute position, pour imposer les idées qu'il croyait fermement être vraies et profitables; mais l'appui qu'il leur avait promis fut aussi constant qu'il devait être efficace.

« Aucune des démarches utiles à la cause qu'il patronait ne le trouva indifférent. Le zèle actif de M. Ernest L'Epine, chef de son cabinet, en même temps que secrétaire du comité de patronage, rendant plus rapide l'exécution des mesures qu'il jugeait nécessaires de prendre, les doctrines si longtemps repoussées gagnaient promptement du terrain dans les régions officielles.

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