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LES

FINANCES DE LA BRETAGNE

A LA FIN DU XV SIÈCLE

Et les derniers Budgets de Pierre Landois

1481 1485

Les archives du département de la Loire-Inférieure comprennent un grand nombre de documents qui permettent de connaître avec précision l'état des finances du duché de Bretagne au xve siècle. La plupart de ces documents ont été analysés par dom Morice et dom Taillandier dans les Actes de Bretagne. Les Bénédictins ont négligé cependant les quatre der niers budgets du grand trésorier Pierre Landois, qui forment la base de ce travail. Les budgets sont rédigés avec beaucoup de clarté, et donnent le chiffre exact des revenus et des dépenses du duché de Bretagne de 1481 à 1485 (1).

L'année financière en Bretagne au xve siècle commence le 1er octobre. Le revenu normal est d'environ 400,000 livres bretonnes, valant 500,000 livres tour

(1) Arch. de la Loire-Infér, E. 212.

nois, soit 15 millions en monnaie de nos jours. Le revenu du royaume de France, sans y comprendre la Bretagne, était alors de quatre millions de livres tournois (1). Cette somme de 400,000 livres bretonnes ne représente d'ailleurs absolument que le budget de l'Etat. Les villes ont leurs revenus spéciaux, fournis par leur part dans le produit du Billot, et par les tailles qu'elles s'imposent elles-mêmes, quand le Billot ne suffit pas. Quant au Billot, appelé aussi Appétissage des mesures, c'est une taxe levée sur la vente des boissons au détail, et qui produit environ 25,000 livres bretonnes, soit 32,000 livres tournois par an. Les paroisses rurales ont, ainsi que les villes, leurs ressources et leurs revenus particuliers, qu'elles administrent avec une complète indépendance (2). Enfin le chiffre que nous avons indiqué ne comprend que le revenu net, indépendamment de tous les frais de perception et des sommes affectées au salaire des officiers de judicature, payés sur place par les receveurs de leur circonscription judiciaire. Les frais de perception ne dépassent jamais le vingt et unième denier, soit cinq pour cent, pour les revenus non affermés. Le gouvernement consacre au salaire des officiers de judicature le septième des recettes judiciaires.

(1) Zaccaria Contarini, cité par Arm. Baschet dans la Diplomatie vénitienne au xvie s., ch. 8, ne le porte qu'à 3,100,000 1. t. en 1492. Mais il ne compte la taille que pour 1,400,000 livres. Pendant tout le règne de Charles VIII, elle a été de 2,300,000 livres, Arch. nat. K 73, s. 4, K 74, 21, 34, etc.

(2) Sur l'administration des villes, Arch. du Finistère, les comptes du miseur de Quimper de 1492 à 1496. Sur les paroisses, nous avons publié dans le Bulletin de la Soo. académ. une Etude sur la paroisse de Piré.

Chaque année le budget est fixé par le grand conseil, qui règle les dépenses d'après les recettes, et en dresse un état qu'il délivre au grand trésorier. Le duc ne peut établir aucun impôt sans le consentement des Etats de Bretagne. Il est toujours facile au grand conseil de savoir avec exactitude le chiffre des recettes. Le gouvernement n'a ni plus-value à espérer, ni diminution à craindre. La plupart des revenus sont affermés au plus offrant et dernier enchérisseur. Si les recettes augmentent ou baissent d'une manière imprévue, les fermiers seuls réalisent des bénéfices ou subissent des pertes qui doivent entrer dans leurs calculs. Les revenus affermés sont: 1o les brieux, ou lettres de sûreté, qui dispensent du droit de bris les navires étrangers (1) leur produit ordinaire est de 6,000 livres; 2o le revenu des ports et hâvres, qui est d'environ 50,000 livres; 3° les divers impôts et les traites foraines, qui donnent de 60 à 70,000 livres.

Les revenus non affermés comprennent le domaine, les aides et les fouages. Le domaine peut donner 18,000 livres, fournies par la régale, le rachat ou relief des tiefs, le droit de bris, les amendes judiciaires, le produit des biens de la couronne. Cette somme de 18,000 livres est rarement atteinte, à cause de la générosité des ducs, qui prodiguent les exemptions de rachat et les assignations sur le domaine. Les aides, dont le chiffre varie de 10 à 15,000 livres, sont payées par les villes exemptes de fouage. Leur mode de perception est le même que celui des fouages. Quant aux fouages, ils constituent un impôt

(1) Sur les Brieux, la Revue de Bretagne et de Vendée a publié en avril 1871 un excellent article de M. Maître, archiviste de la Loire-Inférieure.

analogue à la taille de France, mais mieux réparti. Ils ne pèsent que sur les biens roturiers. La Bretagne est divisée en 39,547 feux ou unités imposables. Chaque paroisse comprend un nombre de feux proportionné à son importance. Si les Etats votent un fouage de 6 livres 6 sous par feu, le gouvernement aura à recevoir 39,547 fois 6 livres, les 6 sous ajoutés par les Etats devant couvrir les frais de perception. Le fouage ordonné, les notables de chaque paroisse se réunissent, et font entre eux « l'égail, » c'est-à-dire la répartition.

Prenons un exemple. La paroisse de Trévénec, dans l'évêché de Saint-Brieuc, compte seize feux. Elle doit à l'Etat 96 livres. Les notables égaillent cette somme entre les contributifs,» suivant les rôles constatant la fortune immobilière de chacun des propriétaires roturiers. L'égail fait, ils mettent à l'enchère le soin de la collecte. Le collecteur ne peut recevoir comme indemnité plus de 96 sous. Grâce à ce mode de perception, le gouvernement breton connaît exactement les sommes qui doivent entrer au trésor: il n'a pas de déception à craindre (1).

Nous n'avons pas parlé d'une dernière source de revenu « le convoy de la mer. C'était une taxe que s'imposaient volontairement les marchands pour l'armement des escadres destinées à les protéger. Le convoi n'était pas levé tous les ans, et dépassait rarement 10,000 livres.

(1) Caron, Administrat. des Etats de Bretagne; de Fourmont, Hist. de la Chambre des Comptes, ont émis, relativement à la nature des fouages, une hypothèse différente des notions que nous venons de donner. Nous nous appuyons sur l'autorité de Potier de la Germondais, Introduction au gouvernement des paroisses, et sur des pièces inédites que nous publierons un jour.

Ainsi 18,000 livres pour le domaine, 6,000 pour les brieux, 50,000 pour les ports et hâvres, 70,000 pour les impôts indirects, 10,000 pour le convoi de la mer, 15,000 pour les aides des villes, environ 230,000 pour le fouage ordinaire de 6 sous par feu, soit un total de 399,000 livres bretonnes, telles sont les ressources normales et régulières du gouvernement breton. Quand elles sont insuffisantes, on augmente les aides et les fouages.

Considérons maintenant les dépenses. Le service de la guerre exige généralement de 100 à 120,000 livres. Sur cette somme, 15,000 sont consacrées à l'entretien des places fortes; 5,000 à l'artillerie; environ 90,000 à l'armée permanente, qui ne dépasse pas 800 hommes. Elle comprend les gentilshommes de l'hôtel, ou pensionnaires du duc, environ cinquante grands seigneurs; les 150 archers et les 15 ou 20 coutilleurs de la garde; les six compagnies d'ordonnance, dont l'effectif au grand complet est de 200 hommes d'armes et de 400 archers, soit 200 lances garnies. Chaque lance coûte à l'Etat 25 livres par mois de solde. Mais les ordonnances sont rarement au complet. Cette force permanente coûte près de 90,000 livres par an. En cas de guerre, le duc lève sa noblesse et ses francs archers. C'est un surcroît de dépense qui grève aussitôt le budget. Quant à la marine, le gouvernement a une flotte permanente qu'il arme quand il en est requis par les marchands. Il équipe alors trois escadres par an pour protéger son commerce. Les dépenses atteignent rarement le produit du convoi. Les dépenses de la guerre et de la marine sont donc en moyenne de 120,000 livres, dans les années paisibles, où le duc n'a pas de guerre sur le continent.

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