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conduit à penser que si, comme on le dit, la lenteur du progrès des institutions sociales est proportionnelle à la bonté et à la durée du résultat, l'instruction primaire obligatoire, à laquelle nous touchons presque, devra marquer dans l'histoire des nations européennes. Sans doute, un pareil progrès est contraire à des appréciations qui sont respectables toutes les fois que l'esprit de parti y est étranger; mais parmi les personnes qui croient que l'instruction est un mal pour les populations, n'y en a-t-il pas qui raisonnent comme ce philanthrope ingénieux ? Vous voulez, disait-il, supprimer la pauvreté, et comment ferai-je après pour témoigner ma sympathie aux pauvres, moi qui les aime tant?

M. Dupuy nous fait connaître qu'au xve siècle l'état sanitaire des populations était déplorable; les médecins ne faisaient point complètement défaut, mais ils étaient souvent fort ignorants. Les bourgeois de la ville de Rennes, la plus peuplée et la plus riche de la Bretagne à cette époque, avaient à leur service un médecin et un rebouteur, moyennant une rétribution annuelle de trois livres pour le premier et de deux livres pour le second de ces guérisseurs de hasard.

De l'étude et de la comparaison éclairée des documents enfouis dans les archives de la province, M. Dupuy a tiré des renseignements utiles au premier chef pour l'histoire complète des écoles et de la profession de médecin en Bretagne. La Société a estimé, avec raison, qu'il fallait donner acte à notre Confrère de sa découverte historique, auprès du public lettré, en faisant imprimer son étude immédiatement, bien qu'elle ne figurât que dans les dernières communi

cations faites au Comité de publication. M. Dupuy a la réputation bien acquise parmi nous, et acceptée au dehors, d'être un chercheur instruit, patient et heureux : nous en donnons ici de nouvelles preuves.

Dans les archives de Kerdaoulas se trouve un document relatif à l'enquête faite en 1539 par le fisc sur les agissements de Nicolas Coataulem, seigneur de Kéraudy, au sujet de la construction de la caraque la Cordelière, dont il avait été chargé. Le fisc prétendait soumettre au fouage la postérité de Nicolas Coataulem, sous prétexte que ledit seigneur s'était occupé de marchandises en cette circonstance. Ce sont les dépositions des principaux témoins dans cette affaire que nous fait connaître M. Dupuy. Elles sont intéressantes par les détails qu'elles donnent sur la vie des grands seigneurs bretons au xye siècle, sur les constructions maritimes de cette époque, et incidemment sur le caractère aventureux de Jean de Coataulem, corsaire redouté des Anglais. Les captures brillantes et la fortune colossale qui en étaient la conséquence, avaient donné à ce dernier personnage, même de son vivant, l'auréole de la légende héroïque.

Dégager la vérité des faits extraordinaires qui frappent fortement l'imagination populaire, c'est une des obligations de l'historien; elle n'est pas la moins difficile à remplir, en ce qui concerne la Bretagne, la terre la plus féconde en merveilleux, celle où la croyance au fantastique a le plus résisté aux attaques de l'intelligence. M. Dupuy, on le voit, fait des trouvailles historiques dont l'importance dépasse les limites de la curiosité pour entrer dans le domaine de l'utile.

L'Achat d'un guidon, ou La Fare et Sévigné. Notre honorable Président nous a donné sur ce sujet quelques pages que l'on croirait dictées par les échos indiscrets de la vie intime mêlée à la vie publique des personnages. Le marquis de La Fare, beau et brave militaire, bel esprit et plus gourmand que gourmet de galanterie, eut la mauvaise chance de se trouver l'amant de Madame la maréchale de Rochefort, en même temps que cette grande dame était aimée de Louvois, alors ministre de la guerre. La Fare possédait une charge de guidon (grade immédiatement inférieur à celui de sous-lieutenant) dans les Gendarmes Dauphin. La jalousie de Louvois lui- barrait le chemin de l'avancement; il vendit sa charge quarante et un mille écus au fils de la célèbre Madame de Sévigné. Ce jeune homme, nous dit M. de La Barre Duparcq, était un enfant médiocre, un héros avorté qui finit par vivre à la campagne et par tomber dans la dévotion. Les faits abondent dans le récit de l'érudit chroniqueur; de nombreuses notes en renvoi indiquent la source où il a puisé ses indications. Pour un fait très-secondaire dans la chronique du grand monde de cette époque, les renseignements donnés par notre auteur sont si nombreux et puisés dans un si grand nombre d'ouvrages, qu'on est effrayé du travail préliminaire que doit s'imposer un historien consciencieux pour établir des faits précis et incontestés. Cette réflexion arrive à notre esprit en nous rappelant que l'auteur de l'Achat d'un guidon, notre érudit président, a écrit plusieurs volumes d'histoire, parmi lesquels les lecteurs ont remarqué Les Portraits militaires, dont notre Confrère M. Dupuy nous a fait une analyse l'an dernier.

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Sévigné, le fils du célèbre écrivain épistolaire, n'aurait guère laissé plus de trace que son père, s'il n'y avait pas eu pour sauver son nom de l'oubli la renommée de sa mère. A cette réflexion de M. de La Barre Duparcq, on ne peut s'empêcher d'ajouter que, dans l'état social moderne, il est indispensable de payer de sa personne si l'on veut prétendre aux honneurs; que tout en admettant combien il est honorable d'avoir des aïeux illustres, il l'est certes davantage d'être quelque chose soi-même. La lecture du travail de notre Président fortifie dans cette pensée.

Nous avons entendu cette année la lecture d'une nouvelle biographie d'un Breton, écrite par notre regretté Président Levot peu de temps avant sa mort. Aimé Paris, né à Quimper en 1798 et décédé à Paris en 1866, a été un inventeur ingénieux, un propagateur infatigable de tout ce qui se rapporte à la philosophie des signes, à la mnémotechnie scientifique et artistique. La méthode de musique chiffrée porte le nom de ses trois auteurs: Galin-Paris-Chevé.

La mémoire, ce levier et cet instrument de toute connaissance a été le travail de toute la vie de Aimé Paris. Ainsi, s'exprime Levol, lui chez qui la mémoire de l'esprit et du cœur avaient résisté aux infirmités accidentelles les plus cruelles, augmentées de celles qui sont le triste apanage de la vieillesse. Paris était un Breton, à ce titre l'auteur des biographies bretonnes lui a fait une petite place dans ses souvenirs écrits de la Société académique de Brest, comme on fait une place dans sa famille au souvenir d'un ami.

Les hommes qui aiment l'étude ont toujours quelque travail achevé ou prêt à l'être. Ceci est particulièrement vrai pour les littérateurs. Aussi avons-nous en l'humeur laborieuse de notre honorable Vice-Président, M. Pradère, une précieuse ressource, lorsque l'ordre du jour menace de ne pas être suffisamment abondant. Cette année nous avons dû recourir une fois à sa gracieuse obligeance. Il a mis à notre disposition un travail inédit dont le titre a un certain parfum de chronique gauloise dans le sens littéraire et poétique. Il s'agit en effet de Rabelais, Lamonnoye, Piron et Chapelain. Nous n'avons entendu encore que ce qui concerne les deux premiers, le maître. railleur et savant émérite de son temps, le père de Gargantua, et l'auteur des Noëls Bourguignons, l'aimable et gai Lamonnoye. Attendons la très-prochaine lecture des pages que M. Pradère a consacrées à Piron et à Chapelain, pour résumer ce que l'auteur veut bien appeler une causerie sans prétention.

Les redites biographiques, assaisonnées de quelques détails nouveaux et présentées dans un style tout à la fois facile et mouvementé, sont toujours agréables à entendre. La première partie de la causerie sans prétention de notre Confrère nous a laissé cette impression.

M. Mauriès nous a dit en quelques lignes le scandale qui s'était produit au Théâtre de Brest, en 1770, à l'occasion d'une représentation au bénéfice d'une artiste dont les soins dévoués et les sacrifices pécuniaires avaient contribué à tirer des dangers d'une grave maladie un officier de vaisseau, son préféré.

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