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sort, que de le devoir à son fils (1). Il est question maintenant de savoir si, lorsque l'on raconterait cette histoire au jeune sauvage, pris il y a quelques années dans les bois de Hanovre, ou à un sauvage sans expérience et sans instruction, privé dès sa première enfance de toute communication avec son espèce, et par conséquent ne pouvant être modifié d'aucune manière par l'exemple, l'autorité, l'éducation la sympathie, ou l'habitude; si, dis-je, un tel homme éprouverait ou non à ce récit, quelque degré de ce sentiment d'improbation contre la conduite de Toranius, que nous éprouvons nous-mêmes. Ceux qui soutiennent l'existence d'un sens moral des maximes innées d'une conscience naturelle que l'amour de la vertu et la haine du vice sont instinctifs, ou la perception du juste et de l'injuste intuitive toutes manières différentes d'exprimer la même opinion), affirment qu'il l'éprouverait.

(1) << Caius Toranius, triumvirûm partes secutus, pros→ »cripti patris sui, prætorii et ornati viri, latebras, ætatem, > notasque corporis, quibus agnosci posset, centurionibus

edidit, qui eum persecuti sunt. Senex, de filii magis vitâ » et incrementis, quàm de reliquo spiritu suo sollicitus; an incolumis esset, et an imperatoribus satisfaceret, inter>> rogare eos cœpit. E quibus unus: ab illo, inquit, quem » tantopere diligis demonstratus, nostro ministerio, filii >> indicio, occideris; protinusque pectus ejus gladio trajecit. Collapsus itaque est infelix, autore cædis, quam ipsâ cæde, miserior: VALER. MAX., lib. IX, cap. 11.

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Ceux qui nient l'existence d'un sens moral, etc., affirment qu'il ne l'éprouverait pas.

Comme l'expérience n'a jamais été faite, et que, par la difficulté de trouver un sujet (sans parler de l'impossibilité de lui proposer la question, au cas qu'on en trouvât un ), elle ne paraît pas près de se faire, on ne peut juger de l'événement que par les probabilités

de la raison.

Ceux qui soutiennent l'affirmative, observent que nous approuvons les exemples de générosité, de gratitude, de fidélité, etc., et condamnons les exemples contraires, instantanément, sans délibération, sans y avoir aucun intérêt personnel; souvent sans connaître, et sans pouvoir donner une raison de notre approbation; que cette approbation est uniforme et universelle, le même genre de conduite étant approuvé ou désapprouvé dans tous les âges et dans tous les pays du monde ; circonstances, disent-ils, qui indiquent fortement l'action d'un instinct, ou d'un sens moral.

D'un autre côté, les partisans du systême opposé ont trouvé des réponses à la plupart de ces argumens: et

D'abord, , quant à l'uniformité ci-dessus alléguée, ils disputent le fait. Ils remarquent, d'après les récits authentiques des historiens et des voyageurs, qu'il est à peine un seul vice que l'opinion publique n'ait point encouragé

dans quelque âge ou dans quelque pays du monde : que dans un pays c'est un devoir de la piété filiale de nourrir des parens âgés; dans un autre, de mettre fin à leur vie; que le suicide dans un temps passa pour héroïsme, dans un autre pour lâcheté; que le vol, puni par la plupart des lois, était souvent recompensé par les lois de Sparte; que le commerce libre des deux sexes, quoique condamné par les lois et l'opinion de toutes les nations civilisées, est établi chez les sauvages des tropiques, sans réserve, sans honte et sans disgrâce; que des crimes, dont il n'est plus permis de parler, ont eu leurs défenseurs parmis les sages dans des temps très renommés; que si un habitant des nations policées de l'Europe est réjoui, toutes les fois qu'il voit autour de lui le bonheur, la tranquillité, les jouissances; un sauvage de l'Amérique n'est pas moins charmé des douleurs atroces et des contorsions d'une victime sur le bûcher; que même parmi nous, et dans l'état très perfectionné de connaissances morales où nous sommes maintenant, il s'en faut bien que nous soyons d'accord dans nos opinions et nos sentimens; que le duel est alternativement condamné ou applaudi, suivant le sexe, l'âge, la condition de la personne qui parle; que le pardon des injures et des insultes est regardé par une classe de personnes comme

une magnanimité, par une autre comme une bassesse; que dans les exemples ci-dessus, et peut-être dans beaucoup d'autres, l'approbation morale suit les usages et les institutions du pays dans lequel on vit; usages et institutions qui sont eux-mêmes nés du besoin, du climat, de la situation, ou des circonstances locales du pays; ou ont été établis par l'autorité arbitraire de quelques chefs, ou le caprice léger de la multitude: toutes circonstances, observe-t-on, qui ressemblent fort peu à la main ferme et aux traits indélébiles de la nature. Mais,

Secondement, parce qu'après ces exceptions on ne peut cependant nier que certaines actions commandent et reçoivent l'estime du genre humain plus que d'autres, et qu'elles sont généralement, sinon universellement approuvées; les adversaires du sens moral disent à cet égard que l'approbation générale de la vertu, même dans les cas où nous n'avons aucun intérêt personnel qui nous y conduise, peut s'expliquer sans l'assistance d'un sens moral, de la manière suivante :

telle

Ayant éprouvé, dans certain cas, que conduite particulière nous est utile, ou observé qu'elle pourrait l'être, un sentiment d'approbation s'élève ainsi dans notre ame. Et ce sentiment accompagne ensuite l'idée ou le souvenir d'une conduite semblable, quoique

l'avantage particulier qui l'avait excité d'abord n'existe plus.

Et cette durée du sentiment, après que le motif qui l'avait fait naître a cessé, n'est rien de plus que ce qui arrive dans d'autres circonstances; par exemple pour l'amour de l'argent, qui n'est jamais si vif que dans certains vieillards riches et malades, sans famille à pourvoir, sans amis à obliger, et pour lesquels par conséquent l'argent n'est plus (comme ils le sentent souvent euxmêmes) d'aucun usage ni d'aucune valeur réelle. Cependant un homme de ce genre est aussi réjoui par le gain et aussi mortifié par la perte, qu'il l'était le premier jour où ouvrit sa boutique et lorsque sa subsistance même dépendait de ses succès.

C'est par ces moyens que l'habitude d'approuver certaines actions a commencé. Une fois qu'une telle habitude a eu pris pied dans le monde, il n'est pas difficile d'expliquer comment elle s'est transmise et perpétuée; car dans la suite la plupart de ceux qui approuvent la vertu l'approuvent par autorité, par imitation et par une habitude d'approuver telles ou telles actions, inculquée dès la première jeunesse et recevant chaque jour dans les progrès de l'âge une nouvelle vigueur, soit par la censure et les encouragemens qu'ils reçoivent, soit par les livres qu'ils lisent,

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