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BULLETIN

DES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ DE PHARMACIE

DE PARIS.

Rédigé par M. ROBIQUET, secrétaire général, et par urie Commission spéciale.

Suite de l'article sur les lotos des anciens.

Par A.-L.-A. FÉE.

VI.

Parlons d'abord du xúapos aiyurtianos des anciens, de la fève d'Egypte, le plus remarquable des lotus aquatiques. Théophraste qui décrit cette plante (1) la fait naître dans le Nil, quoiqu'elle vienne aussi, dit-il, dans quelques marais de Syrie, de Cilicie, etc. La racine en est épineuse au point de faire fuir le crocodile, qui n'a pourtant que les yeux de vulnérables. Passons sur cette fable, et voyous le reste. On mange cette racine crue ou cuite. La fleur est rose, double de celle du pavot; le fruit, assez semblable à un rayon de miel circulaire, contient, dans ses alvéoles, une trentaine de fèves propres à servir d'aliment, et qu'on a soin de semer dans du limon mêlé de paille, pour propager la plante.

Hérodote l'appelle lys rosé. Il en compare aussi le fruit à du miel en rayons.

Galien vante, comme aliment, les fèves que fournit le κιβώριον. On appelait κιβώριον le globe formé par les capsules réunies du fruit de notre plante. On s'en servit comme

(1) Theoph. lib. IV, cap. 10.

de vase à boire; et de là xipov prit, en grec, le sens de coupe (1). Nous en avons formé notre mot CIBOIRE, que sans cela on aurait cru pouvoir dériver naturellement de cibus.

Athénée dit que la fève égyptienne se nomme aussi lotos ou melilotos (2). Nicandre la surnomme colocase. Ces deux appellations sont impropres et abusives.

Quel est donc enfin le κύαμος αιγυπτιακός des anciens ? C'est le termous, des Arabes, le Nymphæa Nelumbo de Linné, le Nelumbium speciosum de Wildenow.

C'est cette belle plante qui formait, au milieu du Nil, des masses de verdure, où l'on allait, au rapport de Strabon, prendre des repas délicieux. On amarrait aux touffes épaisses des nymphéas, les barques légères où, sur des lits voluptueux, les convives, mollement couchés, jouissaient de la beauté du ciel et de la fraîcheur des eaux; enivrés du parfum de ces grandes rosacées, et garantis des ardeurs du soleil par les larges feuilles que des pétioles, de dix pieds de longueur, balançaient au-dessus de leurs têtes.

C'est cette plante, la coiffure des sphinx, la parure d'Isis, le siége d'Harpocrate, l'emblème du silence et de la perfection; c'est le tamara des Indes, portant Brahma sur l'abîme des eaux éternelles, ou servant de conque flottante à la divine Lakch mi.

Elle ne se trouve plus en Égypte; les fabeta du Nil ont disparu; mais elle existe encore dans les grands fleuves de l'Inde, et continue à jouer, dans la religion des Brahmes, le rôle important qu'elle occupait dans celle de leurs

(1) Sprengel prétend, il est vrai, que c'est le mot acopov, coupe, qui a fourni le nom de la plante égyptienne. Cette progression d'idées est peu naturelle; et d'ailleurs pov, qui ne dérive d'aucune racine grecque, offre toutes les apparences d'un emprunt fait aux étrangers. Pourquoi ne serait-ce pas un mot de la langue égyptienne, aujourd'hui oubliée? Ne pourrait-il pas venir de KEB, tête, l'un des radicaux les plus universels que l'on connaisse, et d'or (que nous appelons Orus), divinité du pays? On peut former, sur les mêmes bases, beaucoup d'autres conjectures. Cependant l'étymologie KEB-OR prendrait un degré de probabilité de plus, s'il ne restait aucun doute sur l'assertion de Prosper Alpin, quand il rapporte que le fruit du Nymphaea Lotus se nomme encore, vulgairement, tête du Nil.

(2) Deipnosoph. lib. 111, cap. 1.

imitateurs. Le missionnaire Just Huern, dont la relation se trouve insérée dans les commentaires de Bodæus de Stapel sur Théophraste, l'avait vue dans l'île de Java, et l'appelait Nymphaea glandifera.

S VII.

Il est un autre lotus, voisin du précédent, dont il a partagé la célébrité. Hérodote l'appelle simplement wτós. II naît, dit-il, dans les lieux inondés par le Ñil. Son fruit, de la forme d'une tête de pavot, contient des semences qu'on fait rôtir pour en préparer une sorte de pain. Sa racine bulbeuse, de la grosseur d'un beau fruit, est également comestible.

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Théophraste décrit en outre la fleur de ce lotus, blanche, et semblable à celle du lys. Il ajoute aussi qu'au soleil couchant elle se replie, et s'enfonce sous les eaux pour ne reparaître qu'au soleil levant; que les semences renfermées dans son fruit papaveracé, loin d'égaler le volume des fèves d'Égypte, ressemblent à des grains de millet; qu'on entasse ses têtes pour en laisser pourir l'enveloppe, qu'ensuite on en sépare la semence par des lavages, et qu'on en fait du pain; qu'enfin la racine du lotus est ronde, de la grosseur d'une pomme de coing, et blanche, sous une écorce brune; qu'elle se nomme xóprio, qu'on la mange crue et cuite, mais mieux de la dernière façon.

Voici donc une espèce bien distincte de celle que nous avons déterminée. Une bulbe au lieu d'une racine, une fleur constamment blanche et non rose, de petites graines pour semence au lieu de fèves, sont des caractères saillans, qui l'en séparent, même aux yeux de ceux qui ne sont pas botanistes.

Nul doute sur le nom à lui donner. On y reconnaît la plante que les Arabes appellent bachenín, et dont ils nomment la bulbe (le corsium des anciens) baymaroum (1).

(1) Bayaroum suivant Golius, baymaroum selon Sprengel (Antiq. botan. specimen.). Ce savant ajoute, d'après Prosper Alpin, que le fruit se nomme tête du Nil. Je n'ai pas osé l'affirmer, craignant qu'il n'y cût là quelque erreur, fondée sur la ressemblance de deux mots arabes. En effet, les fleurs de cette plante se nomment très-certainement Aráïs elNil, les épouses du Nil.

On y voit clairement, en un mot, le Nymphaea Lotus de Linné.

Cependant Dioscoride, qui l'appelle, ainsi que plusieurs anciens, zoloxxaiov, la confond avec le xptov, et dit qu'on les surnomme, l'une et l'autre, fève pontique. Pline fait bien mieux: il transporte à la tige du faba aegyptiaca ce que Théophraste avait dit de sa racine; il attribue à une seule et même plante ( la colocase) deux particularités dont l'une, l'usage des tiges comme aliment, ne concerne que le Nymphaea Lotus, tandis que l'autre, l'emploi des feuilles pour former des vases, ne convient qu'au Nymphæa Nelumbo. Il dit enfin qu'on la semait en Italie de son temps, et ceci a rapport à l'Arum Colocasia.

S VHI.

Un troisième Nymphæa, que Sprengel passe sous silence, le confondant avec le Nelumbo, quoiqu'il se rapproche plutôt du Nymphæ Lotus, à la différence près de ses feuilles plus entières et de sa couleur bleue, est probablement le lotus dont parle Athénée dans le XV. livre de son Banquet des savans.

C'est l'espèce qui porte proprement le nom de linoufar, mot qui s'écrit aussi niloufar, ninoufar et noufar, et dont nous avons pris le nom français de nénufar. On la trouve encore dans le Nil. M. Savigny, qui l'a soigneusement observée, l'appelle botaniquement Nymphæa cœrulaa.

Sur les monumens de la sculpture égyptienne, on ne saurait distinguer l'une de l'autre les espèces VI, VII et VIII, principalement caractérisées par la couleur de leurs fleurs, circonstance qu'on ne pouvait y exprimer, ou par la forme de leur fruit, qu'on n'avait point de motifs pour y repré

senter.

S IX.

Il est singulier que le nom de colocase, donné si souvent au Nymphaea Lotus, ait pu s'appliquer aussi à une plante du genre des Arum. Le fait est néanmoins indubitable. L'Arum Colocasia ne fleurit presque jamais, et ses fleurs different extrêmement de celles des nénufars. Mais il y

a de

.

la ressemblance dans les feuilles. La racine de l'Arum, quoiqu'assez âcre, se mange aussi à la manière du corsium. Ce légume, d'ailleurs, était originaire d'Égypte. En voilà plus qu'il ne faut pour que les Romains, qui en avaient naturalisé la culture en Italie, l'aient confondu avec la véritable colocase.

Jamais en effet ils n'en citent la fleur, qui, certes, s'il se fût agi d'un Nymphaea, n'aurait pu être oubliée. On voit, en outre, que la manière de le planter par bulbes au bord des eaux, rapportée par Columelle et Palladius, est la même qu'ont vu pratiquer, pour l'Arum, Clusius et Bélon. Il peut cependant aussi végéter dans les champs (1).

Quant aux Arabes, ils l'ont toujours bien distingué, et c'est à cette espèce seule qu'ils ont réservé le nom de koulkas. Rhazès en recommande la racine comme stomachique; Abdou'l-Latif parle des bulbes qui l'accompagnent, et qui sont de la forme d'une fève, et de couleur rose. Le juif Maimonide l'appelle le gingembre de l'Egypte.

C'est assurément le Niliacum olus dont Martial plaisante.
TROISIÈME SECTION.

LOTUS, plante terrestre.

S X.

Homère fait mention, dans quatre ou cinq passages différens, d'un lotos qui couvrait les campagnes (2), et qui servait de fourrage choisi pour les bestiaux. Les chevaux d'Achille (3), les boeufs que déroba Mercure (4), en étaient nour

(1) Cette raison ne fait grandement douter de l'utilité d'une correction que Sprengel propose au texte d'Avicenne. Il croit que le fruit du niloufar ne saurait s'appeler graine de l'époux (el-'arous), mais de l'Arum el'aroun). L'Arum est bien la colocase koulkas, mais non la colocase Nymphæa; et le nom de légume aquatique, donné par Avicenne, ne lui convient qu'à moitié. Ainsi nul prétexte pour changer. Mais que signifie Habb el-'arous? Qu'importe? Ce pourrait être un de ces noms insignifians comme nous en avons mille. Et cependant, par bonheur, nous tenons le fil qui doit nous guider dans cette explication. Ce fil est l'expression Arāïs el-Nil, citée plus haut.

(2) Odyss. ▲,

602.

(3) Iliad B, 776.
(4) Hymn. in Merc. 107,

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