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« Si donc nous étendons aux quantités continues les résultats trouvés pour les nombres, par la méthode ci-dessus exposée, nous pouvons énoncer les règles suivantes:

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Règle relative à la progression naturelle qui commence par l'unité.

« La somme d'un certain nombre de lignes est au carré de la plus grande, comme 1 à 2.

« La somme des carrés des mêmes lignes est au cube de la plus grande, comme 1 à 3.

La somme de leurs cubes est à la quatrième puissance de la plus grande, comme 1 à 4.

«

Règle générale relative à la progression naturelle qui commence par l'unité. Les sommes des mêmes puissances d'un certain nombre de lignes, est aux puissances de degré immédiatement supérieur de la plus grande d'entre elles, comme l'unité est à l'exposant de cette même puissance. »

Comment se fait ce passage de nombres aux quantités con

tinues?

PASCAL va essayer de nous le dire. Mais, c'est ici que ses explications deviennent embrouillées, voire quelque peu incohérentes.

«

Je ne m'arrêterai pas aux autres cas, dit-il, parce que ce n'est pas ici le lieu de les étudier. Il me suffit d'avoir énoncé en passant les règles qui précèdent. On découvrira les autres sans difficulté en s'appuyant sur ce principe, qu'on n'ajoute pas à une grandeur continue, lorsqu'on lui ajoute, en tel nombre qu'on voudra, des grandeurs d'un ordre d'infinitude supérieur. Ainsi, les points n'ajoutent rien aux lignes, les lignes aux surfaces, les surfaces aux solides. »>

Voilà qui pourrait sembler parfaitement.clair. Les indivisibles sont rigoureusement nuls. Ils doivent s'entendre au sens de CAVALIERI; du moins au sens que le grand italien leur donne le plus souvent. Mais continuons:

«

Ou, pour parler en nombres, ajoute PASCAL, comme il convient dans un traité d'Arithmétique, les racines ne comptent pas par rapport aux carrés, les carrés par rapport aux cubes, et les cubes par rapport aux carrocarrés. De sorte qu'on doit négliger, comme nulles, des quantités d'ordre inférieur. »><

Les indivisibles sont maintenant des quantités qui ne sont plus nulles du tout; elles sont simplement négligeables devant d'autres. Quand CAVALIERI cherche à justifier l'emploi des indivisibles, il lui arrive aussi de supposer qu'ils ne sont pas rigoureusement nuls. J'ai dit, dans un autre travail, comment les deux manières de parler du

Bolonais me paraissaient pouvoir se concilier ". J'avoue n'avoir trouvé jusqu'ici aucune explication satisfaisante pour PASCAL.

Mais sa conclusion sur les lois de la nature est vraiment surprenante chez un mathématicien d'ordinaire rigoureux.

«

« J'ai tenu à ajouter ces quelques remarques familières à ceux qui pratiquent les indivisibles, dit-il, afin de faire ressortir la liaison, toujours admirable, que la nature, éprise d'unité, établit entre les choses les plus éloignées en apparence. Elle apparaît dans cet exemple où nous voyons le calcul des dimensions des grandeurs continues se rattacher à la sommation des puissances numériques.

Soyons de bon compte, voilà en géométrie un raisonnement peu géométrique. Aussi me persuadera-t-on difficilement qu'un écrivain aussi sûr de sa plume que PASCAL, disant aussi aisément, aussi clairement que lui, ce qu'il pense, quand il a une idée claire; on me persuadera difficilement, dis-je, qu'un pareil écrivain eût tenu le langage diffus qui précède, s'il avait déjà eu la notion exacte de la nature des indivisibles. La vérité est, qu'il n'a encore lu que CAVALIERI, et qu'il en est encore aux idées des lecteurs de CAVALIERI. Il n'est pas difficile de découvrir par quelles lectures nouvelles il les a rectifiées.

Au cours de la Lettre de Dettonville à Carcavi, il arrive à PASCAL, pour abréger, de supprimer la démonstration, en renvoyant aux Quatre livres des Cylindres et des Anneaux d'ANDRÉ TACQUET ". Or, le jésuite anversois y emploie les indivisibles avec toute la rigueur désiable.

15 CAVALIERI n'attacha jamais grand prix à la rigueur. Je crois qu'il entrevit, cependant, qu'on pouvait rendre sa méthode correcte de deux manières différentes, ou bien en supposant les indivisibles vraiment nuls, mais doués d'une fluxion, pour employer son expression; ou bien en les ramenant à la méthode d'exhaustion d'ARCHIMÈDE. Voir mon mémoire: Sur une contradiction reprochée à la théorie des " indivisibles, chez Cavalieri, publié dans les Annales de la Société Scientifique de Bruxelles, t. XLI, Louvain, Ceuterick, 1922-1923, 1o part., pp. 82-89.

16 Pascal, t. VIII, p. 377.

ANDRÉ TACQUET naquit à Anvers, le 2 juin 1612, et mourut dans sa ville natale, le 23 décembre 1662. Il étudia les mathématiques, à Louvain, sous GUILLAUME BOELMANS, qui fut lui-même l'un des bons disciples de GRÉGOIRE de SAINT-VINCENT. Son traité des Cylindres et des Anneaux est intitulé:

Andreae Tacquet e Societate Iesu Cylindricorum et Annularium libri IV. Item de Circulorum evolutione per planum.... Antverpiae, apud Iacobum Meursium. M.DC.LI. En 1659, TACQUET y ajouta un 5o livre, qui parut chez le même éditeur.

Ces éditions originales sont rares, même dans les bibliothèques belges. Je me sers des exemplaires de la Bibliothèque de l'Observatoire Royal d'Uccle (Bruxelles).

L'ouvrage a été reproduit dans les deux éditions des Opera Mathematica. R. P. ANDREAE TACQUET Antverpiensis e Societate Iesu.... Antverpiae, apud Iacobum Meursium M.DC.LXIX, et Antverpiae, apud Henricum et Cornelium Verdussen, M.DCC.VII.

Il s'en sert, pour le première fois, dans la démonstration de la 12° proposition du premier Livre. Je prie le lecteur de bien vouloir dessiner la figure.

Considérons le cercle de la base inférieure d'un cylindre circulaire droit. Soit AOB un diamètre de ce cercle, et OC un rayon perpendiculaire à AB.

Par C, élevons, dans la surface du cylindre, une perpendiculaire CD au plan du cercle, et prenons sur cette perpendiculaire une longueur CD égale à la circonférence du cercle de base.

Menons le plan DAB.

Ce plan détache, au bas du cylindre un solide DABC que nous nommerons segment.

TACQUET se propose de démontrer que le volume du segment est égal à celui de la sphère de centre O et de rayon OC; qui aurait, par conséquent, le cercle de la base inférieur du cylindre comme plan diamétral.

Pour cela, il coupe la sphère et le segment par des plans perpendiculaires au diamètre AB, et situés à des distances infinitésimales les uns des autres. Chacun de ces plans coupe la sphère suivant un cercle c, et le segment suivant un triangle rectangle t; et il est aisé de démontrer, que dans chacun de ces plans

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Voilà une démonstration dans le plus pur style de CAVALIERI. Mais TACQUET y ajoute immédiatement ce Scolie, demeuré justement célèbre ":

« Je ne crois pas qu'on puisse admettre comme légitime et géométrique la méthode de démonstration par les indivisibles, ou par les hétérogènes, comme j'ai l'habitude de la nommer; méthode que la noble Géométrie de BONAVENTURA CAVALIERI a mise au jour. Elle passe des lignes aux surfaces, et des surfaces aux corps, en concluant que les surfaces ont les rapports d'égalité et de proportionnalité trouvés entre les lignes; et étendant aux corps, les rapports trouvés entre les surface. Ces raisonnements, à moins d'être ramenés aux homogènes, ne prouvent rien.

"Ed. 1651, pp. 11-12; éd. 1669, t. II, pp. 13-14; éd. 1707, pp. 484-485.

Car, pour montrer la chose par un exemple, quel est celui qui se laissera convaincre par le raisonnement suivant: chaque triangle du segment de cylindre vaut un cercle de la sphère, donc le segment vaut la sphère?

<< Cette conclusion ne s'en suit pas, car le segment de cylindre ne se compose pas de triangles, ni la sphère de cercles. Les Géomètres admettent, il est vrai, qu'une ligne peut s'engendrer par le mouvement d'un point, et une surface par celui d'une ligne. Mais, il est bien différent de dire, qu'une quantité est produite par le mouvement d'un indivisible, et de dire, qu'elle est un composé d'indivisibles. La première proposition est une vérité incontestable; la seconde est si opposée à la Géométrie, qu'elle doit la détruire, ou être détruite par elle.

« Loin de moi, cependant, de vouloir refuser à une invention l'éloge qu'elle mérite. Je veux dire seulement que la démonstration par les hétérogènes ne force l'assentiment, que si on peut les ramener aux homogènes, ce qui est le cas le plus fréquent. Ainsi, dans l'exemple que je viens de donner, l'égalité du segment et de la sphère ne provient pas, de ce que tous les triangles du segment sont égaux à tous les triangles de la sphère; mais elle s'en déduira, si on les ramène aux homogènes comme suit:

«

Puisque les triangles du segment sont égaux aux cercles de la sphère et sont menés à la même distance, on voit immédiatement, que l'on peut inscrire des prismes dans le segment, des cylindres dans la sphère, qui ont la même hauteur et dont les bases sont équivalentes. De la constante équivalence des prismes et des cylindres, on déduit, nécessairement, l'équivalence du segment et de la sphère, comme nous l'avons fait dans la seconde démonstration. »><

Cette seconde démonstration est celle que nous avons reproduite ci-dessus. TACQUET avait donné la première, dans la proposition précédente, où il démontre l'équivalence de la sphère et du segment, par des procédés géométriques indépendants des indivisibles.

Il continue:

<< Mais, si on proposait un théorème qui ne pourrait se démontrer que par les indivisibles, on devrait douter de sa vérité jusqu'à ce qu'il apparaisse qu'ils sont réductibles aux homogènes. Or, ceci n'est autre chose, que revenir à la méthode des anciens, en épuisant les quantités proposées par l'inscription d'homogènes. »

PASCAL n'a pas perdu la leçon. Aussi, l'on va voir, comme ses idées se sont éclaircies et comme son style se précise; car, c'est un

maître incomparable, quand il explique ce qu'il a bien compris. Il s'agit de la surface d'un demi-cercle partagé en trapèzes curvilignes infinitésimaux de même hauteur 18.

«

<< Tout ce qui est démontré par la véritable règle des indivisibles, dit-il, se démontre aussi à la rigueur, et à la manière des anciens; et.... l'une de ces méthodes ne diffère de l'autre, qu'en la manière de parler; ce qui ne peut blesser les personnes raisonnables, quand on les a une fois averties de ce qu'on entend par là.... e ne ferai aucune difficulté d'user de cette expression: la somme des ordonnées, qui semble n'être pas géométrique à ceux qui n'entendent pas la méthode des indivisibles, et qui s'imaginent que c'est pécher contre la géométrie, que d'exprimer un plan par un nombre indéfini de lignes; ce qui ne vient que de leur manque d'intelligence, puisqu'on n'entend autre chose par là, sinon la somme d'un nombre indéfini de rectangles faits de chaque ordonnée avec chacune des petites portions égales du diamètre, dont la somme est certainement un plan, qui ne diffère de l'espace du demi-cercle, que d'une quantité moindre qu'aucune donnée. »

PASCAL n'est pas moins clair, quand il passe aux volumes. Quelques pages plus loin, on lit, en effet, ce qui suit "":

19

« Quand j'ai parlé de la somme des espaces (ces espaces, dans la question qu'il traite sont des surfaces planes, parallèles et équidistantes entre elles, menées dans un solide à des distances infinitésimales les unes des autres) on a dû entendre que chacun de ces espaces fut multiplié par chacune de ces petites distances égales d'entre les plans voisins.... et formassent ainsi une multitude indéfinie de petits solides prismatiques, tous de même hauteur, la somme desquels formera un solide, qui est celui que l'on considère quand on a parlé de la somme de ces plans.

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Mais, PASCAL va plus loin et passe immédiatement après à l'espace à quatre dimensions 2o.

20

« On doit entendre la même chose, continue-t-il, par la somme des solides. Car, il faut entendre, qu'ils sont tous multipliés par ces

18 Pascal, t. VIII, pp. 352-353.

19 Pascal, t. VIII, p. 358.

20 Pascal, t. VIII, p. 358. PASCAL a donné de l'espace à quatre dimensions une explication que le géométre le plus rigoureux accepterait sans hésiter. Ce n'est d'après lui qu'un langage géométrique conventionnel, pour désigner des opérations d'arithmétique. Voir mon mémoire: Sur l'interprétation géométrique donnée par Pascal à l'espace à quatre dimensions, publié dans les Annales de la Soc. Sc. de Brux, t. XLI (1923), 1o part, pp. 337-345.

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