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prisonnier dans la Tour de Londres. Les lords, après de violents débats, décidèrent qu'on obligerait le roi à renoncer à la couronne. En conséquence, on lui présenta un acte d'abdication, qu'il signa sans hésiter, ajoutant que, s'il avait la faculté de nommer son successeur, il choisirait son cousin de Lancastre, qui était présent; il remit en même temps son anneau.

Cet acte d'abdication, évidemment entaché de violence, ne suffisait pas à l'ambition de Henri. Il entrait dans son plan de se débarrasser du roi. Le lendemain, les deux chambres s'étant assemblées, elles prononcèrent solennellement sa déposition.

Par suite de ces mesures violentes et illégales, le trône se trouvait vacant. La couronne revenait de droit au descendant de Lionel, troisième fils d'Edouard III. Mais Henri avait pris ses mesures. Les lords s'empressèrent de le reconnaître comme roi; et le sceptre d'Angleterre passa ainsi, au moyen d'une usurpation, dans la maison de Lancastre.

Cependant Henri ne tarda pas à s'apercevoir qu'il est plus facile de s'emparer d'un trône que de le conserver; car à peine y fut-il assis, qu'on lui donna le titre odieux d'usurpateur, et que la captivité du malheureux Richard éveilla dans les esprits un intérêt semblable à celui qu'il avait lui-même inspiré autrefois.

Une conspiration se forme contre lui. Le duc d'York la découvre, et accuse le comte d'Aumerle, son propre fils, d'en être un des chefs. Le nouveau roi, Henri IV, accorde au comte son pardon, et fait exécuter ses complices. Rien ne trouble plus sa félicité, que la dissipation et la mauvaise conduite de son fils, et la crainte de quelque nouvelle conjuration. Il manifeste cette dernière crainte devant Exton, seigneur anglais qui lui est attaché, et qui, pour lui prouver son zèle, court à Pomfret poignarder le roi Richard, l'enferme dans un cercueil, et l'apporte aux pieds de Henri. Ce prince accable l'assassin d'imprécations, l'exile à perpétuité, et fait vœu d'aller dans la Terre-Sainte, expier le crime dont il a été la cause involontaire.

Le drame que nous venons d'analyser embrasse les deux dernières années du règne du roi Richard. Il commence en 1398, lors de l'accusation de trahison intentée par Bolingbroke contre Mowbray, duc de Norfolk, et se termine au meurtre de Richard, au château de Pomfret, en 1400. Shakspeare

l'écrivit en 1597; il en tira les principaux matériaux de la chronique de Hollinshed, et copia presque littéralement plusieurs passages de cet auteur. De ce nombre est le discours de l'évêque de Carlisle, pour défendre le droit inaliénable du roi Richard, et pour soutenir qu'il n'était justiciable d'aucune juridiction humaine. Les faits historiques de cette tragédie sont par conséquent exacts; car, malgré les préjugés lancasteriens de ceux qui ont célébré son règne, Richard était un prince faible et inhabile à gouverner. Il ne manquait pas de capacité, mais point de jugement solide; son éducation avait été trèsnégligée. Il était violent par caractère, prodigue et dissipateur, ami d'une vaine représentation, livré à ses favoris et recherchant la société de gens de basse extraction: malgré cela, ses malheurs l'emportent sur ses défauts. Le docteur Johnson fait observer qu'on ne peut pas dire de cette pièce qu'elle touche beaucoup les passions; mais il est impossible de voir sans attendrissement l'abjecte dégradation de cet infortuné monarque. Où peut-on trouver une combinaison de circonstances plus pathétiques, que celles dont Shakspeare a enveloppé la courte carrière de Richard, depuis son débarquement dans le pays de Galles jusqu'à sa mort à Pomfret? Si l'amertume de son chagrin, quand il est abandonné par ses amis et bravé par ses barons; si son humiliation et sa patience, quand il est insulté par la populace, et salué des hommages moqueurs de son rival; si la grandeur des sentiments qui l'élèvent au-dessus de la conscience de sa faiblesse ou de son impuissance physique; enfin si sa résistance héroïque, quand il est attaqué par ses assassins, ne sont pas propres à émouvoir les passions ou à agrandir l'entendement, quel tableau dramatique pourra y parvenir ?

La faiblesse du roi nous fait prendre le plus vif intérêt aux malheurs de l'homme. Après le premier acte où le despotisme de sa conduite prouve seulement son défaut de résolution, nous le voyons chancelant sous les coups de la fortune qu'il n'a pas su prévoir, regrettant la perte de son autorité, sans essayer de la prévenir, cédant au génie ambitieux de Bolingbroke, son autorité foulée aux pieds, perdant toute espérance, laissant fléchir et briser son orgueil sous des insultes et des injures que sa mauvaise conduite a provoquées, mais qu'il n'a ni le courage ni la force de venger. Le changement de ton et de conduite des deux compétiteurs au tròne, suivant leur changement de

fortune, depuis la capricieuse sentence de bannissement prononcée par Richard contre Bolingbroke; les offres suppliantes et les modestes prétentions de celui-ci à son retour, jusqu'au ton élevé et arrogant avec lequel Bolingbroke reçoit de Richard son abdication de la couronne; ce roi dépossédé qu'il fait servir à orner sa marche triomphale à travers les rues de Londres, et enfin l'expression du désir de la mort de ce prince, qu'il laisse échapper, et qui trouve aussitôt un servile exécuteur; tout cela est rendu avec une vérité et une facilité parfaites.

Le droit que s'arroge le souverain pouvoir de se jouer du bonheur des autres, comme d'une affaire sans importance, ou de se relâcher de l'exercice de son autorité, comme par faveur, se montre d'une manière frappante, tant dans la sentence de bannissement si injustement prononcée contre Bolingbroke et Mowbray, que dans ce que dit Bolingbroke, quatre ans après son bannissement, avec aussi peu de raison.

Les caractères du vieux John de Gaunt et de son frère York, oncles du roi, l'un sévère et prévoyant, l'autre honnête et d'unbon naturel, sont bien soutenus. Le discours du premier, à la louange de l'Angleterre, est un des plus éloquents qui aient jamais été écrits.

Mais le rôle de Richard lui-même donne à la pièce le principal intérêt. Sa folie, ses vices, ses malheurs, sa répugnance à abandonner la couronne, sa crainte de la garder, ses regrets, ses larmes, ses accès de passion, sa majesté qui s'est évanouie, passent successivement sous nos yeux, et forment un tableau aussi naturel que touchant. Un des passages les plus pathétiques est celui où il s'écrie: « Que ne suis-je un roi de neige pour >> fondre devant le soleil de Bolingbroke! »

Henri, comte de Bolingbroke, fait sur son exil les réflexions suivantes :

« Quel long espace de temps renfermé dans un mot si court! >> quatre mortels hivers, quatre joyeux printemps, finis par ce >> seul mot! telle est la parole des rois ! »

Gaunt, duc de Lancastre, dit au roi Richard qu'il est déjà trop vieux pour voir le retour de son fils.

« Pourquoi, mon oncle, reprend Richard; tu as encore plusieurs années à vivre.

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Gaunt. Mais pas une minute, roi, que tu puisses donner : tu peux abréger mes jours par un sombre chagrin, tu peux m'enlever des nuits, mais tu ne saurais me donner un lendemain. Tu peux aider le temps à sillonner mon front des traces de la vieillesse, mais tu ne saurais arrêter le progrès d'une seule de mes rides. Ta parole est aussi puissante que le temps, s'il s'agit de mon trépas; si je suis mort, ton royaume ne peut me racheter la vie. >>

Le duc d'York démontre à Gaunt l'inutilité de ses conseils sur un esprit comme celui de Richard. Gaunt lui répond : «On dit pourtant que, comme une solennelle harmonie, la voix des mourants captive l'attention; que lorsque les paroles sont rares, elles ne sont guère jetées en vain; car ce n'est que la vérité qui s'exhale au milieu des souffrances, et celui qui ne parle plus trouve des oreilles plus attentives que l'homme instruit aux discours agréables, par la jeunesse et la santé. On remarque plus la fin d'un homme que la vie qui l'a précédée, de même que le coucher du soleil, la dernière phrase d'un air, la dernière saveur d'un mets agréable, sont les impressions dont la douceur se prolonge le plus et qui se gravent mieux dans la mémoire que les choses passées depuis longtemps. Quoique Richard ait refusé d'écouter les conseils que lui donna ma vie, mes tristes discours de mort peuvent encore vaincre la dureté de son oreille. »>

Bushy, un des favoris du roi, essaye d'expliquer les sombres pressentiments dont la reine est obsédée depuis le départ de son époux.

<< Chaque cause réelle de douleur donne naissance à vingt om>> bres diverses qui ressemblent chacune à un chagrin, sans en >> être un véritable. L'œil de l'affliction, ébloui par les larmes » qui l'aveuglent, décompose une seule chose en plusieurs ob>> jets, comme ces peintures qui vues de face, n'offrent que des >> images confuses, et qui regardées obliquement, présentent >> des formes distinctes. >>

Richard, de retour d'Irlande, se voyant attaqué par des rebelles, croit qu'il n'a qu'à se montrer pour les dissiper. I exprime ainsi la confiance qu'il a en lui-même :

«<< Non, toutes les eaux de la mer orageuse n'enleveraient >> pas du front d'un roi le baume dont il a reçu l'onction

» Le souffle d'une voix mortelle ne saurait déposer l'élu du » Seigneur. Autant d'hommes a rassemblés Bolingbroke pour » lever un fer menaçant contre notre couronne d'or, autant le >> Dieu des armées rassemble au ciel d'anges resplendissants » pour défendre son protégé Richard; et si les anges com» battent, il faut que les faibles mortels succombent ; car le > ciel maintient toujours les droits légitimes. >>

Quand Richard se voit abandonné, il tombe dans un honteux abattement.

« Au nom du ciel, assey ons-nous sur la terre, rappelons-nous » les tristes histoires de la mort des rois, et comment quelques» uns ont été déposés, et plusieurs autres tués au champ d'hon» neur; certains ont été poursuivis par les fantômes de ceux » qu'ils avaient dépossédés; d'autres ont été empoisonnés par » leurs femmes, ou égorgés en dormant que d'assassinats! La » mort tient sa cour dans le creux de la couronne qui ceint le » front d'un roi; c'est là qu'elle siége avec une ironie amère, >> se riant de la grandeur du souverain, insultant à sa pourpre. >> Elle lui accorde un souffle de vie, une courte scène, pour jouer » le monarque, être craint, et le tuer de ses regards en l'eni» vrant d'une vaine opinion de lui-même, comme si cette chair » qui sert de rempart à notre vie était d'un bronze impénétra» ble. Après s'être divertie ainsi, elle en vient au dernier acte, » et, avec une frêle épingle, elle traverse ce rempart si bien » défendu, et... adieu le roi! Couvrez vos têtes et n'insultez » pas, par ces hommages solennels, à une masse de chair et de >> sang; jetez bas le respect, l'étiquette, les formalités, les de>> voirs cérémonieux. Vous m'avez pris pour un autre jusqu'à » présent : je vis de pain, comme vous; comme vous je sens >> les privations, je savoure la douleur ; j'ai besoin d'amis. As» sujetti de la sorte, comment pouvez-vous me dire que je » sois un roi. »

Le roi rejette les conseils de l'évêque de Carlisle et d'Aumerle, qui essayent de ranimer son courage:

» Je haïrai d'une haine éternelle quiconque m'exhortera en>> core à me consoler. Allons au château de Flint. J'y veux >> mourir de ma douleur. Un roi vaincu par l'infortune doit s'y » soumettre en roi. Congédiez les troupes qui me restent et » qu'elles aillent labourer la terre qui leur offre encore quel

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