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DECEMBRE 1807.

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EPT DE

sitent point à placer ce drame ennuyeux et dégoûtant, au dessous même de son opéra de Tarare, production plate ment folle, qui, au jugement du critique illustre que j'a déjà cité, n'a rien de l'esprit de Beaumarchais, si ce n'est une bizarrerie fatigante qu'il prit pour de l'originalité quand il fut gáté par la fortune, et qui était la partie malheureuse d'un talent que l'étude n'avait point épuré. Il y a pourtant peu de jours que j'ai entendu vanter, par esprit de dénigrement et d'opposition à des succès plus récens, ce même Tarare, où l'on trouve beaucoup de vers de la force des suivans, que l'auteur fait chanter par un chœur de bergers:

Nos tendres soins
Sont pour nos foins

Et notre amour pour la pâture.

L'ouvrage est, d'un bout à l'autre, écrit dans le même goût, sauf les fréquentes alliances de l'enflure avec la platitude. Quant au prologue, que Beaumarchais croyait trèsphilosophique, et qui ne lui paraîtrait aujourd'hui qu'extravagant, on s'en souviendra, dit Laharpe, comme du Voyage dans la Lune, de Cyrano de Bergerac. J'adopte ici l'opinion de cet écrivain avec d'autant plus de confiance, qu'on ne peut l'accuser d'aucune prévention contre Beaumarchais, et qu'il s'est au contraire attaché, dans un assez long article du Cours de Littérature, à justifier sa mémoire des calomnies infâmes qui furent long-tems répandues contre lui. Plus il condamne avec sévérité l'indécence, le mauvais goût et le mauvais style de ses comédies, plus il met d'énergie à défendre son caractère, auquel on ne rendit pas toujours la même justice qu'à ses ouvrages.

15.

« Tout homme qui a fait du bruit dans le monde a deux réputations,» m'écrivait à cet égard un homme qui n'en a qu'une, parfaitement honorable, et qui mérite une égale célébrité par l'élévation de sa conduite et la supériorité de son talent (1). Cette diversité d'opinion sur le compte de ceux qui occupent les cent voix de la renommée, s'évanouit peu-à-peu et forme enfin le jugement impartial de la postérité, même à l'égard de certains personnages, qui, suivant l'expression de Montaigne, présentent des aspects si ondoyans et si divers. Déjà l'on s'accorde à peu près sur le mérite littéraire de Beaumarchais il me semble que ce n'est pas s'écarter beaucoup de l'opinion générale, et proba

(1) M. de Fontamos,

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blement de la vérité, que d'ajouter à ce que nous avons dit de cet homme singulier que sa destinée fut à peu près la même dans le monde et sur le théâtre. Si ses pièces ont eu plus de représentations que de lecteurs, son existence eut aussi plus d'éclat que de considération. Des personnes qui ont vécu long-tems avec lui, et qui conservent à sa mémoire un intérêt qui l'honore, assurent que malgré l'activité d'une vie orageuse, livrée à tous les calculs, à toutes les intrigues de l'ambition, il portait dans les affaires une facilité confiante dont on a souvent abusé; que cet écrivain si caustique et si gai dans ses factums, si gravement sententieux et si burlesquement satirique dans ses drames, avait beaucoup de bonhommie dans ses manières, une douceur égale à la vivacité de son esprit, de la simplicité dans ses gouts, et même un abandon plein de grâce dans ses affections domestiques. Il avait écrit sur le collier d'une petite chienne qu'il aimait beaucoup: Je m'appelle Florette, Beaumarchais m'appartient. Il était d'ailleurs ami fidèle, sensible, bienfaisant, capable de former les desseins les plus généreux, et doué d'une constance opiniâtre dans l'exécution de ce qu'il avait résolu.

Tels sont les principaux traits qui m'ont paru dignes d'être recueillis sur le caractère et sur le talent d'un homme dont le nom, sans être historique, s'attache à beaucoup d'événemens qui composent l'histoire politique et littéraire de l'époque où il a vécu. Il est tems, je crois, que la postérité commence pour lui, malgré l'opinion de quelques personnes qui soutiennent toujours qu'il n'est pas mort, probablement avec l'espérance et la conviction qu'il ne mourra jamais : et comme s'il fallait que tout ce qui est relatif à Beaumarchais soit extraordinaire, c'est dans une société, qui certainement n'est composée ni de dupes ni de fous, que j'entendais affirmer dernièrement ce que je rapporte ici. Je me suis rappelé alors ce que disait le maréchal de Schomberg, à son retour du Portugal, à une époque où il y avait encore dans ce royaume beaucoup de gens qui judaïsaient, et beaucoup d'autres qui ne voulaient pas croire que le roi D. Sébastien eût péri, cent ans auparavant, dans son expédition d'Afrique. « Que voulez-vous faire, disait M. de >> Schomberg, d'une nation dont la moitié attend toujours » l'arrivée du Messie, et l'autre moitié celle du roi D. Sébas» tien ? »> ESMÉNARD.

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DE LA CONSIDERATION.

LA Considération est un témoignage de déférence, d'estime et de respect que l'on offre au mérite, au talent, à la vertu. On entend aussi par ce mot, la bonne réputation qu'un homme s'est acquise par ses qualités louables, ou l'espèce d'éclat que répand sur lui la place qu'il occupe, la fortune dont il jouit, le pouvoir qu'il exerce. C'est dans ce dernier sens qu'on dit de lui que c'est un homme de considération.

Si cette définition est exacte comme je le crois, et si l'on admet les deux acceptions, que de personnes sont considérées, qui ne sont pas dignes de l'être! La Considération est une sorte d'impôt que le crédit et la richesse lèvent sur l'indigence et sur la médiocrité : or, qu'est-ce que tel homme en crédit ? Qu'est-ce que tel homme riche?

La considération est réellement due à l'homme de mérite ou de talent. Que reçoit-il ? des égards protecteurs de la part de ceux qui se croient au-dessus de lui, une déférence stupide de la part du vulgaire. Celui-ci l'entoure, le regarde, l'écoute et semble tout étonné de ce qu'il n'y a rien' d'extraordinaire dans ses traits, de ce qu'il parle et se meut comme un autre ceux-là croient avoir beaucoup fait pour lui, lorsqu'ils lui ont adressé un mot dans un salon, qu'ils l'ont admis à l'honneur de faire sa cour. Quant à l'homme vertueux, toute la considération qu'on lui accorde, c'est de n'en point dire du mal, si toutefois on s'en occupe : mais on se garde bien de le recevoir en bonne compagnie, il y serait ennuyeux, importun, déplacé.

ou

Ce que nous appelons la Considération, et ce qui l'est en effet dans nos moeurs actuelles, se gradue en proportion du plus ou du moins de fortune qu'un homme étale. Celui qui ne dépense que quatre-vingt mille francs par an, n'est pas, à beaucoup près, aussi considéré que celui qui en dépense trois cents.

C'est sous ce rapport que j'ai vu jouir de la plus haute considération un financier fameux, dont tout le mérite était dans la tête et dans les doigts de son caissier, mais qui avait le meilleur cuisinier de Paris, et la table de France la mieux servie. C'est sous ce rapport que dans un cercle, dans un bal, dans un lieu public, la femme la plus considérée n'est pas celle qui est l'épouse la plus tendre, la mère de famille la plus attachée à ses devoirs, mais celle dont l'état et le

luxe effacent tout ce qui l'environne. C'est sous ce rapport enfin, que parmi certaines femmes qui forment une classe à part, la plus considérée est celle dont l'amant tient le plus haut rang, a le plus d'opulence, et paye le plus cher la faveur d'être trompé par elle.

La Considération, parmi les gens du monde, s'attache donc au rang, aux emplois, et sur-tout à la richesse. Il n'en est pas de même parmi les savans, les artistes et les gens de lettres. Ils se considèrent entre eux en proportion des connaissances, du talent et du mérite, pourvu toutefois, que la jalousie ne les divise pas, ce qui est très-rare.

De ce que la considération s'attache particuliérement aux emplois et à la richesse, il s'en suit qu'un intrigant heureux et un fripon adroit visent évidemment à la considération, et doivent finir par être des hommes très-considérés.

L'exemple est contagieux, a-t-on dit, et cela est vrai. Franchissons les intermédiaires, et nous verrons que le laquais d'un ministre considère fort peu le laquais d'un commis. Par suite de cette manière de rendre à chacun ce qui lui est dû, observons le laquais du ministre lorsqu'un équipage entre dans la cour de son maître. Il accourt audevant de l'homme qui en descend, l'aborde avec respect, et croirait lui manquer s'il ne lui ouvrait les portes avec fracas, s'il ne l'introduisait dans les appartemens, comme un général d'armée dans une ville prise d'assaut. Voyons-le maintenant lorsqu'un homme arrivé à pied, sans suite et modestement vêtu, se présente, il le regarde à peine, l'écoute avec distraction, hésite à lui répondre, craint de l'annoncer, et s'il s'y voit réduit, croit que les portes à demi-ouvertes le seront toujours assez pour laisser passer un homme de peu de considération.

Ce serait un ouvrage assez piquant à faire, que celui qui aurait pour titre: De l'Abus des mots. L'écrivain qui l'entreprendra, ne pourra s'empêcher d'y placer le mot Consi dération. Parmi les protocoles usités dans le stile épistolaire, on emploie celui-ci : j'ai l'honneur d'être, avec la plus parfaite considération, votre très-humble, etc.; et il est bon de remarquer qu'il n'est permis de traiter ainsi d'égal à égal. Aussi ai-je vu M. le comte De... pâmer de rire un jour, en me montrant la lettre qu'un honnête négociant lui avait écrite, et dans laquelle il s'était servi de ce protocole familier. Si monsieur le Comte trouvait plaisant qu'on ne lui accordât que la plus parfaite considération, quelle idée attachait-il à ces mots ? celle que nous

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que

y attachons encore. J'observe en effet qu'en écrivant à certaines personnes, nous les assurons de notre considération la plus parfaite, et serions très-fàchés qu'on nous rencontrât dans la rue avec elles.

De l'abus du mot et de l'abus de la chose, que dois-je conclure? Que pourvu que l'on soit en droit d'avoir quelque estime de soi-même, on peut s'applaudir de n'être point un homme de considération, et que si, par bonheur, on se trouve rangé dans l'ordre de ceux qui méritent vraiment ce nom, il faut penser et agir sans trop s'embarrasser de la bizarrerie des hommes, de leur aveuglement ou de leur ineptie. VIGÉE.

EXTRAITS.

Théâtre d'Agriculture et Mesnage des Champs, d'OLIVIER DE SERRES, seigneur du Pradel, dans lequel est représenté tout ce qui est requis et nécessaire pour bien dresser, gouverner, enrichir et embellir la maison rustique. Nouvelle édition, conforme au texte, augmentée de notes, d'un vocabulaire dé l'éloge d'Olivier de Serres, et d'un mémoire sur l'état de l'Agriculture en Europe, à l'époque du dixseptième siècle; publiée par la Société d'Agriculture du département de la Seine. Deux volumes in-4°, avec le portrait d'Olivier de Serres et dix-huit planches. A Paris, de l'imprimerie et dans la librairie de Mme Huzard, rue de l'Eperon, n° 7.

IL est des ouvrages qui se recommandent par euxmêmes, dont l'utilité est de tous tems, le mérite certain et sur lesquels l'opinion publique est fixée. Que pourrait-on ajouter ou changer à celle que nous nous formons de Corneille, de Racine, de Voltaire, etc.? Un extrait qui rapprocherait quelques-uns des défauts des ouvrages de ces grands hommes ou de leurs vers faibles, serait-il convenable? Est-ce une nécessité de dire du mal pour éclairer le goût et être agréable? Devons-nous critiquer tout ce que nous touchons? Ne s'érige-t-on en juge que pour condamner? Ne pouvonsnous penser du bien et le dire sans être accusé de

par

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