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BODLEIL

19 MAY1934

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DÉDICACE.

A mes amis TARDY DE MONTRAVEL, capitaine de vaisseau,

et SALNEUVE, capitaine de frégate.

MES excellents amis, à quelques années de distance j'ai navigué avec chacun de vous; comme vous j'ai aimé le peuple marin, j'ai admiré ses vertus solides, j'ai étudié ses mœurs, son langage, sa poétique. Durant nos campagnes, nous avons souvent causé des hommes et des choses de la mer; souvent nous avons déploré l'indifférence publique en ce qui les touche, et surtout les idées fausses répandues sur le compte des marins.

Ainsi, on leur reproche sans cesse d'avoir une langue inintelligible, de se servir de termes obscurs, de parler un argot barbare.

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Dans ce livre dont ma vieille amitié vous fait hommage, je veux combattre d'abord des accusations irréfléchies qui, en ma qualité d'écrivain, me poursuivent comme un cauchemar, et qui me blessent en ma qualité d'ancien officier de la marine. Ici, comme dans la Revue qui publia mes premiers essais sur la langue et la littérature maritimes, je veux, mes excellents amis, en appeler des préjugés d'un public prévenu, à vous, juges compétents s'il en fût; et puis, dans les ouvrages qui complèteront ce travail spécial sur le Langage des marins, alors qu'ayant écarté de ma route les ronces et les épines, j'examinerai la poétique, les chants, les discours, les contes des gens de mer,— soit

que j'étudie leurs légendes et traditions, soit que je dépeigne leurs mœurs dans le vaste Tableau de la mer, dont ce livre n'est qu'un fragment, — de quelque manière que je traite l'une ou l'autre partie de mon inépuisable sujet, et enfin partout où il me sera permis d'élever la voix, — je continuerai à défendre notre cause commune, jusqu'à ce que l'haleine me manque ou que je sois, comme Tithon, transformé en cigale.

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En vous dédiant mon œuvre, je l'offre à tous vos camarades qui furent les miens, à tous les officiers qui s'honorent d'avoir des collègues tels que vous, et à tous les marins qui, comme se font gloire de servir sous le noble pavillon de la France. Vous avez bien voulu me permettre de placer vos noms en tête de ces pages dictées par des sentiments que vous partagez; recevez-en les remerciements confraternels d'un ancien compagnon de navigation, heureux et fier de pouvoir se dire de tout cœur,

Selon le langage des marins,

VOTRE MATELOT,

G. de la Landelle.

Paris, ce 8 septembre 1858.

PRÉFACE.

LA LANGUE technique des marins a été l'objet de nombreux traités, vocabulaires et dictionnaires à l'usage des gens de mer et même des gens du monde. Sa vaste nomenclature, sa formation, ses étymologies ont été savamment et consciencieusement étudiées par M. Jal, historiographe de la marine, auteur de l'Archéologie navale. et du Glossaire nautique, ouvrages qui ont coûté des recherches immenses et qui témoignent d'une profonde érudition.

Le livre qu'on va lire n'a qu'un rapport indirect avec ces œuvres techniques ou savantes; et cependant il s'adresse à la fois aux philologues et lexicographes, aux marins, aux littérateurs et aux gens du monde curieux de marine ou de linguistique.

Quoique nous avons été forcément conduit à définir, expliqueret commenter un très-grand nombre de mots du vocabulaire maritime, quoique nous ayons parfois indiqué ou discuté leurs étymologies, ce n'est point l'étude des mots que nous nous sommes proposé de faire. La moisson de nos devanciers était parachevée; à peine aurions-nous pu glaner dans le champ fertile où ils ont récolté à pleines mains.

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La vapeur, ou, pour généraliser, les moteurs internes opèrent à la vérité dans la marine une transformation qui rend nécessaires de nouveaux dictionnaires techniques, mais de telles œuvres ne sont plus de notre compétence.

Notre ouvrage est avant tout littéraire, et, malgré la merveilleuse rapidité des progrès de l'architecture navale, des appareils

de locomotion, de l'art du navigateur et des travaux de la mer, il ne vieillira que fort lentement, car il a spécialement trait aux idées qui ont engendré les formes du langage, la contexture des phrases, la grammaire, la syntaxe, la rhétorique des marins.

Qui dit idée dit déjà forme. Le mot idée prend sa racine dans le verbe grec sɩɗw, idè, voir, qui devenu de acquiert la signification voir des yeux de l'esprit, concevoir des idées. - L'idée, produit des sens, est une image; mais ainsi qu'une épreuve photo graphique sert à la reproduction d'autres épreuves, les images produisent sans cesse d'autres images. Mieux encore, un travail qui s'opère dans l'esprit humain, l'analogie, permet à chaque idée d'engendrer d'autres idées différentes d'elle-mème; elles naissent ainsi les unes des autres et se métamorphosent jusqu'à l'infini. L'esprit procède absolument comme la matière, la forme se renouvelle sans que la substance première soit anéantie. Le mot passe, l'idée reste.

C'est par l'idée qu'un terme tel qu'appareiller, signifiant d'abord accoupler deux objets pareils, acquerra successivement les significations de partir, commencer, finir, mourir, comme on le verra dans la partie principale de cet ouvrage, c'est-à-dire dans les chapitres consacrés aux expressions figurées en usage parmi les marins.

Nous nous sommes proposé de prouver que la langue maritime est riche, féconde en images, logique et des plus remarquables comme langue spéciale. Il fallait par conséquent ne rien négliger pour en rendre l'intelligence facile.

De là, notre Introduction, qui embrasse la généralité des choses de la mer et quelques nomenclatures rapides destinées à déblayer les abords du livre. De là, notre chapitre premier fort élémentaire à certains égards, sur la composition du vocabulaire technique.

Nous faisons de notre thèse même le fil d'Ariane qui nous guide à travers le dédale du vocabulaire marin, et peut-être nous reprochera-t-on l'opiniâtreté de l'argumentation que nous n'abandonnons jamais.

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