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Averti du désastre, l'amiral Warren fit faire force voiles vers le rivage et ouvrit un feu terrible sur les républicains quelques coups mal dirigés portèrent sur la foule des fuyards et sur leurs défenseurs. Le plus 5 affreux spectacle s'offrait alors aux regards. La mer agitée sous un ciel toujours sombre écartait les embarcations vers lesquelles une multitude de malheureux de tout sexe et de tout âge tendait les mains en poussant des cris. Beaucoup s'avançaient jusque dans la mer pour ne plus 10 reparaître, ou retombaient, roulés et brisés, sur le rivage, au bruit de la fusillade et des canons de l'escadre, qui vomissaient une pluie de fer autour d'eux et sur eux.*

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Un petit fort tout démantelé, le fort Neuf, autrement appelé fort Saint-Pierre, était à l'extrémité sud de la 15 presqu'île et à un quart de lieue du fort Haliguen : là fut le dernier refuge des légions royalistes. Ce fort n'avait aucune défense du côté de la terre; huit cents émigrés environ s'y trouvaient réunis, tournant le dos à la mer: le rivage, à droite et à gauche, était désert à cause du feu 20 continuel des chaloupes qui rendaient de chaque côté les approches très-dangereuses: mais en face des émigrés, les grenadiers républicains, Hoche à leur tête, avançaient toujours, criant: "Bas les armes, à nous les patriotes; plusieurs voix criaient aussi : "Rendez-vous, on ne vous 25 fera rien." A trois cents pas environ ils s'arrêtèrent, et Hoche se porta en avant des siens. Sombreuil sortit du fort à sa rencontre pour capituler: il dit à Hoche qu'il offrait sa vie en sacrifice pour celle de ses malheureux compagnons, et demanda que ceux-ci fussent traités en 30 prisonniers de guerre. Mais les lois étaient précises et, dans l'état désespéré où étaient les émigrés, Hoche ne crut pas pouvoir accéder à la demande de Sombreuil. Il admira son noble dévouement, et répondit que les vaincus devaient s'en remettre à la clémence de 35 la Convention. Cependant il tira sa montre et accorda une demi-heure pour le rembarquement.

* Des reproches injustes ont été adressés, dans cette circonstance, à l'escadre anglaise. Il était impossible que, dans cette épouvantable mêlée, un certain nombre de royalistes ne fussent atteints par 40 les boulets destinés à les protéger.

Sombreuil revint au fort et, selon quelques versions, il fit espérer à ses compagnons qu'ils seraient traités comme prisonniers de guerre. Mais, selon le récit d'un écrivain royaliste, présent à cette scène, et qui entendit les paroles de Sombreuil, celui-ci dit aux émigrés: "Une demi- 5 heure vous est accordée pour vous embarquer."* Et il ordonna de déposer les armes. Un murmure s'éleva: on obéit en frémissant, et chacun coucha son arme devant soi. Deux fois alors le comte de Sombreuil lança son cheval sur la pointe des rocs en se dirigeant vers la 10 flotte anglaise, et deux fois il fut rejeté par les vagues furieuses sur la côte ; l'égarement du désespoir était dans ses yeux, dit l'auteur de la relation déjà citée; il cherchait la mort, et comme il s'élançait une troisième fois, un officier arrêta son cheval: Sombreuil alors mit pied à 15 terre et parut résigné.

L'escadre anglaise, arrêtée par des signaux répétés, avait cessé son feu; mais avant qu'elle eût mis ses embarcations à la mer, la demi-heure accordée par Hoche était ecoulée. Hoche se retira; son armée marcha en 20 avant, enveloppa les royalistes et les fit prisonniers: on dit que plusieurs émigrés se percèrent de leurs épées ; d'autres se précipitèrent dans les flots pour échapper au sort fatal qui les attendait.t

Après les combats acharnés vinrent les massacres 25 juridiques. Les huit cents prisonniers faits au fort Neuf, réunis à ceux du fort Penthièvre, formaient environ trois mille hommes qu'on envoya à Auray, sous la conduite du général Humbert et du représentant Blad. Tallien se rendit à Paris, où il exalta la récente victoire des 30 armées de la République, en se glorifiant lui-même, et il se montra impitoyable envers les vaincus. Hoche avait intercédé pour eux et pensait avoir ému Tallien en leur faveur mais Tallien appela sur leur tête la vengeance

* De Corbehem, Dix ans de ma vie. Récit de l'affaire de Qui- 35

beron.

+ De Corbehem, ibid.

Selon Rouget de l'Isle, Tallien avait promis à Hoche d'intervenir pour les prisonniers.

nationale; il fit plus, il les calomnia, et avant d'immoler ses victimes, il essaya de les flétrir, les accusant de Les malheureux prisonniers, conduits à Auray, furent entassés dans les 5 églises et dans les prisons de cette petite ville: avec eux était l'évêque de Dol, et tous les prêtres qui avaient, comme lui, fait partie de l'expédition de Quiberon. Les chouans furent ensuite séparés des émigrés. Ceux-ci furent livrés à une commission militaire devant laquelle 10 ils invoquèrent une capitulation dont il leur fut cependant impossible de démontrer l'existence, ayant pris pour une convention régulière les paroles de clémence sorties, dans le feu de l'action, des rangs républicains.*

porter des armes empoisonnées.

15 Le sentiment public se prononçait avec énergie en faveur de cette multitude d'infortunés, les uns dans la fleur de l'âge, les autres blanchis dans les combats, criblés de blessures, mornes et fiers, égarés sans doute, mais tous victimes de leur loyauté chevaleresque, de leur 20 dévouement héroïque à leur cause, et dont un grand nombre avaient été, sous le régime précédent, l'honneur de la marine française. Le représentant Blad ne vit pas la tache indélébile que le sang de tant de braves, froidement versé par le gouvernement républicain, allait 25 imprimer sur la République tout entière: les soldats eux-mêmes préposés à leur garde étaient émus et attendris deux fois la commission parut faiblir et fut renouvelée: Blad fut inexorable, et la Convention nationale, avant de se dissoudre, offrit encore au 30 démon des guerres civiles cet immense holocauste.

Les émigrés appartenant aux divers régiments furent conduits successivement et par corps au lieu du supplice. Ceux du régiment de Béon furent appelés les

* La question de savoir s'il y avait eu ou non une capitulation 35 verbale a donné lieu à d'interminables controverses.

L'étude

attentive des faits et le caractère loyal de Hoche, ne permettent pas d'admettre qu'une capitulation ait été consentie par lui. Cette question a été examinée avec impartialité dans la Biographie de Hoche, par M. Desprez; j'en ai inséré un court extrait aux pièces 40 justificatives. Voyez Appendix B.

premiers: "Je les vis défiler devant moi, allant à la mort, dit un émigré échappé au massacre; un. tambour les devançait, battant l'air de route: venait ensuite un peloton d'infanterie ; une troupe de paysans, la bêche sur l'épaule, fermait cette marche funèbre... Les officiers 5 marchaient deux à deux : le calme et la résignation se peignaient dans leurs traits, la fierté dans leur maintien." ""* Ils furent tous conduits dans un champ attenant à la ville d'Auray. Là on les fusilla: plus de sept cents de leurs compagnons eurent le même sort, et 10 les exécutions durèrent plusieurs jours.

Le comte de Sombreuil avait été transféré, quelques jours auparavant, d'Auray à Vannes, avec l'évêque de Dol, et le lendemain ils furent conduits au supplice. "Un général républicain s'approcha de Sombreuil et le 15 pria de permettre qu'on lui bandât les yeux.-"Non, répondit Sombreuil, je veux voir mon ennemi en face jusqu'au dernier moment." Invité à se mettre à genoux, il dit: " J'y consens; mais je fais observer que je mets un genou en terre pour mon Dieu, et l'autre pour mon 20 roi."+ Il mourut en soldat et en chrétien: l'évêque de Dol périt après lui, fusillé avec ses prêtres.

Vingt ans plus tard, les restes des braves morts à Auray furent précieusement recueillis, et un monument funèbre leur fut élevé dans le champ même où ils avaient 25 péri et qui, aujourd'hui encore, est consacré par le sentiment populaire sous le nom de champ des martyrs.

On frémit au souvenir de tant de cruautés commises de sang-froid. Hoche eut lui-même à souffrir de l'horreur générale soulevée par cet épouvantable sacrifice qu'il eut 30 le désir, mais non le pouvoir d'empêcher, et dont la responsabilité tout entière appartient à Tallien, à Blad, au Comité de salut public et à la Convention.

La cause royale reçut, à Quiberon, un échec irréparable, mais la France y reçut aussi, par l'immolation 35 de tant de victimes, une incurable blessure: elle donna

* De Corbehem, Souvenirs de Quiberon.

+ Villeneuve la Roche-Barnaud, Mémoire sur l'expédition de Quiberon.

G

plus tard un douloureux souvenir aux valeureux compagnons des d'Estaing, des de Grasse et des Suffren, si cruellement immolés à Auray, lorsqu'elle voulut, après ces guerres fratricides, disputer l'empire des mers aux 5 Anglais, et plus d'une fois depuis cette époque, dans ses désastres maritimes, elle entendit sortir du fond de l'abîme qui engloutissait ses flottes, ce cri vengeur: QUIBERON! QUIBERON!

ΤΟ

V.

Suite et fin des opérations de Hoche dans l'Ouest.
Pacification de la Bretagne et de la Vendée.

Charette avait repris les armes et occupait une grande partie de la basse Vendée et tout le littoral, lorsqu'il apprit le désastre des émigrés à Quiberon et le supplice 15 des survivants. A cette dernière nouvelle, la fureur s'empara de son âme, et comme représailles, il fit sans pitié fusiller, sous ses yeux, trois cents républicains qu'il tenait prisonniers. Il obtint, vers le même temps, des témoignages de la plus haute faveur du prince qui 20 résidait à Vérone et que les royalistes et les puissances étrangères avaient reconnu pour roi sous le nom de Louis XVIII.* Charette reçut le cordon rouge, le titre de lieutenant général et le commandement en chef des armées catholiques et royales. Tant de faveurs accu25 mulées sur sa personne stimulèrent encore davantage : son zèle infatigable, et il redoubla d'énergie pour soulever le pays et tenir tête aux trois armées républicaines de l'Ouest, de Brest et de Cherbourg, dont les généraux se rendirent à Nantes pour y concerter un plan d'opéra30 tions.

* Le jeune prince nommé Louis XVII, depuis le 21 janvier 1793, était mort âgé de huit ans, à la suite de traitements affreux, en juin 1795. Ses droits au trône passèrent à son oncle Louis, Stanislas-Xavier, comte de Provence.

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