Page images
PDF
EPUB

lui. C'est ce qu'on peut justement appeler tyrannie. Lors donc que, comme dans les exemples précédens, la distinction entre le juste et l'injuste est d'une nature trop subtile ou trop secrète pour être déterminée par une description faite à l'avance, les lois de plusieurs pays, et particulièrement des états libres pour ne pas abandonner la liberté des sujets à la discrétion du magistrat, laissent en pareil cas les hommes à eux-mêmes.

CHAPITRE IV.

L'écriture sainte.

QUICONQUE S'attend à trouver dans l'écriture une direction spéciale pour chaque doute qui peut s'élever en morale, attend plus qu'il n'est possible d'obtenir. On peut comprendre, d'après la considération suivante, quel énorme volume un tel détail aurait donné aux livres sacrés. Les lois de ce pays, renfermant les actes de la législature et les décisions des cours suprêmes, forment au moins cinquante volumes in-folio; et cependant neuf fois sur dix vous chercherez en vain le cas qui vous occupe dans tous les livres de jurisprudence. Et je ne mets pas en compte ces nombreux points de conduite, touchant lesquels la loi

ne prétend rien prescrire ni rien régler. Si l'on avait recherché dans les écritures, pour toute l'étendue de la morale, la même particularité de détails qui se trouve dans les lois humaines pour la partie qu'elles embrassent, il est manifeste qu'elles auraient été trop volumineuses pour être lues ou répandues; ou plutot, comme dit St. Jean, << le monde >> entier n'aurait pas contenu les livres que » l'on aurait dû en écrire. »

le

La morale est enseignée dans l'écriture de la manière suivante. On propose d'abord des règles générales de piété, de justice, de bienveillance et de pureté; telles que adorer Dieu en esprit et en vérité; faire ce que nous voudrons qu'il nous fút fait; aimer notre prochain comme nous-mêmes; pardonner aux autres comme nous voulons que Dieu nous pardonne; la miséricorde est meilleure que sacrifice: ce n'est pas ce qui entre dans un homme (ni par la même raison aucune souillure cérémonielle), mais ce qui procède du cœur, qui le souille. Ces règles sont éclaircies occasionnellement, soit par des exemples fictifs, comme dans la parabole du bon Samaritain, et dans celle du méchant serviteur qui refusait à son compagnon l'indulgence et la compassion que son maître venait d'avoir pour lui: soit dans des cas particuliers qui se présentaient réellement; comme dans les

:

reproches de J. C. à ses disciples dans un village de la Samarie, sa louange de la pauvre veuve qui avait donné sa dernière pite, sa censure des Pharisiens qui recherchaient les premières places, et de la tradition par laquelle ils éludaient l'ordre de secourir leurs parens indigens soit enfin dans la résolution des questions que proposaient à notre Seigneur ceux qui étaient auprès de lui; comme dans sa réponse à ce jeune - homme, qui lui demandait, que faut-il que je fasse ? et à l'honnête Scribe, qui avait trouvé, même dans cet âge et dans ce pays, qu'aimer Dieu et son prochain était plus qu'offrir de l'encens et des sacrifices.

Telle est aussi la manière d'après laquelle on enseigne toutes les sciences pratiques, comme l'arithmétique, la grammaire, la navigation et autres semblables. On pose des règles et l'on y joint des exemples; non que ces exemples soient les cas, encore moins tous les cas, qui doivent se présenter réellement; mais seulement par voie d'explication du principe ou de la règle, et comme autant de spécimens de la méthode pour l'appliquer. La principale différence se trouve en ce que, dans l'écriture sainte, les exemples ne sont pas joints aux préceptes avec cette régularité didactique, à laquelle nous sommes accoutumés aujourd'hui, mais sont épars et sans ordre, selon qu'ils étaient suggérés

par les occasions particulières. Cette forme leur donnait cependant, surtout pour ceux qui les écoutaient, et qui voyaient de leurs yeux les occasions qui les avaient fait naître, une force de persuasion de beaucoup supérieure à celle que les mêmes exemples, ou d'autres semblables, auraient eue dans un systême régulier.

Outre cela, l'écriture présuppose ordinairement, dans les personnes auxquelles elle s'adresse, une connaissance des principes de la justice naturelle, et est donnée moins pour enseigner de nouvelles règles de morale, que pour faire pratiquer les règles communes par de nouvelles sanctions et par une plus grande certitude: ce qui semble être le propre d'une révélation divine, et ce dont nous avions le plus besoin (1).

C'est ainsi que les injustes, les parjures, les ravisseurs sont condamnés dans l'écriture, en supposant connu, ou en laissant à déterminer aux moralistes, lorsqu'il peut y avoir quelque doute, ce que sont les injustes, les ravisseurs, ou les parjures.

(1) Il est possible que l'on ne trouve pas des préceptes absolument nouveaux dans la morale de l'évangile. Mais il n'en est pas moins vrai que cette morale a une tendance qui lui est propre, et à laquelle on n'a peut-être pas assez pensé. C'est ce que j'aurai lieu d'établir dans un essai que je prépare, sur l'esprit et la tendance de la morale évangelique. Note du traducteur.

Les considèrations précédentes sont destinées à prouver que l'écriture ne rend pas inutile la science dont nous allons traiter, et en même temps à la justifier de toute accusation d'imperfection ou d'insuffisance sous ce rapport.

CHAPITRE V.

Le sens moral.

Le père de Caïus Toranius avait été pros» crit par les triumvirs. Caïus Toranius, qui » avait suivi leur parti, découvrit aux soldats, qui étaient à la poursuite de son père, le

[ocr errors]

>>

>>

» lieu où il se tenait caché, et leur décrivit en même temps sa personne, pour le recon» naître lorsqu'ils l'auraient rencontré. Le vieillard, plus en peine sur la fortune et sur » la vie de son fils, que sur le peu qui lui » restait de sa propre vie, demanda tout » de suite aux officiers qui l'avaient saisi, si » son fils se portait bien, et s'il avait fait » son devoir à la satisfaction de ses généraux. » Ce fils, répondit un des soldats, ce fils qui » t'est si cher, t'a trahi. C'est par ses infor»mations que tu es pris et que tu meurs. » Le soldat en même temps lui enfonça un poignard dans le cœur ; et ce malheureux père tomba, moins affecté de son propre

[ocr errors]
« PreviousContinue »