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Grad, R. R. 3.
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Vignand

3-13-29

HISTOIRE

ᎠᎬ ᏞᎪ

PHILOSOPHIE MODERNE

DEPUIS

LA RENAISSANCE DES LETTRES

JUSQU'A KANT.

SECTION QUATRIÈME.

Histoire de la Philosophie au dix-huitième siècle.

CHAPITRE DIX-NEUVIÈME.

Philosophie de Condillac, d'Helvétius, du baron d'Holbach, de Robinet, de Bonnet, de Montesquieu, de Burlamaqui, de Vattel et de Réal.

LE seizième siècle fut, en quelque sorte, l'âge d'or de la philosophie en Italie. Il vit naître un péripatétisme épuré, des idées nouvelles sur la cosmophysique, et, chez beaucoup de savans aussi, des opinions théosophiques et cabalistiques. Une foule Tome VI.

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d'hommes célèbres par leur génie et leurs connaissances, Descartes, Gassendi, Daniel Huet, Pascal, Nicole, Malebranche, etc., firent du dix-septième siècle l'âge d'or de la littérature philosophique en France. On ne doit pas craindre d'assurer qu'à cette époque, les Français étaient la nation la plus avancée en philosophie, à l'égard de laquelle ils surpassaient infiniment tous les autres peuples, en particulier les Anglais, les Hollandais, les Allemands et les Italiens. Ces derniers surtout semblaient se reposer nonchalamment à l'ombre des lauriers de leurs pères. Les systèmes opposés de Descartes et de Gassendi fixaient l'attention des savans, non seulement parmi leurs compatriotes, mais encore chez l'étranger; de sorte que la philosophie française devint le point central de toutes les spéculations, en tant toutefois que ces dernières roulaient sur les doctrines inventées par les philosophes du siècle.

Mais, vers la fin du dix-septième siècle, et au commencement du dix-huitième, les Français cessérent de prendre un intérêt aussi vif à la philosophie spéculative, et notamment aux recherches métaphysiques. Ce refroidissement de leur part provint de plusieurs causes, dont l'influence s'est propagée jusqu'à nos jours. La capitale donnait alors le ton à toute la nation pour la manière de vivre et de penser, comme elle continue encore actuellement de le donner. Le luxe que la cour et les grands y étalaient, était moins propre à favoriser les travaux sérieux de l'esprit que les arts d'agrément, et tendait moins à perfectionner les sciences utiles qu'à raffiner le goût. La passion décidée des Français pour les plaisirs des sens, leur frivolité, leur légèreté et lent versatilité, détruisaient, chaque jour, de plus en plus, chez eux L'amour de la philosophie et la patience nécessaire dans les méditations profondes

que l'étude de cette science exige. On parlait avec emphase des grands philosophes que la nation avait produits; on les nommait avec orgueil en présence des étrangers; mais on n'étudiait plus leurs ouvrages, et on se bornait à les lire d'une manière superficielle, afin seulement de pouvoir en parler au besoin dans les cercles. Les démêlés que ces écrits avaient occasionés, devinrent même funestes à la philosophie : ce qui ne manque presque jamais d'arriver. Ils montrèrent au public les côtés faibles des systèmes, et le ridicule dont plusieurs hommes d'esprit couvrirent la plus célèbre de ces doctrines, le cartésianisme, réjaillit, jusqu'à un certain point, sur la métaphysique en général. C'est ainsi que, peu à peu, cette dernière devint, en France, l'objet, sinon du mépris, au moins de l'indifférence la plus absolue.

Il ne faut pas non plus oublier le cagotisme qui domina sous le règne de Louis XIV, et qui donna aux prêtres, principalement aux Jésuites, la facilité de régler la marche des lumières scientifiques et surtout philosophiques, de la manière la plus conforme aux intérêts de la hiérarchie. Les Jésuites s'étaient déjà déchaînés contre Gassendi, Descartes et Malebranche, et, pour rendre leurs efforts inutiles, il avait fallu tout le génie et toute l'érudition que ces illustres philosophes déployèrent pendant le cours de leur vie. Mais ce fut avec la plus vive satisfaction que la compagnie de Jésus vit, aussitôt après leur mort, la nation cesser de s'intéresser à leurs systèmes, et les laisser insensiblement tomber dans l'oubli. Les écrits de Nicole et de Pascal, dirigés directement contre elle, lui avaient appris ce qu'elle devait redouter de la philosophie, et elle craignait qu'on n'imitat l'exemple de plusieurs autres écrivains encore, notamment la conduite de Bayle dans les sanglantes disputes des catholiques et des huguenots.

Elle n'avait donc rien de plus important que de s'opposer à la propagation des idées libérales et hardies, ou, lorsque les grandes vérités philosophiques perçaient malgré ses soins, d'en réprimer de suite les résultats, afin que la bigotterie, et surtout la hiérar chie, fussent d'autant mieux assurées de leur domination. Un philosophe avait beau rendre hommage à la vérité dans ses ouvrages, il suffisait qu'il lui échappât une seule pensée, en apparence, nuisible à l'Eglise, ou dont on pouvait tirer des conséquences fàcheuses relativement au clergé, pour que son livre fût signalé comme contraire à la religion et à l'état, et pour que lui-même expiât cruellement sa témérité. De pareils obstacles devaient de toute nécessité restreindre beaucoup les études philosophiques, d'autant plus que l'éducation, spécialement celle des hautes classes de la société, se trouvait en grande partie dans les mains des Jésuites et des prêtres. Long-temps même encore après cette époque, lorsque des penseurs hardis osèrent s'élever contre les prétentions hiérarchiques des Jésuites, la gêne dans laquelle ceuxci avaient retenu si long-temps la pensée et l'esprit, influa d'une manière très-prononcée sur la philosophie française. Une oppression violente est suivie d'une vive réaction: il était donc naturel que, pendant que les Jésuites couvraient la superstition monacale du manteau de la religion et de l'égide du despotisme, les écrivains français, notamment les encyclopédistes, en attaquant, avec pleine raison, la hiérarchie et l'hydre de la superstition, n'épargnassent pas non plus la religion épurée et dégagée de préjugés, et jetassent, de cette manière, dans leur patrie, les germes du naturalisme et de l'égoïsme, qui devinrent, par la suite, la façon de penser dominante des gens éclairés.

Cependant, malgré toutes les causes qui tendaient

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