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dans le premier index d'Alde, dont nous venons de parler, les divisions y sont aussi plus multipliées. Ainsi, dans un catalogue de Robert Estienne, daté de 1546 (4), nous remarquons les classes suivantes : Hebræa, Græca, Sacra, Prophana, Grammatica, Poetica, Historica, auxquelles un peu plus tard, dans un autre catalogue, le même imprimeur ajouta Rhetorica, Oratoria, Dialectica, Philosophica, Arithmetica, Geometrica, Medica, ce qui compléta, à peu de chose près, la nomenclature des sciences qu'on étudiait et qu'on enseignait alors. A ces catalogues officinaux succédèrent bientôt ceux des bibliothèques particulières, et quelques autres ouvrages de bibliographie, d'une plus grande étendue et d'un intérêt plus général. Le premier en ce genre, qui mérite d'être cité, est la Bibliotheca universalis de Conrad Gesner (voyez ce nom dans notre second volume), imprimée à Zurich, de 1545 à 1549, in-fol.; ouvrage fort remarquable, dont la 2o partie, intitulée : Pandectarum, sive partitionum universalium libri XXI, est classée par matières, dans l'ordre suivant: 1. Grammatica; 2. Dialectica; 3. Rhetorica; 4. Poetica; 5. Arithmetica; 6. Geometria; 7. Musica; 8. Astronomia; 9. Astrologia; 10. De Divinatione et Magia; 11..Geographia; 12. De Historis; 13. De diversis Artibus; 14. De naturali Philosophia; 15. De prima Philosophia, et Theologia Gentilium; 16. De morali Philosophia; 17. De œconomica Philosophia; 18. Politica; 19. De Jure civili et pontifico; 20. Theologia (ce titre devait être celui du 20o livre; mais la Médecine qui en aurait formé le 20°, n'ayant pas paru, on la remplaça par la Théologie). Cette nomenclature, assez bornée comme on le voit, suffisait du temps de l'auteur pour l'arrangement d'une bibliothèque bien composée. Gesner, en homme de bon sens, en a écarté ces réunions arbitraires de différentes sciences en une seule classe, qui ont séduit tant de savants, et qui, selon nous, ont été le principal écueil contre lequel sont venus échouer presque tous les auteurs de systèmes bibliographiques.

(4) En voici le titre Libri in officina Roberti Stephani, typographi regii, partim nati, partim restituti et excusi. M. D. XLVI, 1111. id. maiï.

Le premier Français qui se soit hasardé à présenter un de ces systèmes compliqués, est Christofle de Savigny, de qui nous avons décrit, à la page 211 de notre 4o volume, les Tableaux accomplis de tous les arts libéraux, imprimés en 1587 et réimprimés en 1619. La première planche de cet ouvrage curieux et devenu rare présente l'Encyclopédie, ou la suite et liaison de tous les arts et sciences. C'est un système figuré de toutes nos connaissances, antérieur de près de vingt ans, remarquons-le bien, à l'Arbre encyclopédique de Bacon, dont il a pu être le modèle. A ce tableau général succèdent seize tableaux spéciaux pour un pareil nombre de sciences, savoir: 1. Grammaire; 2. Rhétorique; 3. Dialectique; 4. Arithmétique; 5. Géométrie; 6. Optique; 7. Musique; 8. Cosmographie; 9. Astrologie; 10. Géographie; 11. Physique; 12. Médecine; 13. Ethique; 14. Jurisprudence; 15. Histoire; 16. Théologie. La Poésie et la Chronologie ont été ajoutées en 1619. A la suite de chaque partition (c'est ainsi que sont nommées les classes principales) viennent des divisions et subdivisions en très grand nombre. On en compte environ 78 pour la Grammaire, 92 pour la Poésie, 37 pour l'Optique, plus de 100 pour l'Astrologie, 66 pour l'Ethique, etc. Les autres systèmes qui se produisirent vers la fin du 16o siècle et au commencement du 17o, n'eurent aucun succès: ni les Cent Buffets de La Croix du Maine (5), ni la triple division de Jean Mabrun, selon ces mots du Psalmiste : Disciplinam, bonitatem et scientiam doce me, n'obtinrent l'approbation du docte Naudé, qui, dans son Avis pour dresser une bibliothèque (6), s'exprime ainsi à l'occasion de ces inventions bizarres : « C'est pourquoy ne faisant autre estime d'un ordre qui ne peut être suivi que d'un autheur qui ne veut estre entendu, je croy que le meilleur est toujours celuy qui est le plus facile, le moins intrigué, le plus naturel, usité, et qui suit les facultez Théologie, Médecine, etc. (7) » Paroles pleines de bon sens, et

(5) Dessin ou projets présentez (par lui) au roy Henry III, eu 1583, impr. à la fin de sa Biblioth. française, in-4.

(6) Edit. de 1644, pet. in-8., page 131. (7) Cette seconde place donnée à la Médecine nous rappelle que Naudé était médecin.

qui sont tout aussi justes, tout aussi applicables aujourd'hui, qu'elles l'étaient il y a deux siècles. L'ordre que recommande là le bibliothécaire du cardinal Mazarin, est, à quelques modifications près, celui que lui-même a suivi dans le classement de la Biblioth. cordesiana (Paris, 1643, in-4.). Ce même système, il faut le reconnaître, se rapproche beaucoup de celui que Claude Clément, jésuite, né en Franche-Comté, a exposé dans un livre imprimé à Lyon, en 1635, in-4. (8), et qui donne pour principales divisions: Théologie, Droit, Philosophie, Mathématiques, Physiologie, Médecine, Histoire sacrée, Histoire profane, Polygraphes, Orateurs et Rhéteurs, Poètes, Grammairiens, etc. Ces classes, dont on n'a guère fait dans la suite que transporter les sections d'une place à l'autre, en en multipliant les subdivisions, se retrouvent dans presque tous les systèmes dont il nous reste à parler; et d'abord dans celui qu'a suivi le savant Ismaël Boulliaud, lorsque, vers le milieu du 17° siècle, il fut chargé de classer, par ordre de matières, le Catalogue de la bibliothèque de la famille des De Thou, que les frères Du Puys avaient déjà rangé par ordre alphabétique. Ce catalogue, publié seulement en 1679, sous le titre de Bibliotheca thuana, par Joseph Quenel, était sans contredit le meilleur qui eût paru jusqu'alors. L'ordre qu'il présente (9) est, à bien peu de chose près, celui qui a été suivi depuis à la Bibliothèque royale de Paris. Quoique le système de la Bibliothèque des Jésuites du collège de Clermont, par le Père Jean Garnier, ait été mis au jour en 1678 (10), c'est-à-dire, un peu avant celui de la Bibliotheca thuana, il est réellement moins ancien que ce dernier, et lui est fort

(8) Musei sive bibliothecæ tam privatæ quam publicæ extructio, instructio, etc.

(9) La Théologie et la Jurisprudence y sont suivies de l'Histoire, terminée par les traités généraux de Politique. La Philosophie, accompagnée des Mathématiques, qui comprennent la Musique, l'Astronomie, etc., forme, avec les Arts, la Médecine et l'Histoire naturelle, une seconde partie, à laquelle succèdent les Belles-Lettres (Litteræ humaniores.)

(10) SYSTEMA bibliothecæ collegii parisiensis Societatis Jesu. Parisiis, excudebat Sebast. MabreCramoisy, 1678, in-4.

inférieur, selon nous (11); il mérite toutefois d'être étudié, ne fût-ce que pour le comparer à celui qu'on attribue presque généralement au libraire Gabriel Martin, et pour se convaincre du peu de rapport que ces deux systèmes ont entre eux (12). Le second, celui que nous croyons devoir appeler, et que nous nommerons désormais Système des libraires de Paris, est réellement dû au savant Prosper Marchand, connu surtout par son Histoire de l'imprimerie et son Dictionnaire historique, et non pas à Martin. Prosper Marchand le mit en pratique, pour la première fois, en 1706, dans la Bibliotheca bigotiana, vol. in-12, dont le titre porte les noms des libraires Boudot, Osmont et Gabr. Martin. L'année suivante, le même système, légèrement modifié dans l'ordre et le nombre des divisions secondaires, servit encore à la disposition de la Bibliotheca Johannis Giraud, catalogue rédigé par Marchand, pour le libraire Robustel, à Paris, ainsi qu'il le dit formellement dans la préface de son Catalogue de Faultrier, publié en 1709, et comme Martin lui-même l'a reconnu en plusieurs occasions (13). Cependant Marchand, peu satisfait du nouvel ordre qu'il venait d'introduire, en classant les livres en cinq grandes sections, savoir: Théologie, Jurisprudence, Philosophie (autrement, sciences et arts), Belles-Lettres et Histoire, à peu près comme nous le faisons nousmême dans la table ci-jointe; Marchand, disons-nous, imagina bientôt un autre système, dans lequel il refondit les cinq classes du premier en trois grandes sections, sous les dénominations suivantes : 1. Philosophie. ou Science humaine, comprenant la Gram

(11) Il est divisé en cinq grandes classes: 1. Theologia; 2. Philosophia (cette classe comprend les Litteræ humaniores, mais non pas l'Histoire naturelle); 3. Historia, dont un chapitre, le 26o, renferme l'Histoire naturelle, et un autre, le 27o, ce que le P. Garnier nomme Historia artificialis, où se trouvent placées les fictions en vers et en prose, et même les tragédies et les comédies qui ont un but moral; 4. Eunomia, sive Jurisprudentia; 5. Heterodoxia.

(12) Plusieurs bibliographes ont avancé que le système du P. Garnier avait servi de base à celui de Martin.

(13) Catalogue de Barré, no 6469, et Catal. de Bellanger, no 3451.

maire, la Logique, la Poétique, et ce que l'on a depuis désigné sous le titre général de Sciences et Arts. (La Jurisprudence s'y trouve placée entre l'Economie et la Politique.) 2. Théologie, ou Science divine. 3. Histoire, ou Science des événements. Ces trois classes sont précédées de la Bibliographie, qui leur sert d'introduction. On y retrouve une grande partie des subdivisions des deux précédents catalogues, subdivi-, sions où figurent plus d'un emprunt fait aux systèmes de Clément, de Boulliaud et de Garnier. Mais, pour bien apprécier le second système de Marchand, le seul auquel jusqu'ici se rattache positivement son nom dans la mémoire des bibliographes, il faut lire la préface latine fort curieuse qu'il a mise au commencement du Catalogue de Joachim Faultrier, déjà cité. Là, après avoir développé son plan avec précision, il a donné d'excellents préceptes sur la manière de lever avec exactitude les titres des livres, et de les disposer méthodiquement dans un ordre convenable, en réunissant de suite les différents formats, au lieu de les séparer comme cela s'était pratiqué presque toujours jusqu'alors (14). Ces préceptes, dont l'expérience de plus d'un siècle a suffisamment démontré la sagesse, furent tout d'abord parfaitement appréciés par Gabriel Martin, homme instruit, d'un esprit judicieux et méthodique; et lorsqu'en 1711 Marchand se détermina à quitter la France, pour cause de religion, G. Martin se trouva être l'homme le plus propre à remplacer celui-ci dans la rédaction des catalogues de livres à vendre, objet qui l'avait déjà occupé lui-même dès l'année 1705. Cependant ce libraire, ayant à choisir entre les deux systèmes successivement pratiqués par son prédécesseur, se décida pour le premier, qu'il jugea d'un usage plus commode que le second; et, après y avoir introduit quelques heureuses modifications, il l'appropria à l'arrangement du Catalogue de l'excellente bibliothèque de Bulteau, qu'il publia en 1711, sous le titre de Bibliotheca bultelliana (en 2 vol. in-12); et dans la préface duquel il s'exprime ainsi, au sujet de la

(14) Cependant, dans la Bibliotheca thuana, les formats se trouvaient déjà réunis.

méthode qu'il venait d'adopter: « In libris disponendis illum seculi sumus ordinem, qui systemate nostro bibliographico mox exponetur, quod si non doctum aut erudite elaboratum, saltem clarum et perspicuum conati sumus efficere, ex is qui nos in hoc labore antecesserunt, quædam, ut censemus, meliora seligentes, quædam immutantes et addentes. » Dans ce passage remarquable, Martin parle bien à la vérité des emprunts qu'il a faits à ses prédécesseurs, mais il se tait sur les obligations particulières qu'il avait à Marchand, alors réfugié en Hollande, auquel il devait non seulement son système presque tout entier, mais encore la plupart des améliorations de détails qu'on peut remarquer dans ses catalogues. Toutefois sachons-lui gré d'avoir mis fin à l'espèce d'anarchie qui existait alors dans le classement de ces sortes d'ouvrages; et surtout félicitons-le d'avoir fait preuve d'un jugement plus sûr que Marchand lui-même, en préférant un système peu scientifique, à la vérité, mais assez logique, et, ce qui est mieux encore, fort clair, à une donnée plus philosophique peut-être, mais d'une application beaucoup moins facile (15). Le système que Martin, à quelques exceptions près, a suivi constamment dans les nombreux catalogues qu'il a eu à rédiger, depuis 1711 jusqu'à sa mort, arrivée en 1761, fut également adopté par Boudot, son émule; par Marie-Jacques Barrois, autre savant libraire, à qui l'on doit plusieurs bons catalogues; par l'auteur de la Bibliographie instructive; enfin par MM. Debure père et fils, parents de ce dernier, lesquels, pendant plus de soixante ans, ont exercé honorablement et avec un succès constant, les fonctions de libraires experts-vendeurs. C'est de cette manière que le système des libraires de Paris, éprouvé par une longue pratique, reçut

(15) Voici le jugement que, dans un spirituel feuilleton consacré à notre Manuel, M. Nodier a porté de la classification bibliographique dont il s'agit : Elle est simple, elle est claire, elle est facile; elle embrasse, sans trop d'efforts, toutes

les innombrables et capricieuses subdivisions qu'il a plu à la fantaisie humaine d'introduire dans la forme littéraire du livre; et, ce qui me paraît de plus grande importance encore, elle est consacrée par d'excellents catalogues, devenus classiques dans leur genre.

en France une sorte de consécration, et fat adopté dans une partie de l'Europe. En vain quelques personnes (16) essayèrentelles de le combattre, ou du moins d'y substituer leurs innovations, toutes ces tentatives malheureuses ne servirent qu'à en démontrer la supériorité.

Il ne faut pas trop s'étonner que de simples libraires, mais des libraires réellement instruits, aient réussi mieux que des gens de lettres, que des savants de profession à donner du crédit à un système bibliographique; car d'un côté, en le concevant dans son ensemble et dans ses détails, ces libraires étaient affranchis des prédilections exclusives que les savants sont naturellement portés à avoir pour ce qui fait l'objet principal de leurs études; et d'un autre côté, les occasions fréquentes qu'ils avaient eues de classer des bibliothèques de tous les genres, avaient dû leur faire trouver la méthode la mieux appropriée à l'arrangement d'un catalogue de quelque étendue. C'était d'ailleurs une chose heureuse pour les personnes qui faisaient usage de ces catalogues et qui en avaient une fois étudié le classement, de savoir d'avance à quelle place elles pourraient trouver les ouvrages qu'elles désiraient se procurer, et d'être ainsi dispensées de lire d'un bout à l'autre des volumes quelquefois fort gros.

Le système des libraires de Paris était à peu près le seul qu'on suivit en France lorsque la révolution de 1789 éclata. Les orages qui bouleversèrent alors l'ordre social tout entier, n'épargnèrent pas les choses purement littéraires. Tout fut remis en question, tout, sans excepter l'ordre à suivre dans la rédaction des catalogues de livres. A cette époque on ne dut être que médiocrement surpris de voir plus d'un apôtre de la Philosophie du 18° siècle attaquer vivement, au nom de la raison, un système bibliographique qui donnait le premier rang aux choses divines et le second aux lois. Une réforme radicale fut donc jugée indispensable par les plus zélés, tandis que

(16) D'abord, en 1760, l'abbé Leclerc de Montlinot, dans son Essai sur un projet de catalogue de bibliothèque, que l'abbé de Saint-Léger réfuta victorieusement; ensuite, en 1776, le libraire Née de La Rochelle, fort jeune alors, dans le Catalogue des livres de Perrot.

d'autres, plus modérés ou plus timides, se bornaient à demander qu'on se hâtât d'effacer de ce système toutes les traces de notre ancien esclavage (17). Alors surgirent,presque simultanément, un certain nombre de nouveaux systèmes dans lesquels on s'accordait assez bien, à la vérité, soit pour déplacer la Théologie, soit pour la faire entièrement disparaître en la confisquant au profit de la Métaphysique, mais où, pour tout le reste, on était complètement en désaccord. Les uns (18) voulaient qu'on suivît la marche des idées, et prenaient pour base de leurs systèmes Bacon et les encyclopédistes, c'est-à-dire, les trois mots : raison, imagination,mémoire; les autres (19) adoptaient la marche des études que, comme de raison, ils concevaient chacun à leur manière. Celui-là (20) mettait en avant ses trois classes favorites: connaissances instrumentales, connaissances essentielles, connaissances de convenances.Celui-ci (21) ajoutait aux trois divisions fondamentales des encyclopédistes celles des besoins physiques et des besoins moraux; tandis qu'un autre (22) proposait treize classes, en commençant par l'agriculture, le plus ancien des arts. Cependant, parmi les novateurs se faisaient remarquer l'abbé Ameilhon, le janséniste Camus, et M. Daunou, ancien oratorien; tous trois gens de mérite, sans doute, mais trop partisans des idées dominantes alors pour ne pas leur faire d'amples concessions (23).

En enlevant à la Théologie le rang dont elle était en possession depuis tant d'années dans nos bibliothèques, on pensait que rienn'était si facile que de l'y remplacer ; pourtant sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, il fut impossible de s'entendre.

(17) Lettre de B. à Daunou, du 20 nivôse an 1x, dans le Bulletin du Bibliophile, 6a série, p. 75. (18) Le professeur Butentschon, à Colmar; M. Peignot, alors à Vesoul.

l'Institut, classe de littérature et beaux-arts.

(19) Camus, dans le 1er vol. des Mémoires de

(20) Le citoyen Arsenne Thiebaut, Exposition du tableau philosophique des connaissances humaines, Paris, an x, in-8.

(21) Le P. Laire.

(22) Le citoyen Parent, Essai sur la bibliographie, 1801, in-8.

(23) Voyez à la fiu de cette introduction.

La Philosophie, les Belles-Lettres et l'Histoire, voire même l'humble Bibliographie, furent tour à tour, et inutilement proposées. Ainsi, non seulement aucun système ne prévalut, mais même aucun ne put réunir en sa faveur un certain nombre de suffrages. En sorte qu'après d'inutiles efforts, il fallut en revenir au système des libraires, que chacun regardait d'ailleurs comme le meilleur après le sien. Cependant les anciennes traditions de Martin, auxquelles, malgré les attaques multipliées des novateurs, presque tous les catalogistes français sont restés fidèles, trouvent aujourd'hui de nouveaux ennemis à combattre. Cette fois c'est au nom du progrès, au nom de ce qu'on appelle la marche de l'esprit humain qu'on les condamne. Le vieux système, diton, est tout-à-fait en désaccord avec les idées nouvelles, avec le développement des sciences; on le déclare tout-à-fait inadmissible. Mais heureusement cet arrêt n'est pas sans appel, car enfin, nous le demandons, qu'y a-t-il donc de changé dans la nature des choses? La Philosophie n'est elle pas toujours la philosophie, quel que soit le point de vue sous lequel on l'envisage; l'Histoire ne reste-t-elle pas toujours l'histoire, soit que, comme le veulent les encyclopédistes, elle appartienne à la Mémoire, soit que, dans le système de M. Ampère, on la classe dans la Noologie, soit enfin qu'elle dépende de la Science sociale, comme le prétend M. Merlin. A la vérité, les sciences proprement dites ont beaucoup agrandi leur domaine depuis quelques années; elles se sont enrichies de nouvelles applications bien importantes; des procédés déjà connus, jusqu'ici restés à l'état d'essai, ont été perfectionnés et mis en pratique; mais rien de cela ne constitue une science entièrement nouvelle, une science qu'on ne puisse, au moyen de quelques subdivisions, parvenir à introduire dans le système des libraires, aussi bien que dans tout autre qu'il plairait de lui substituer.

Parmi les promoteurs du progrès, dont les noms peuvent avoir le plus d'influence, nous trouvons au premier rang M. AndréMarie Ampère, savant illustre, qui, en 1834, nous a donné une Exposition naturelle de toutes les connaissances humaines, applicable, selon lui, à l'arrangement d'une

grande bibliothèque (24); là sont exposés des tableaux synoptiques des sciences et des arts, divisés en deux règnes, savoir : Sciences cosmologiques et Sciences noologiques; chaque règne y a ses sous-règnes, chaque sous-règne ses embranchements, et chaque embranchement ses sous-embranchements; ce qui donne à chaque règne quatre-vingt-quatre divisions particulières, en partie dotées de noms grecs tout-à-fait respectables. Ce système, beaucoup trop symétrique pour être naturel et rigoureusement vrai, est tout différent de celui de Bacon; mais il est permis de douter qu'il ait autant de durée que ce dernier.

Sans doute, nous nous inclinons respectueusement devant les savantes et ingénieuses conceptions de M. Ampère, de même que nous rendons hommage aux velléités philosophiques et aux subtilités métaphysiques d'un autre système récemment mis au jour par un homme d'esprit qui nous a donné plusieurs excellents Catalogues, et qui, nous n'en doutons pas, pourrait, à bon droit, prétendre à des succès plus élevés; mais il ne nous est nullement démontré que ces messieurs aient mieux vu que leurs prédécesseurs, quoique le premier ait possédé beaucoup mieux qu'eux le langage philosophique, et que le second offre dans plusieurs des sous-divisions de son système d'heureux rapprochements et quelques idées justes qu'on ferait peut-être bien de lui emprunter (25). Nous

(24) La seconde partie de l'Exposition de M. Ampère, quoiqu'elle fut imprimée depuis longtemps, n'a paru qu'en octobre dernier.

(25) Les auteurs des différents systèmes bibliographiques qui ont paru depuis cinquante ans, ne se sont pas assez pénétrés de la différence sensible qui doit exister entre le classement des idées et celui des livres; et après avoir adopté arbitraisuffisant pour que tous les livres puissent y être rement un nombre de classes principales trop inconvenablement placés, ils se sont vus condamnés aux rapprochements les plus incohérents, aux amalgames les plus bizarres. Un moyen certain d'éviter ces inconvénients ce serait de renoncer à ces enchainements encyclopédiques, si séduisants au premier aperçu, mais dont la pratique fait reconnaître tout le vide; car enfin dans le classement des livres, c'est bien moins l'enchaînement faut considérer, que le rapport réel qu'elles connaturel, ou soi-disant naturel, des sciences qu'il servent entre elles dans l'usage que l'on en fait,

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