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fond mathématicien, un ingénieur du premier ordre. Son savant Essai sur les machines en général, ses belles théories sur l'art de la guerre, et particulièrement sur la défense des places, auraient fait reconnaître en lui un digne élève du célèbre Monge, un émule des Vauban et des Catinat. Mais, suivant toute apparence, et malgré sa réputation européenne, on ne lui aurait jamais confié, comme à Boufflers ou à tel autre patricien, le salut de l'un des boulevarts de l'empire français. Admis avec empressement par l'Académie des sciences, nous l'eussions vu siéger à côté de son illustre maître, et enrichir son pays par des découvertes que l'étranger aurait peut-être adoptées avant nous (*). Environné de

(*) On lit aujourd'hui (10 août 1824) dans le Constitutionnel l'article suivant tiré du Courrier :

On doit faire à Woolwich, sous l'inspection immédiate du grand-maître de l'artillerie, une expérience

considération, fidèle à la simplicité des mœurs antiques, jaloux de l'estime et non pas ambitieux de faire du bruit, cher à ses collègues comme à sa famille, il serait mort avec la réputation d'un écrivain distingué par de profondes connaissances, d'un militaire capable de s'élever jusqu'au génie dans ses créations, d'un homme de bien, poli par le commerce du monde et la culture des lettres. Toutes les sociétés savantes, fières de l'avoir adopté, auraient célébré ses travaux; et l'on n'aurait pas entendu la plus légère restriction, au milieu de ce concert d'éloges unanimes. Les évé

intéressante, à laquelle les principaux ingénieurs et les savans militaires de l'époque actuelle ont été invités d'assister. Il s'agit de s'assurer de l'importance d'une nouvelle invention du comte Carnot dans l'art de la fortification, qui, la pratique répond à la théorie, rendrait un ouvrage imprenable, au moyen d'une muraille construite dans le fossé, de manière à ce qu'une brèche devînt impossible.

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nemens préparaient à Carnot une autre destinée : l'officier qui, dans l'ancien régime, n'aurait pas pu triompher peutêtre des résistances d'un corps justement célèbre, mais trop attaché, comme tous les corps, aux idées reçues, devait aider son pays à triompher de toutes les forces et de toutes les renommées militaires du continent; l'ingénieur condamné à parvenir lentement aux grades supérieurs, devait être membre d'un gouvernement qui briserait toutes les résistances de l'Europe conjurée contre un seul peuple, et subir les conséquences d'une situation si terrible.

Carnot avait applaudi aux travaux de l'Assemblée constituante; nommé membre de la première législature, il se trouvait, par son amour de l'ordre, par ses principes politiques, par son caractère, dans les dispositions les plus heureuses pour remplir les fonctions d'un député.

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Il voulait sincèrement la constitution de 1791, et crut, avec la majorité des Français, à la durée du nouvel édifice politique. Carnot, quoique doué d'un esprit supérieur, à plusieurs égards, n'avait point en politique une prévoyance égale à ses lumières. Accoutumé aux études positives, ayant plus étudié les sciences que les hcmmes, étranger aux intrigues des cours et aux secrets des factions, il ne voyait, dans les événemens et dans les cœurs, ni aussi loin ni aussi avant qu'on aurait pu le supposer. Ce fut toujours là son côté faible, mème alors, qu'après avoir manié les plus grandes affaires, et montré de l'habileté dans la manière de les conduire, il avait eu le temps d'acquérir l'expérience qui fait deviner les conséquences plus ou moins éloignées du pré-** sent et du passé. Cette observation n'a rien d'étonnant et ne saurait affaiblir la réputation de Carnot. On a pu rencontrer, dans

le cours de la révolution, des hommes d'un véritable génie, dont la vue était bien plus courte que la sienne. Absorbés dans les hautes méditations qui avaient occupé toute leur existence, ils avaient si peu le don de pénétrer l'avenir, que leur esprit vivait au jour le jour et ne devançait jamais le lendemain. Mais si Carnot partagea l'erreur générale, il ne tarda point à reconnaître, à des signes trop certains, que le nouvel ordre politique renfermait en lui-même les principes de sa ruine, et que les causes les plus actives travaillaient, comme de concert, à précipiter une catastrophe inévitable. Patriote sincère, il éprouva des alarmes et de l'affliction en renonçant, malgré lui, à l'espérance de voir toutes les opinions, tous les pouvoirs réunis, pour fonder à jamais la liberté dans cette belle France qui souhaitait ardemment de substituer le règne des

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